Serge

Le Brésil doit regarder ses propres migrants

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:US_Navy_090525-N-4774B-032_Somali_migrants_in_a_disabled_skiff_wait_for_assistance_from_Sailors_aboard_the_guided-missile_cruiser_USS_Lake_Champlain_(CG_57).jpg
Des migrants somaliens – crédit photo: Daniel Barker | Wikimedia Commons

Est-il possible de comprendre le tsunami émotionnel qui a emporté le monde médiatique ces derniers jours après la publication de la photo du petit Aylan Kurdi? Oui. Il suffirait de lire le sociologue Luc Boltanski – Distant Suffering, décidément, ce livre s’impose comme la meilleure autopsie de notre époque. Je m’étais décidé depuis un moment à changer la ligne éditoriale de ce blog me refusant de commenter à chaud l’actualité médiatique. Une façon de prendre du recul face à la déferlante médiatique que la société du spectacle nous impose.

Mais il arrive qu’un lecteur demande mon avis sur une question spécifique, en l’occurrence, le mort tragique du jeune Aylan, échoué sur une plage turque.

Des arguments insensés

Je vous épargnerai la rhétorique du « deux poids et deux mesures », franchement, personne n’en a rien à cirer. Je vous épargnerai également les arguments chiffonnés que je lis sur les réseaux sociaux, notamment de mes amis brésiliens : « Oh mon Dieu, dans quel monde vivons-nous ? » « Mon Dieu, l’humanité a échoué… Comment a-t-on rendu tout cela possible ? » Ces arguments sont non seulement insensés mais aussi enfantins. Réveillez-vous, bon sang ! C’est exactement le monde que nous participons à créer tous les jours. Des gens meurent chaque jour sur le palier de votre immeuble.

L’hypocrisie que nous vivons est absolument magnifique. La classe politique française, aux abonnés absents ces derniers mois, nous gratifie de ses états d’âme soudainement humanistes. Ici, Jean-François Copé, là, le président François Hollande. Mais au final, tout cela ne me concerne pas.

La poutre dans notre oeil

« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ?

Mat. 7. 3-5

En mai dernier, j’écrivais sur ce même blog l’urgence de traiter la situation des Haïtiens de São Paulo comme un problème humanitaire. Je me limiterai donc à ce cas précis.

Je suis étonné de constater que la tragédie du petit Aylan Kurdi ait occupé le trending top du réseau social Twitter pour la ville de São Paulo. Cette même ville où l’on a tiré sur des immigrés haïtiens sous prétexte qu’ils voleraient le travail des Brésiliens. Mais quel travail ?

Cette même ville de São Paulo incapable d’adopter une vraie politique d’immigration pour les Haïtiens, les Africains, les Boliviens et j’en passe, fait le deuil du jeune Aylan.

Quelle époque où l’indignation n’est plus possible que par écrans interposés, à distance (on en revient au livre cité au début de cet article). Franchement, quelle époque !

Je vis dans une ville où le nombre des sans-abris augmente vertigineusement. L’autre jour, en sortant du Carrefour, j’ai partagé un pain sec avec l’un d’eux. Que pouvais-je faire d’autre ?

Il y a tout juste un mois, le grand journal brésilien Folha de São Paulo publiait un article sur le fait que la célèbre Avenida Paulista perdait son identité à cause de la présence constante des sans-abris. Oui, Folha se lamentait de la perte d’identité de la belle Paulista au lieu de s’émouvoir et de s’interroger sur la situation sociale du Brésil qui ne cesse de se précariser. Hallucinant, n’est-ce pas?

Je regarde tout ce qui s’écrit et se dit dans les médias internationaux et mes sentiments s’alternent. J’ai tout d’abord éprouvé de l’empathie, et ensuite un certain remords pour avoir publié la photo de cet enfant, d’autant plus que quelqu’un me l’a reproché. J’ai par la suite éprouvé du dégoût face à l’hypocrisie des politiques et des citoyens.

Ne nous indignons pas uniquement du destin tragique et de la vie gâchée de Aylan Kurdi. Indignons-nous aussi de voir des sans-abris crever de faim à deux pas du Carrefour… et donnons-leur un pain sec, une couverture puisque l’Etat ne fait rien. Indignons-nous de vivre dans un monde qui n’a plus aucun sens. 

A São Paulo où les migrants ne meurent pas sur la plage mais dans l’hiver du centre de la ville, indignons-nous du fait qu’on leur tire dessus. Et exigeons un débat public sur cette question des réfugiés haïtiens.

« Show Me a Hero »

Pour finir, je voudrais mentionner une série dramatique actuellement diffusée sur HBO, Show Me a Hero de David Simon. Elle raconte l’histoire trouble d’un jeune maire de l’Etat de New York à qui il incombe la responsabilité de faire accepter à ses électeurs blancs la construction de logements sociaux destinés aux Noirs. Là aussi, il est question d’acceptation de l’autre, de tolérance et d’intégration. Mais rien n’est fait pacifiquement quand bien même la justice tente d’imposer ses habitations à coup de lois. Une belle métaphore pour réfléchir à la question des migrants. Un mécanisme de quotas obligatoires serait donc un leurre. Parce que la solidarité ne s’impose pas.

______

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’analyses sur le Brésil: @sk_serge et n’hésitez pas à vous abonner au blog.


