Brésil: En finir avec la « Seleção »

J’ai hésité avant d’écrire ce billet, mais l’heure n’est plus à la tergiversation. Il est temps de prendre des mesures drastiques pour en finir une bonne fois pour toute avec ce spectacle décadent qu’est dévenue la « Seleção ». Neymar, David Luiz et Dunga ne sont que les bouc émissaires d’un mal plus profond qui détruit le football brésilien depuis des décennies. Il faut en finir avec l’équipe brésilienne de footaball.
« Sommes-nous arrivés au point de non-retour avec cette équipe brésilienne de football? ». Je posais la question sur le réseau social Facebook puisqu’un ami brésilien montrait son inquiétude quelques minutes après la victoire sur le fil du Brésil face aux vénézueliens. Sans vouloir leur manquer de respect, on connait les vénézueliens pour leur capacité à remporter Miss univers et consorts. Le football a toujours été la chasse gardée des « canaris ». Mais ça, c’était avant. Car aujourd’hui, les vénézueliens proposent un jeu égal, sinon meilleur que celui de la Seleção… « Venezuela toca, Brasil corre »*.
Tragique football brésilien. Tragique journée que ce dimanche 21 juin. Les joueuses brésiliennes qui tombent face à une équipe bureaucratique d’Australie. Sérieusement? L’Australie? N’est-ce pas le pays des Kangurus plutôt connu pour produire des grands champions du Rugby? Les voilà reconvertis en bourreaux des brésiliens.
A qui la faute?
La question mérite d’être posée. Et il convient de dépasser les arguments de comptoire. Les premiers respondables sont simultanément la Confédération Brésilienne de Football (CBF) ainsi que les plus grands sponsors qui la financent. Le journal brésilien Folha de São Paulo publiait une série d’articles dénonçant les nombreux scandales touchant la seleção; cela va jusqu’à l’influence de certains équipementiers dans le choix des joueurs ainsi que de leurs remplaçants.
Même le « teigneux » Felipe Scolari n’a pu résister à la pression, souligne Folha. Le scandale à la Fifa a eu raison de Sepp Blatter, mais il aura surtout servi à montrer la profondeur des dégâts produits par une corruption séculaire dans les hautes sphères football sud-américain. « A quoi aura servi, par exemple, ce match de football au Qatar entre le Brésil et l’Argentine? »**, s’interroge le journaliste de ESPN Brasil, Paulo Calçade. « Quel est le rôle des joueurs? », poursuit un autre.
Il m’arrive très souvent de m’arrêter à un café et de discuter avec des personnes beaucoup plus âgées que moi. Qui sait la sagesse que je pourrais leur soutirer? C’est ainsi qu’un vieux monsieur ayant passé la soixantaine me racontait « son histoire » de la Seleção qui pour lui s’arrête en 1982, autant qu’elle commence en 1958. Il entonne une chanson citant les grands joueurs de l’époque: « Pelé, Garrincha, Vavá, Bellini, Rivelino, mais lui c’est juste après, en 1970 » me dit-il pour prouver que sa mémoire tient encore. « Clodoaldo! », lui dis-je. « Oui, Clodoaldo », retorque-t-il avec un gros sourire. Essayez de trouver quelqu’un qui vous cite le onze titulaire du dernier match de la Seleção…

Je lui dis que le problème de la Seleção, c’est qu’il lui manque un entraineur. « Mais non », répond-t-il, comme qui connait des secrets. « Le problème de la Seleção, c’est que l’entraineur ne choisit par ses joueurs ». Ce qui n’est pas le cas du Chili vraisemblablement.
La simple lucidité de cet homme fait échos à l’enquête de Folha de São Paulo et révèle le discrédit de cette équipe de football qui ne représente plus personne. Et chez les femmes, la situation est encore pire. Puisqu’elles n’ont aucun soutient.
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Clivage et crispations
Cela fait un moment déjà que je vis au Brésil et je vous garantis que ce peuple est un don du ciel. Vous rencontrerez des personnes fascinantes qui vous passeront toute envie « d’aller voir ailleurs ».
Et pourtant, il suffit que la Seleção rentre sur la pelouse pour qu’enfin se manifeste le côté le plus rétrograde et conservateur du Brésilien. Pardonnez-moi de généraliser encore une fois, mais c’est malheureusement le cas de la majorité. Un brésilien n’acceptera jamais d’admettre qu’une autre équipe de football développe un jeu plus attractif. Critiquer Neymar alors, un sacrilège. Pas étonnant que le môme ait la tête enflée.
Les brésiliens, en général, sont incapables de faire une autocritique lorsqu’il s’agit de football. S’ils se montrent démésurément critiques contre leur propre pays quand le sujet est la pauvreté ou le sous-développement, ils ont l’assurance des nord-américains lorsque le débat tourne autour du ballon rond.
Imaginez quelle fut ma stupéfaction lorsqu’un journaliste de ESPN Brasil affirmait d’un air aussi naturel qu’un Donald Trump se présentant aux présidentielles américaines: « qu’aucun autre technicien étranger ne pourrait coacher le Brésil parce que c’est quelque chose de particulier ». Bon sang! Cet homme essayait de faire comprendre au public (qui paie un abonnement pour écouter ses inepties…) que Dunga ferait nécessairement un meilleur travail à la tête de la sélection « canari » qu’un Guardiola ou un Mourinho.
De plus, 2014 a été une année extrêmement stressante tant en matière de politique – à cause des élections – que de sport – à cause de la Coupe du monde. Et de manière plus dramatique, la crise économique, les scandales politiques et Petrobras… Je ne me souviens pas avoir passé une année aussi clivante au Brésil. Pour couronner le tout, la lourde correction administrée par les allemands à le seleção (7-1) a confirmé l’annus horribilis que nous vivions et, dès lors, annihilé le mythe du jogo bonito***.
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D’autres priorités
Cet état de chose ne me convient plus. J’aime le football. Je l’aime lorsqu’il véhicule encore certaines valeurs. Je ne suis pas un partisan de « la fin justifie les moyens ». Peut-être est-ce la raison pour laquelle j’aime Arsenal et non Paris SG.
Mais dans la vie, il y a d’autres priorités. Il y a par exemple, l’épineuse question de la réduction de la majorité pénale dont personne ne parle, il y a la grève des professeurs d’universités, il y a aussi le taux élevé des noirs assassinés dans tout le Brésil.
Pourquoi donc ne pas capitaliser notre énergie sur ces questions qui servent vraiment à quelque chose; et ainsi arrêter d’accorder de l’importance à cette seleção de la CBF pilotée essentiellement par les intérêts de Nike; une équipe de football qui symbolise l’outrageante arrogance du foot business, et qui par ailleurs ne joue plus sur le sol brésilien. On l’appelle même la « seleção de Londres« …
Pour le reste, je pense bien que c’est mon dernier billet sur la Copa América. En effet, pour une raison d’équilibre, je ne lui dédie « que » deux articles comme pour la CAN. Même niveau de jeu, même nombre d’articles. Soyons justes.
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* Le Vénézuela joue à la passe, le Brésil court après le ballon.
** Nous avions noté la présence remarquée de Zinédine Zidane à l’occasion.
*** Le beau jeu.
Suivez-moi sur Twitter, pour plus de commentaires sur le Brésil: @sk_serge
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