Serge

Racisme? une semaine haute en couleurs au Brésil

https://bahamut-eternal.deviantart.com/art/Aladdin-x-Jasmine-Cosplay-Session-15-386260765
Crédit photo: Bahamut-Eternal

J’aurais pu écrire un long billet de blog pour vous raconter cette « semaine typiquement brésilienne », surtout pendant le carnaval (ça réveille, n’est-ce pas?), mais, je vais me contenter d’un petit résumé de l’actualité très colorée du côté de Rio et de Belo Horizonte. Et je ne parle même pas du virus Zika… 

1) Le petit singe et le petit prince:

Imaginez, un couple blanc (hétéro, soyons précis, parce que la dernière fois que j’étais à un café avec mon frère, une amie lui a demandé s’il était marié en précisant: « avec un homme ou avec une femme? C’est dire, il faut être prêt à tout…) qui adopte un petit garçon noir. Pour le carnaval, ils décident d’arborer une combinaison plutôt sympathique (naïve?!) représentant Aladdin, la princesse et … un petit singe. Dévinez qui joue le rôle du singe? Disons seulement, en toute naïveté (?!) que le père a commis une petite maladresse (d’homme blanc) en oubliant de se prévenir de toute association « dramatique » (et racialisante) à l’ère des réseaux sociaux, mais surtout, en plein carnaval.

2) Une vraie noire et une bonne noire:

Le journal britanique (toujours eux) The Guardian crée le buzz au Brésil et un peu partout (je crois, vu le thème) en racontant l’histoire d’une passiste de samba sélectionnée par le public, puis évincée du traditionnel programme de télévision Globeleza diffusé sur Globo. Nayara Justino, bien trop noire pour passer à la télé à midi, juste à l’heure du déjeuner de ces petites familles blanches comme on les aime au Brésil, a été remplacée par une autre passiste, un peu moins noire (donc plus claire, donc plus belle, donc plus acceptable, donc plus commercialisable…) sans aucune autre raison que … le mérite. Bien sûr, ça aide, d’être plus claire, lorsqu’il faut danser toute nue à midi devant de millions de brésiliens.

 
Bom carnaval !
_______
Suivez-moi sur Twitter pour parler un peu plus du Carnaval: @sk_serge
 


Quand le virus Zika révèle des inégalités sociales au Brésil

https://pt.wikipedia.org/wiki/Aedes#/media/File:Aedes_aegypti_CDC-Gathany.jpg
Aedes aegypti, le moustique qui transmet le virus Zika – crédit photo: James Gathany /Wikimedia Commons

« Les femmes doivent éviter de tomber enceinte! ». Voici l’une des phrases les plus entendues et lues ces derniers mois dans les médias en général et particulièrement sur les réseaux sociaux. Après que le Ministère de la Santé ait annoncé une « possible » corrélation entre l’occurrence de la microcéphalie chez les nouveaux-nés et la contamination [de leurs mères] par le virus Zika pendant la période de gestation, un terrorisme médiatique s’est peu à peu installé au Brésil. Ce raccourci, dont la méthodologie a été remise en question par plusieurs anthropologues cache également une stratification sociale que personne ne veut assumer.

Le Zika, les noires et les blanches

Oui. Il faut assumer cette analyse. Il faut méconnaître le Brésil pour penser que les femmes noires sont exposées à la même enseigne que leurs compatriotes blanches des classes plus aisées. Loin de moi l’idée d’adopter une posture complotiste sur ce blog; toutefois, il est intéressant de s’attarder sur la lecture de l’anthropologue brésilienne Débora Diniz qui dénonce la campagne médiatique visant à terroriser les femmes à défaut de proposer de mesures sanitaires plus intelligentes.

Une fois que la corrélation entre le « Zika virus« , comme il est également connu, et la microcéphalie chez les nouveaux-nés n’est pas encore démontrée scientifiquement, il apparaît que toute interdiction de tomber enceinte faite aux femmes relève pure et simplement du contrôle de natalité.

Sur les réseaux sociaux, il n’est plus rare de tomber sur des messages sans aucune objectivité appelant les femmes à ne pas tomber enceinte.

On conseille aux femmes de ne pas tomber enceinte (capture d'écran sur Facebook)
On conseille aux femmes de ne pas tomber enceinte (capture d’écran sur Facebook)

De qui parle-t-on objectivement?