La crise brésilienne en six mots, selon BBC News

https://www.flickr.com/photos/fotosagenciabrasil/16679353840/sizes/c/
Une manifestante anti-Dilma prise en flagrant délit de panelaço | Flickr.com/ Agência Brasil

C’est d’une sympathique vidéo accessible en ligne sur le compte Youtube de la chaîne BBC News que je souhaite vous parler cette semaine. Elle explique de manière assez ludique, et dirons-nous, en anglais facile (!), la crise brésilienne en six mots-clés. Je n’ai pu m’empêcher de noter que la plupart de ces mots-clés font allusion au football. Focus sur ce florilège de mots-clés typiquement brésiliens et souvent péjoratifs.

1. Panelaço

C’est une forme de protestation politique qui consiste à faire du bruit avec des casseroles

Mode d’emploi : on se place à la fenêtre de son appartement (à son balcon, ça va aussi), on éteint la lumière – sauf une, pour qu’on sache d’où vient le bruit -, on attend que la présidente Dilma Rousseff apparaisse à la télévision pour un discours à la nation et hop, on tape de la casserole. Sans rythme, c’est l’idéal. Le but étant de couvrir la voix de la présidence par le bruit des casseroles.

Techniquement, faire du panelaço dans une favela ne compte pas. Il est souhaitable que cela se fasse dans des appartements luxueux… OK!

Lien avec le football : bien que BBC News ne le dise pas, on peut penser que la référence avec le football soit purement littéraire. Vous remarquerez (pour les lusophones et les Hispaniques) que panelaço rime avec golaçoun mot appartenant au vocable « gol » auquel on pourrait ajouter golzinho*.

Notez bien : les casseroles peuvent être importées de France ou d’Espagne comme on l’a vu récemment sur Internet.

2. Coxinhas

Personnellement, j’en raffole. Ok, ça ne doit pas être très sain, mais qu’est-ce que c’est bon… « La coxinha est un aliment à base de viande de poulet haché, recouvert de pâte moulée dans une forme ressemblant à une cuisse de poulet » (merci Wikipédia) qu’il faut frire comme des beignets. C’est un aliment traditionnel du Brésil. Eh oui, pas la peine d’en chercher à Mexico ou à Dakar.

Histoire : l’origine politique n’est pas claire… mais le mot renvoie à une personne de droite, bête , moche et méchante, celle-là même qui dit des choses un genre, un genre**. Oui, c’est ça: un genre, un genre, comme aiment à le dire nos amis camerounais. Bref, des choses qui n’ont pas beaucoup de sens.

via GIPHY

3. Lava-Jato

Lave-auto ou car wash ou plus couramment kärcher,  est le nom donné à une vaste opération menée par la police fédérale brésilienne ayant pour but de démanteler un réseau de blanchiment d’argent qui toucherait les plus hautes sphères du pouvoir. Plusieurs personnalités politiques sont mises en cause, mais également des grands opérateurs économiques comme le milliardaire Marcelo Oderbrecht mis aux arrêts le 19 juin.

Bien évidemment, dans cette affaire, tout le monde y va de son balai de nettoyage. D’un côté, les politiciens et les hommes d’affaires corrompus spécialisés dans le blanchiment d’argent et le nettoyage des coffres publics; de l’autre, la police et les juges spécialisés dans le « blanchiment des moeurs ». Allez, du balai !

https://pixabay.com/pt/bruxa-bruxaria-broomstick-vassoura-155291/
Image Pixabay

4. Petrolão

Franchement, il aurait fallu plus d’imagination pour désigner le scandale de corruption qui frappe la société pétrolière Petrobras. C’est clair, il s’agit d’un plagiat délibéré du mot mensalão, tellement célèbre tant il avait ébranlé le gouvernement Lula. Non, vraiment, j’aurais préféré un autre mot, plus original, pas celui-ci qui me donne un sentiment de déjà-vu.

Bon, en même temps, au Brésil, la corruption est en soi, c’est du déjà-vu

Lien avec le football: Petrolão, bien que pas trop sexy comme appellation évoque pour les amoureux du ballon rond des noms aussi populaires que ceux des stades Minerão, Castelão, Baradão… et maracanaço?. Euuh, naaan! Ça, c’est une autre histoire…

5. Pauta-Bomba

Les Brésiliens aiment les drames. Depuis qu’il a été lié par le principal témoin de l’affaire Lava-Jato au scandale de corruption (voir point 3), l’actuel président de la chambre des députés Eduardo Cunha – un typique coxinha (voir point 2)- menace de faire exploser le gouvernement Dilma Rousseff. Il s’est ouvertement déclaré opposant du palácio do Planalto.

Rapport avec le football: aucun.

via GIPHY

6. Pedalada

Couverture du livre Eloge de l'esquive publié chez Grasset
Couverture du livre Eloge de l’esquive publié chez Grasset

Pedaladas fiscais renvoie directement au génie brésilien lorsqu’il s’agit de dribler le fisc. Ici, au fisc comme au football. On drible, on danse, on esquive comme dans le livre d’Olivier Guez, Eloge de l’esquive. Extrait :

Le dribble n’est pas né par hasard au Brésil. Les premiers joueurs noirs ont commencé à dribbler pour éviter les contacts avec les défenseurs blancs et éviter de se faire rosser sur la pelouse et à la fin des matchs. Il s’est développé sur les plages et les terrains vagues, avec une pelote de chaussettes ou une petite balle en caoutchouc. C’est un mouvement de hanche, similaire à celui des danseurs de samba et des lutteurs de Capoeira, ludique, acrobatique, marque des plus grands solistes. « Audace et joie » – la devise de Neymar. Le football est sublime, puéril, et s’il suscite tant d’émotions, il le doit au dribble brésilien : un art libre, joyeux, passionné, habité par les mots.

Référence au football: Le dribleur fiscal, le « passeur de jambes », c’est le Brésilien corrompu par excellence. Pédaler, c’est faire des passements de jambes. Aucune allusion au vélo, ni à Mathieu Valbuena… plutôt à Robinho, je dirais…

_______

* Pour désigner un petit but insignifiant ou un score de 1-0

** Pessoas que dizem coisa com coisa.

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’analyses sur le Brésil : @sk_serge et n’hésitez pas à vous abonner sur le blog.

 


Dilma Rousseff : «Bénissez-moi mon père car j’ai péché, cela fait 67 ans que je suis une femme»

 Blog do Planalto| Flickr.com
Blog do Planalto| Flickr.com

Pendant la campagne électorale de 2014 au Brésil, une caricature avait été remarquée sur Internet grâce à son caractère très critique. On y voyait un journaliste faire face à son créateur au moment du Jugement dernier. Face à Dieu, l’homme plaide pour sa cause demandant la clémence pour ses péchés ici bas. Alors que Dieu s’apprête à le condamner, il décide de sortir son arme secrète, imparable comme le marteau de Thor, il assène une défense infaillible : au moins moi, je n’ai pas travaillé pour Veja… ». Désormais, il faudra inclure le Magazine Epoca dans la liste des médiums non grata au Brésil.

Alors que Veja semblait détenir le monopole de l’imbécilité dans la presse brésilienne, le magazine Época vient tout juste de lui ravir le « prestigieux » poste de leader de l’anti-journalisme. En effet dans un article intitulé « Dilma et le sexe » qui a par ailleurs provoqué un tollé dans le pays, et également sur les réseaux sociaux, un éditorialiste du magazine Época attribuait « les mauvais résultats de l’administration Dilma à un manque de sexe évident chez la présidente ».

Dans une espèce de psychanalyse tirée directement de la tête de Raspoutine*, l’éditorialiste affirme :

Je ne la connais pas personnellement, mais il est probable que sa sexualité ait été soustraite depuis au moins une décennie, comme pour prouver exactement le contraire, à savoir que : »le pouvoir et le sexe doivent s’anéantir ».

Si l’on était à l’échelle internationale, on ne serait pas loin de l’incident diplomatique. Le fait est que Dilma Rousseff n’a jamais été épargnée par les médias. Sans jamais être pris au sérieux, plusieurs analystes ont par le passé pointé du doigt le machisme dont la présidente Rousseff était clairement victime. Cet article de Época est un marqueur. Je n’ai pas mémoire d’un autre chef d’Etat à qui l’on aura infligé un tel traitement.

Pas la première fois

Cela remonte à plusieurs années déjà, mais ce fait m’avait déjà semblé atypique en 2010 lors de la première campagne électorale de Dilma Rousseff. Reçue par le journaliste Datena (prochain candidat aux élections municipales de São Paulo) dans une émission quotidienne de la chaîne de télévision Band, Dilma Rousseff avait dû faire face à un interrogatoire « musclé » sur ses années de captivité, le journaliste n’hésitant pas à lui demander si elle avait été violée pendant la dictature militaire.

S’il le savait déjà, pourquoi poser la question? S’il l’ignorait, pourquoi poser la question? Quelle était l’utilité publique d’une telle question? Personnellement, je n’en vois pas.

Etre la première femme élue présidente du Brésil s’avère être un motif supplémentaire qui l’expose à la critique. Dilma Rousseff doit presque s’excuser de ne pas être un homme dans un pays où les médias constituent le symbole le plus visible du machisme séculaire.

A l’instar de l’opposition acharnée dont Barack Obama a été la cible par le simple fait d’être un Noir, certains médias brésiliens souhaiteraient sans doute qu’il y ait plus de testostérones dans les couloirs du palais du Planalto. Dilma Rousseff paye le prix d’être une femme.

La presse française pratique le « deux poids deux mesures »

J’en profite pour rebondir sur un sujet connexe qui me dérange particulièrement. Alors que les manifestations politiques au Brésil gagnent en visibilité sur le plan international, il est tout à fait triste de constater le niveau – très bas – des articles publiés sur le site internet du journal Le Monde. Pour un journal de cette envergure, on est en droit de se demander si ce média n’a pas adopté le « suicide médiatique » comme modus operandi.

Avec des correspondants qui parlent à peine portugais et se permettent de prendre parti pour l’opposition chaque fois qu’ils publient un article sur le Brésil, on ne s’étonne plus de voir les ventes du Monde chuter. Pendant ce temps, le New York Times voit le nombre de ses abonnés augmenter. C’est qu’ils traitent l’information avec beaucoup plus de sérieux.

Deux articles du Monde ont attiré mon attention cette semaine. Le premier, publié lundi dernier, titrait sobrement « Au Brésil, la présidente Dilma Rousseff fortement contestée dans la rue ». Aucun problème, a priori, si ce n’est le parti pris qui allait suivre dès vendredi avec un article discriminant les manifestations de soutien à la présidente Dilma Rousseff, les qualifiant d' »ambiguës ». Une curieuse démarche quand on sait que les manifestants opposés à la présidente demandaient, entre autres, l’intervention des militaires; ce que Le Monde se gardera bien de signaler.

Cela me paraît être une faute grave, évidemment. D’autant plus qu’un journaliste chilien a quant à lui fait un travail plus complet sur les manifestations « anti-Dilma »:

Le Monde n’est pas le seul à commettre ce genre de « facilité ». Il m’a toujours semblé très problématique qu’à chaque article portant sur la corruption au Brésil, le site de RFI attache invariablement une photo de Dilma Rousseff. On peut comprendre que l’image de la présidente représente le Brésil, mais pourquoi ne le fait-on pas pour les articles qui parlent de football? Cela me dérange, et je pense qu’un effort doit être fait pour corriger cet aspect.