A y regarder de plus près, ce ne sont pas les femmes blanches les plus concernées par ces alertes de panique. En 1995, une étude menée par des scientifiques de l’Université de São Paulo établissait une corrélation entre la race des individus et l’accès à l’assainissement. L’étude concluait [PDF en portugais] que les inégalités sociales qui ont déjà des déterminants raciaux produisaient des incidences selon les races.

En 2013, une étude encore plus concluante de la chercheuse Sônia Beatriz dos Santos montrait de la même manière que les familles noires se retrouvent au bas de l’échelle sociale sur la question de l’accès à l’assainissement.  Plus encore que les inégalités raciales déjà conséquentes – 77 % des blancs ont accès aux infrastructures publiques d’assainissement de l’environnement contre 60 % des noirs – , ce sont les inégalités sociales qui sont les plus flagrantes: les noirs vivant dans de conditions de vulnérabilité les plus évidentes.

Les quartiers à prédominance noire sont ceux où l’on compte plus de cas d’internations causées par la diarrhée et également un manque d’égouts.

Il semble donc évident que ce droit jusqu’ici naturel de chaque femme de tomber enceinte soit devenu malheureusement le privilège des seules riches. En somme, là où l’Etat peine à proposer des solutions qui soient de l’ordre d’une politique de santé publique [égalitaire] bien pensée, nous sommes reduits à accepter un contrôle de natalité pour les pauvres imposé par ce maudit virus Zika.

_____

Partagez cet article sur les réseaux sociaux.

Suivez-moi sur Twitter pour poursuivre le débat @sk_serge


Les Huit Salopards: traité hilarant contre le racisme

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Quentin_Tarantino_C%C3%A9sars_2014_3.jpg
Quentin Tarantino | Wikimedia Commons

Le cinéaste américain Quentin Tarantino fait très fort avec un retour aussi bien violent qu’hilarant au Western classique. Les Huit Salopards est sans doute la synthèse la plus complète et la plus critique du cinéma américain et au-delà de cela, des mythes américains. Tarantino règle des comptes avec John Ford, D. W. Griffith ou Spielberg prenant en charge la problématique indépassable du racisme aux Etats-Unis.

Le vrai visage de la femme tarantinienne

Que ce soit dans Kill Bill ou dans Jackie Brown Quentin Tarantino dresse un portrait des femmes que l’on pourrait qualifier de flatteur. Ils sont nombreux à considérer que Kill Bill, avec son personnage désormais mythique Béatrix Kiddo, comme l’un des films les plus féministes des vingt dernières années, bien que dans un tout autre registre que Telma et Louise. La même chose pourrait être dite des trois filles surpuissantes de Boulevard de la Mort encore chez Tarantino.

Le cinéaste semble s’être accommodé de ce rôle de défenseur inconditionnel de la gente féminine. Or, avec Les Huit Salopards, Quentin Tarantino rompt radicalement avec cette première démarche créant au passage l’une des figures les plus détestables de l’histoire du cinéma américain.

Rien, absolument rien dans le rôle incarné par Jennifer Jason Leigh n’invite à la sympathie. Toute trace de féminité est effacée, pendant une heure, elle assume le rôle de punching ball sur lequel les différents personnages déverseront leur rage quitte à abîmer son visage. Pourtant, il ne faudrait pas la confiner dans une fonction de souffre-douleur, car elle porte elle aussi des coups, plus sournoise que quiconque dans ce western; on notera le petit sourire lors de la « scène du café », mais je n’en dirai pas plus…

Comment dialoguer avec Spielberg et Ford

Dans le cinéma américain John Ford et Steven Spielberg occupent une place réservée aux plus grands. On trouve difficilement une voix capable de remettre en question le statut des deux géants, à l’exception de Tarantino. Dans Les Huit Salopards, le réalisateur revisite l’image construite autour du personnage d’Abraham Lincoln (d’abord par John Ford avec Young Mr. Lincoln) tout au long du dernier siècle hollywoodien et au-delà. La présence du seizième président américain est récurrente tout le long du film à travers des dialogues cocasses et souvent mythifiants d’un personnage tenu comme le premier responsable de l’émancipation des africains (sic) en Amérique.

Et c’est exactement à ce mythe que Tarantino s’attaque.

  1. Premièrement dans le discours très réussi d’un Samuel L. Jackson au moment où il affronte son pire ennemi (le tueur des nègres, mais là encore, je n’en dirai pas plus…) pour qui l’émancipation des noirs est un gros mensonge.
  2. Deuxièmement, et c’est pour moi LE moment le plus marquant du film, dans le geste presque banal avec lequel un renégat se débarasse d’une fameuse « lettre de Lincoln »… c’est toute l’histoire officielle de l’Amérique qui s’évapore dans ce geste. On retrouve là, la main de maître de Quentin Tarantino.