Capture d'écran sur le site de RFI
Capture d’écran sur le site de RFI

S’il n’y a aucune preuve contre elle, pourquoi rattacher son image à ce genre d’articles? 

________

* Le fidèle compagnon de Corto Maltese.

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’analyses sur le Brésil: @sk_serge et n’hésitez pas à vous abonner sur le blog.

 


Les six religions les plus importantes du Brésil ne sont pas celles que vous croyez

https://pixabay.com/pt/photos/bible/
Image libre de droit: Pixabay.com

Qu’est-ce qu’une religion ? « C’est tout système de pensées qui établit une claire distinction entre ce qui relève de l’ordre du sacré et ce qui appartient au profane ». C’est  ce qu’on peut lire dans le livre fleuve d’Emile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse [PDF]. Et qu’est-ce qui relève du sacré alors ? Dans un système religieux, donc, c’est tout ce qui est frappé du sceau de l’interdit. Hum, on avance un peu. Maintenant, voyons quelles sont, à partir de cette petite définition, les six religions les plus importantes du Brésil. Je vous préviens tout de suite que ce ne sont pas celles que vous pensez.

Les anciennes grandes religions…

Si vous êtes étranger et qu’on vous demande de citer trois grandes religions au Brésil, je devine qu’il vous viendra à l’esprit de mentionner le catholicisme, le mouvement évangélique et peut-être même le candomblé si vous êtes un peu « zinzin »…

Je vous dirais tout de suite que vous vous trompez simplement parce que les religions que vous citez ne distinguent pas clairement ce qui relève de l’ordre du religieux et ne sont frappées par aucun interdit, du moins au Brésil. Tenez un exemple. Le candomblé, qui est une religion africaine très répandue dans l’Etat de Bahia, notamment parmi les stars du showbiz (!), que peut-il vous arriver si vous la critiquez ? Rien.

D’ailleurs se moquer des religions afro-brésiliennes est un sport collectif assez prisé, surtout par les médias. Prenons maintenant les évangéliques. Que vous arriverait-il en les critiquant publiquement ? Rien du tout. A contrario, ne pas les critiquer vous ferez passer pour un fou. Après tout, ces gens sont notoirement homophobes, ils pratiquent l’extorsion comme nos amis de la Scientologie …  ils sont contre l’avortement, ils sont pour la réduction de la majorité pénale, ils sont contre la consommation récréative du cannabis… les salauds ! Bref ils sont infréquentables.

Et les « cathos »? Bien qu’au Brésil, les catholiques n’organisent pas souvent de « Manif pour tous« , ils sont très bons pour mettre en place des manifs contre la démocratie, ou plutôt, en faveur de l’intervention militaire comme l’indique si bien le chercheur Richard Marin [PDF]:

L’Église catholique brésilienne s’est ralliée dans un premier temps au régime militaire avant de s’y opposer. Pourquoi un tel revirement ? Et comment rendre compte de la posture inverse du monde protestant, largement soumis à la dictature ?

A partir de mars 1964, les Marches de la famille, avec Dieu, pour la liberté, organisées par des associations civiles traditionalistes, prennent le relais. Rosaire et drapeau du Brésil à la main, d’impressionnants défilés se déroulent dans les grandes villes, les clercs en bonne place.

Cette photo a été prise par un collègue blogueur pour Mondoblog à Abidjan, Grand Bassan
Cette photo a été prise par un collègue blogueur pour Mondoblog à Abidjan, Grand Bassam

« Ne nous fixons pas d’objectifs »

Quelles sont-elles alors, ces religions? Il s’agit de Lula, l’ancien président du Brésil – futur aussi ? -; de l’actuelle présidente du Brésil – bientôt « ancienne » avant l’heure? -; d’un ancien présidentiable, Aécio Neves; du Parti des travailleurs (PT); du PSDB, l’éternelle opposition – depuis 2002 – et finalement de… Neymar.

Je vous le dis, en arrivant au Brésil, évitez ces six sujets si vous ne voulez pas qu’une conversation dégénère, un peu comme on fait en Côte d’Ivoire pour Laurent Gbagbo.

Pour Neymar, par exemple, le fait que l’UEFA ne l’a pas mis dans sa liste des trois meilleurs footballeurs de 2015 a été vécu comme un affront du côté de Rio et São Paulo. Pour les Brésiliens, dans le football, il y a « Saint Neymar » et les autres. L’ancien président Lula est l’autre religion du peuple brésilien. Enfin, ceux de gauche. Parce qu’à droite l’idole du moment se nomme Aécio Neves. J’éviterai de trop en parler… un de mes amis pourrait me lire.

Ensuite, il y a le PT. Ah le PT! Quel parti ! Pour certaines personnes le PT est la manifestation même de l’éthique en politique; alors que pour d’autres, c’est exactement le contraire. Je ne sais pas qui a complètement tort ou complètement raison (probablement personne). Je sais seulement qu’il y a des professeurs – membres du PT – qui préfèrent participer aux meetings du parti plutôt que donner cours… ils servent leur pays, disons-le comme ça.

Et puis, le PSDB, le parti d’Aécio Neves et du gouverneur de São Paulo, tous deux opposants de Dilma Rousseff. Ces trois-là jouissent d’une immunité auprès de leurs supporters qui relève de la religion. Du fanatisme même.

Même lorsque la présidente Dilma Rousseff énonce la plus grosse bêtise du siècle, elle trouve encore du soutien, preuve qu’elle n’est pas la seule à abuser de la caféine :

Ne nous fixons pas d’objectifs, mais dès que nous les atteindrons, nous tâcherons de les multiplier par deux ».

Et pourquoi pas par trois? Enfin, on en est là.

Quant à nous, les athées qui n’ont pas de fausses idoles et ne vénérons que les seules vraies divinités de l’univers – Maradona, Zidane, Bielsa et Clint Eastwood (oui, messieurs!) – il est très difficile de s’engager dans une discussion avec un Brésilien.

______

Pour plus d’informations et d’analyses sur le Brésil, suivez-moi sur Twitter: @sk_serge

P.S: Lien utile sur les manifestations de ce dimanche 16 août contre Dilma Rousseff. (en portugais)

 


Télévision : l’Africain idiot, on voudrait rire, mais…

https://www.flickr.com/photos/javic/300263702/sizes/o/
Maasa Marai warriors jumping – crédit photo: JaviC | Flickr.com

Au Brésil, on considère qu’un Haïtien est un Africain. N’y voyez pas une espèce de prise de conscience post-colonialiste mixée de l’idéologie de la négritude. Non, c’est par pure ignorance. Un état de fait qui se ressent surtout dans les médias. L’Africain est une généralité, une banalité sans nom, sans identité, hybride et grotesque. Une émission de la chaîne de télévision Band cristallise tous les clichés sur l’homme noir et l’Africain. Mais, il paraît que cela doit nous faire rire.

Il y aurait beaucoup à dire ici. Doit-on encadrer l’humour ? Les Haïtiens victimes d’une tentative d’assassinat à São Paulo, etc. Tout cela en dit long sur le statut des Noirs au Brésil. Je me souviens bien de ce jour où en sortant du Carrefour une femme arrête sa voiture à ma hauteur pour me demander si j’étais Haïtien… J’imaginais bien qu’elle souhaitait témoigner sa solidarité envers le peuple haïtien, d’où cette interpellation plutôt maladroite à laquelle je n’ai d’ailleurs pas répondu.

Néanmoins, ce geste est aussi la preuve d’une ignorance sans bornes. S’il faut arrêter tous les Noirs dans le pays sous prétexte qu’ils ressemblent aux Haïtiens, nous ne sommes pas sortis de l’auberge… Notez bien qu’ici, « Haïtien » prend curieusement un nouveau sens, il acquiert le statut d’une race.

Pour en revenir à l’humour et donc à l’objet de cette note, je vous soumets tout de suite la vidéo qui crée la polémique.

Il s’agit d’une tranche de l’émission Pánico na Band – Panique sur Band TV – à l’humour très franchement douteux. Sur un tout autre registre, il convient de dire que l’émission est un condensé de machisme et de sexisme; les femmes y étant exposées comme de la chair fraîche tout juste bonne à se trémousser le derrière. Le cadrage du caméraman, très subjectif, n’hésite pas à se focaliser sur une paire de fesses bourrées de silicone. Bon appétit !

On y voit ensuite un jeune homme assez maigre (premier cliché sur les Noirs au Brésil, et surtout les criminels… pas les politiques, hein!) descendre d’une Mercedes blanche. Le sujet n’a pas de nom. Pas besoin, le seul adjectif africano suffira. On retiendra qu’il est blanc et que pour représenter un jeune Africain, il a recouvert sa peau d’une peinture noire. Ça ne vous rappelle rien?

A partir de là, tout est permis. On nous présente un personnage grotesque, caricatural, frisant la folie; car, tenez-vous bien, il mange des cigarettes… Une petite concession lui est faite. Il aura droit à un deuxième nom, moins général mais tout aussi troublant. On l’appellera aussi Zulu. Tiens donc, on évolue. Il y a quelques années, on l’aurait appelé angolano.

Lorsqu’on lui demande de parler, on atteint le summum du racisme déguisé en humour. L’africano hurle dans un langage qui fait qu’on lui devine une parenté avec le Chewie du Star Wars ou, pour les plus jeunes, avec le Groot de Guardians of the Galaxy, la nouvelle franchise de « Marvel ».

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Chewbacca_Supanova_2014_(1).jpg
Chewbacca, un personnage de la saga Star Wars – crédit photo: Eva Rinaldi | wikimedia commons

Voilà à quoi se résume le divertissement à la télévision brésilienne. On y ridiculise chaque jour une catégorie de personnes que déjà l’histoire de ce pays n’a pas épargnée. Quotidiennement, les Afro-Brésiliens, les Africains et maintenant les Haïtiens doivent vivre avec cette représentation caricaturale, raciste et soit-disant humoristique produite par les médias.

Et gare à vous si vous ne la trouvez pas drôle!

_______

Partagez ce billet s’il vous a plu.

Suivez-moi sur Twitter pour en savoir plus sur le Brésil: @sk_serge


Quand les peoples se ruent sur la mairie de São Paulo

https://www.flickr.com/photos/zmi66/6204480929/sizes/z/
Crédit photo: zmi66 – ZMIphoto | Flickr.com

On découvre incrédule les noms des peoples qui annoncent leur candidature à la mairie de São Paulo, plus vaste métropole de l’hémisphère sud et capitale économique du Brésil. Rien de ce qui se passe dans cette ville n’obéit à la logique humaine. L’Etat le plus instruit du Brésil ne cesse d’élire des personnages controversés aux plus hauts postes politiques: un clown à peine alphabétisé, Tiririca, élu député fédéral étant l’exemple le plus récent. Les électeurs de São Paulo font-ils un pied de nez aux politiques en plébiscitant leurs caricatures?

Ça en a tout l’air. Les hommes politiques brésiliens n’ont plus le moral. Les scandales à répétition ont terni leur image au point que les peoples se voient pousser des ailes et se présentent aux élections certains de remporter un poste public.

A Rio de Janeiro, Romário, le plus létal des buteurs du sport roi a été largement élu sénateur pour son Etat. S’il apparaît désormais en costume-cravate, le footballeur carioca n’a rien perdu de son folklore; ses déclarations sont toujours un pur régal. Toutefois, à tout seigneur tout honneur, o baixinho – le petit homme – semble avoir gagné le respect de ses confrères aussi bien que des journalistes en raison de son acharnement contre la corruption qui gangrène son pays.

En mode « pilote automatique »

Pilote automatique

Du côté de São Paulo, j’ai plutôt l’impression que la plus grande métropole du pays navigue en mode « pilote automatique ». Pour y avoir passé quelques jours en mai dernier, j’ai pu constater que le système de transport fonctionne de façon assez efficace. Le métro est très rapide et réduit considérablement la durée des déplacements dans la ville.

Même ce qui ne marche pas semble être plutôt acceptable pour nos amis paulistanos. Du côté d’Itaquera par exemple, s’il manque parfois de l’eau, la vue du joli stade des Corinthians permet toujours d’étancher d’éventuelles sources de frustrations

Alors qu’on s’approche de la fin de l’année, certaines personnalités médiatiques officialisent leurs candidatures à la mairie de São Paulo. Ont-ils aussi l’impression que cette gigantesque métropole fonction de toute façon en mode « pilote automatique »?

Il est vrai que le maire gauchiste (et un peu gauche) de São Paulo, Fernando Haddad n’aura pas rempli le mandat le plus spectaculaire de l’histoire de l’Etat. Les philosophes ne font pas nécessairement des bons maires… Ce qui fait le charme de « l’administration Haddad », c’est qu’on a le sentiment qu’il n’y est pas du tout.

C’est déjà ça… 

São Paulo, ville autonome donc. Littéralement. Sinon qu’est-ce qui justifie que deux animateurs de télévision – l’un étant beaucoup plus connu que l’autre, il faut le dire – annoncent coup sur coup leur intention de briguer un mandat?

Tout d’abord, c’est José Datena qui s’est déclaré. Le personnage est complexe. Il aime le foot, c’est déjà ça. Avec sa voix nasale, il s’efforce d’intervenir lors des matchs de Ligue des Champions diffusés sur sa chaîne de télévision Band. C’est déjà ça !

Mais, l’homme est surtout connu pour son émission quotidienne Brasil Urgente, une espèce de téléréalité sur la violence urbaine à São Paulo. Vous savez, ces émissions de télé où les caméras suivent en direct l’action des policiers, sauf qu’ici, ça peut devenir très très dangereux…

Attention, violence !!!

« Standard, ici le maire! »

Celso Russomanno est l’autre people qui se présente. Lui, il roule pour Record. La chaîne de télévision rivale de Globo. Celui-ci présente une émission indéfinissable dont le pitch semble être la résolution des conflits entre consommateurs et entrepreneurs pas toujours honnêtes. Autant vous dire que l’on nage en mer profonde du populisme et de la démagogie journalistique. Espérons qu’il garde le standard ouvert s’il est élu… hum, hum !

En tous les cas, cette année la course à la mairie de São Paulo risque aussi d’être celle des « paparazzi ». A côté de ces deux présentateurs vedettes se présente un… autre présentateur d’émission de télé. Vous l’aurez compris, on est en pleine téléréalité.

João Doria, présente également une émission d’interview sur la chaîne Band. Homme d’affaires plus que journaliste ou animateur, l’homme apprécie le bling-bling. Il sera peut-être le plus à l’aise lors des débats (s’il y arrive) car habitué à interviewer… des peoples. Je ne le fais pas exprès, c’est promis.

Je me suis souvent demandé comment une ville comme São Paulo (et plus largement l’Etat de São Paulo) continuait d’élire des gouvernements conservateurs malgré un niveau de culture relativement élevé par rapport au reste du pays? J’ai vite compris en y passant un moment que « Sampa » n’avait pas besoin de gouvernant. La ville est en autogestion. En mode pilote automatique.

Alors, élire un philosophe, un clown ou un people, qu’est-ce que ça change au fond?

______

Partagez ce billet s’il vous a plu.

Suivez-moi sur Twitter pour en savoir plus sur le Brésil: @sk_serge


#FMLF2015 : « j’irai voir mes oncles belges »

https://www.flickr.com/photos/saigneurdeguerre/11913463083/sizes/z/
Brussels Balloon’s Parade 2013 – crédit photo: saigneurdeguerre

En 2013, je passais par une phase de transition dans ma vie académique et professionnelle. J’hésitais entre deux projets de recherche pour mon master en Sociologie des médias. J’avais le choix entre étudier l’Industrie culturelle suivant une approche allemande ou alors me dédier à une étude concrète de l’émergence des Nouveaux médias en Afrique. Mais même dans ce second cas, le thème n’était pas clairement défini. Cette même année, les responsables de l’émission Atelier des médias (RFI) m’invitent à participer à une formation pour « des blogueurs du monde entier… ». J’étais loin de me douter que ce voyage me permettrait de rencontrer l’une des personnes qui a le plus influencé ma trajectoire académique et professionnelle: Benoît Thieulin (@thieulin).

Pour ceux d’entre vous qui ne le connaissent pas, je vous recommande de regarder la vidéo ci-dessous. Benoît Thieulin est une personne qui, à chaque fois qu’il s’adresse aux médias, inspire la jeunesse un peu partout dans le monde. Je crois même qu’il ne s’en doute pas lui-même. A titre personnel, je suis un fan de ce monsieur…

J’ai rencontré monsieur Thieulin à Dakar dans une auberge où nous étions tous logés à l’occasion de la formation annuelle de Mondoblog. Profitant d’un des rares moments où nous avions du temps libre, Ziad Maalouf nous a invités sous la paillote (hé hé, joli cliché africain, mais c’est vrai…) afin d’écouter « quelques mots que Benoît souhaitait partager avec nous ».

S’ensuivait un discours sur l’émergence des Nouvelles technologies et leur capacité à donner du pouvoir aux citoyens un peu partout dans le monde – le fameux concept de l’Empowerment qui n’a malheureusement pas de traduction en français.

L’optimisme de Benoît Thieulin contraste avec le pessimisme d’un Finkielkraut ou d’un Umberto Eco (même les génies ont un moment de bêtise) quant à l’importance d’Internet.

Umberto Eco et Internet por liberation

Je rappelle juste que les affirmations d’Umberto Eco et Finkielkraut ne sont basées sur aucune recherche de terrain…

Bref, ce « discours de Dakar » sous la paillote a changé ma vie puisqu’il m’a irrémédiablement fait pencher du côté de la seconde option qui s’offrait à moi. Dès mon retour au Brésil, je rédige un projet de recherche sur les « Nouveaux médias et l’empowerment en Afrique francophone grâce aux blogs ». Le projet sera retenu en première position et obtiendra un financement.

Fin 2014, mon amie Mylène Colmar m’encourage à envoyer un projet au Forum mondial de la langue française (que nous résumerons par #FMLF2015) qui devait se tenir à Liège, en Belgique. Ce que je fais sans aucune hésitation d’autant plus que j’ai compris que les idées de Benoît Thieulin ont tendance à porter des fruits.

Me voilà donc embarqué dans une nouvelle aventure en tant que porteur de projet au #FMLF2015 , une expérience qui s’annonce déjà très riche.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis rendu à São Paulo cette année. C’est aussi pour cela que j’ai considérablement réduit mon rythme de publication sur ce blog, car j’étais engagé sur plusieurs fronts à la fois. De toute façon, j’adore travailler sous pression…

Voilà donc pour les nouvelles chers amis du blog Carioca Plus. Je me rendrai dès samedi à Liège pour présenter un atelier au #FMLF2015 en pensant très fort à Benoît Thieulin et au jour où j’aurai l’occasion de le remercier personnellement; et j’en profiterais pour revoir une très grande amie de Guadeloupe

_______

P.S: – Pour ceux d’entre vous qui se demandent encore pourquoi les Belges sont mes oncles, sachez que depuis la fin de la colonisation belge au Congo, ces derniers ont acquis ce statut dans la culture populaire congolaise… puis zaïroise… puis congolaise. Les « noko » (nos oncles), c’est ainsi que nous nous référons affectueusement ou haineusement (!) à nos perpétuels anciens colons belges en RD Congo.

– Si vous avez le temps la semaine prochaine, suivez ce mot-clé sur Twitter : #FMLF2015

 

Suivez-moi sur Twitter: @sk_serge


Brésil: En finir avec la « Seleção »

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Brazil_1970_Subbuteo_P1010304.JPG
Crédit photo: Sportingn | Wikimedia Commons

J’ai hésité avant d’écrire ce billet, mais l’heure n’est plus à la tergiversation. Il est temps de prendre des mesures drastiques pour en finir une bonne fois pour toute avec ce spectacle décadent qu’est dévenue la « Seleção ». Neymar, David Luiz et Dunga ne sont que les bouc émissaires d’un mal plus profond qui détruit le football brésilien depuis des décennies. Il faut en finir avec l’équipe brésilienne de footaball.

« Sommes-nous arrivés au point de non-retour avec cette équipe brésilienne de football? ». Je posais la question sur le réseau social Facebook puisqu’un ami brésilien montrait son inquiétude quelques minutes après la victoire sur le fil du Brésil face aux vénézueliens. Sans vouloir leur manquer de respect, on connait les vénézueliens pour leur capacité à remporter Miss univers et consorts. Le football a toujours été la chasse gardée des « canaris ». Mais ça, c’était avant. Car aujourd’hui, les vénézueliens proposent un jeu égal, sinon meilleur que celui de la Seleção « Venezuela toca, Brasil corre »*.

Tragique football brésilien. Tragique journée que ce dimanche 21 juin. Les joueuses brésiliennes qui tombent face à une équipe bureaucratique d’Australie. Sérieusement? L’Australie? N’est-ce pas le pays des Kangurus plutôt connu pour produire des grands champions du Rugby? Les voilà reconvertis en bourreaux des brésiliens.

A qui la faute?

La question mérite d’être posée. Et il convient de dépasser les arguments de comptoire. Les premiers respondables sont simultanément la Confédération Brésilienne de Football (CBF) ainsi que les plus grands sponsors qui la financent. Le journal brésilien Folha de São Paulo publiait une série d’articles dénonçant les nombreux scandales touchant la seleção; cela va jusqu’à l’influence de certains équipementiers dans le choix des joueurs ainsi que de leurs remplaçants.

Même le « teigneux » Felipe Scolari n’a pu résister à la pression, souligne Folha. Le scandale à la Fifa a eu raison de Sepp Blatter, mais il aura surtout servi à montrer la profondeur des dégâts produits par une corruption séculaire dans les hautes sphères football sud-américain. « A quoi aura servi, par exemple, ce match de football au Qatar entre le Brésil et l’Argentine? »**, s’interroge le journaliste de ESPN Brasil, Paulo Calçade. « Quel est le rôle des joueurs? », poursuit un autre.

Il m’arrive très souvent de m’arrêter à un café et de discuter avec des personnes beaucoup plus âgées que moi. Qui sait la sagesse que je pourrais leur soutirer? C’est ainsi qu’un vieux monsieur ayant passé la soixantaine me racontait « son histoire » de la Seleção qui pour lui s’arrête en 1982, autant qu’elle commence en 1958. Il entonne une chanson citant les grands joueurs de l’époque: « Pelé, Garrincha, Vavá, Bellini, Rivelino, mais lui c’est juste après, en 1970 » me dit-il pour prouver que sa mémoire tient encore. « Clodoaldo! », lui dis-je. « Oui, Clodoaldo », retorque-t-il avec un gros sourire. Essayez de trouver quelqu’un qui vous cite le onze titulaire du dernier match de la Seleção

https://pt.wikipedia.org/wiki/pt:Brasil?uselang=en#/media/File:Selo_da_Copa_de_1970_3_cruzeiros.jpg
Un timbre rendant hommage à seleção de 1970 – crédit photo: Halleypo

Je lui dis que le problème de la Seleção, c’est qu’il lui manque un entraineur. « Mais non », répond-t-il, comme qui connait des secrets. « Le problème de la Seleção, c’est que l’entraineur ne choisit par ses joueurs ». Ce qui n’est pas le cas du Chili vraisemblablement.

La simple lucidité de cet homme fait échos à l’enquête de Folha de São Paulo et révèle le discrédit de cette équipe de football qui ne représente plus personne. Et chez les femmes, la situation est encore pire. Puisqu’elles n’ont aucun soutient.

Pose café:

suite…

Clivage et crispations

Cela fait un moment déjà que je vis au Brésil et je vous garantis que ce peuple est un don du ciel. Vous rencontrerez des personnes fascinantes qui vous passeront toute envie « d’aller voir ailleurs ».

Et pourtant, il suffit que la Seleção rentre sur la pelouse pour qu’enfin se manifeste le côté le plus rétrograde et conservateur du Brésilien. Pardonnez-moi de généraliser encore une fois, mais c’est malheureusement le cas de la majorité. Un brésilien n’acceptera jamais d’admettre qu’une autre équipe de football développe un jeu plus attractif. Critiquer Neymar alors, un sacrilège. Pas étonnant que le môme ait la tête enflée.

Les brésiliens, en général, sont incapables de faire une autocritique lorsqu’il s’agit de football. S’ils se montrent démésurément critiques contre leur propre pays quand le sujet est la pauvreté ou le sous-développement, ils ont l’assurance des nord-américains lorsque le débat tourne autour du ballon rond.

Imaginez quelle fut ma stupéfaction lorsqu’un journaliste de ESPN Brasil affirmait d’un air aussi naturel qu’un Donald Trump se présentant aux présidentielles américaines: « qu’aucun autre technicien étranger ne pourrait coacher le Brésil parce que c’est quelque chose de particulier ». Bon sang! Cet homme essayait de faire comprendre au public (qui paie un abonnement pour écouter ses inepties…) que Dunga ferait nécessairement un meilleur travail à la tête de la sélection « canari » qu’un Guardiola ou un Mourinho.

De plus, 2014 a été une année extrêmement stressante tant en matière de politique – à cause des élections – que de sport – à cause de la Coupe du monde. Et de manière plus dramatique, la crise économique, les scandales politiques et Petrobras… Je ne me souviens pas avoir passé une année aussi clivante au Brésil. Pour couronner le tout, la lourde correction administrée par les allemands à le seleção (7-1) a confirmé l’annus horribilis que nous vivions et, dès lors, annihilé le mythe du jogo bonito***.

Pose café de 10 minutes:

Suite…

D’autres priorités

Cet état de chose ne me convient plus. J’aime le football. Je l’aime lorsqu’il véhicule encore certaines valeurs. Je ne suis pas un partisan de « la fin justifie les moyens ». Peut-être est-ce la raison pour laquelle j’aime Arsenal et non Paris SG.

Mais dans la vie, il y a d’autres priorités. Il y a par exemple, l’épineuse question de la réduction de la majorité pénale dont personne ne parle, il y a la grève des professeurs d’universités, il y a aussi le taux élevé des noirs assassinés dans tout le Brésil.

Pourquoi donc ne pas capitaliser notre énergie sur ces questions qui servent vraiment à quelque chose; et ainsi arrêter d’accorder de l’importance à cette seleção de la CBF pilotée essentiellement par les intérêts de Nike; une équipe de football qui symbolise l’outrageante arrogance du foot business, et qui par ailleurs ne joue plus sur le sol brésilien. On l’appelle même la « seleção de Londres« …

Pour le reste, je pense bien que c’est mon dernier billet sur la Copa América. En effet, pour une raison d’équilibre, je ne lui dédie « que » deux articles comme pour la CAN. Même niveau de jeu, même nombre d’articles. Soyons justes.

______

* Le Vénézuela joue à la passe, le Brésil court après le ballon.

** Nous avions noté la présence remarquée de Zinédine Zidane à l’occasion.

*** Le beau jeu.

Suivez-moi sur Twitter, pour plus de commentaires sur le Brésil: @sk_serge