Le salut arrivera par les hommes

Si Tarantino s’attaque ici au cinéma de ses illustres prédécésseurs que sont Ford, Spielberg ou Griffith, notamment sur l’épineuse question de l’intégration des noirs dans la société américaine, la solution proposée au dilemme américain reste ancrée dans une tradition libérale plutôt inquiétante pour le coup.

Car, c’est toujours à partir du choix des individus, même lorsqu’ils agissent suivant les codes les plus primitifs de l’individualisme américain, que la réconciliation arrive. Elle le sera d’abord comme une nécessité de survivre pour chaque individu. Tarantino s’éloigne du profond sens de la communauté des Ford et Spielberg – aucun jugement de ma part.

Ce n’est pas non plus par décret présidentiel (Lincoln) que les hommes deviendront égaux, mais par l’action quotidienne de chaque individu confronté à la dure réalité d’une guerre civile dans l’éventualité où le racisme triompherait.

On entre dans une nouvelle ère à Hollywood. Celle du cinéma post-Ferguson.

Bonus: Pop Fiction sur France Inter débat sur le cinéma de Tarantino

P.S: Le personnage de Kurt Russell me fait forcément penser à un autre mythe de l’Ouest américain, Wild Bill Hickok, vu également dans la série américaine Deadwood.

_______

Merci de partager ce billet sur les réseaux sociaux

Suivez-moi sur ce compte Twitter: @sk_serge


Comment dit-on « El dorado » en mandarin?

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Chinese_Dragon_2012.jpg
Le dragon chinois – crédit photo: GoShow | wikimedia commons

Pas facile d’être optimiste quand son pays se fait gentiment plumer par les chinois. Il n’y a, dans mes propos, aucun sentiment xénophobe, loin s’en faut. Tout de même, les « attaques » directes, menées depuis la Chine, contre les clubs de football brésiliens, n’augurent rien qui vaille pour le géant sud-américain. Le Brésil apparaît, pour le coup, comme un petit oiseau blessé face au dragon d’Asie.

Le championnat brésilien de football est à peine terminé que les plus grands clubs (les plus riches, c’est plus approprié) de Chine décomposent un effectif plus que respectable. Les supporters du Corinthians de São Paulo se voyaient déjà tenir tête au futur champion européen en Coupe du monde des clubs. Eh bien, c’est râté!

En rouge, deux joueurs négociés en Chine à prix d'or. En jaune, ceux qui pourraît partir, dont l'attaquant Vagner Love pour un été à Monaco - capture d'écran.
En rouge, deux joueurs négociés en Chine à prix d’or. En jaune, ceux qui pourraîent partir, dont l’attaquant Vagner Love pour un été à Monaco – capture d’écran.

Effrayante conjoncture que la nôtre. Brésiliens ou pas, pour les résidents du Brésil, le moral n’est franchement pas au zénith, bien au contraire. L’économie va mal. Et notre plus grand garant économique, la Chine, n’est pas au mieux, à en croire les plus sombres prévisions du monde de la finance

L’encombrant ami chinois commence à agacer du côté de São Paulo. Le géant chinois éternue au Brésil, la terre tremble. Après tout, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil, au détriment des Etats Unis d’Amérique. Et quand il n’éternue pas, il nous plume.

Source: https://www.latribune.fr/
Source: https://www.latribune.fr/

Le football, métaphore d’un pays à la dérive?

On n’en est pas certain, mais il y a bien anguille sous roche. L’économie brésilienne va mal, mais jusqu’où cela peut aller? Le drame est qu’on ne voit pas la fin du tunnel, malgré les belles promesses de notre présidente Dilma Rousseff, et Dieu sait que je l’adore cette femme, combattante depuis l’époque de la dictature des militaires. Malheureusement, la santé économique du Brésil ne dépend pas que d’elle. Très précisement, elle dépend d’elle à 50 %. Le reste étant fondamentalement entre les griffes du fameux dragon.

Une pause de deux minutes est essentielle à ce niveau:

Voilà donc où nous en sommes. Les meilleurs talents brésiliens s’exportent désormais en Chine et au Japon. Les joueurs de football et les entraîneurs (Felipe Scolari, Mano Meneses et Luxemburgo, tous trois d’anciens sélectionneurs des auriverdes) ne sont que le sommet de l’iceberg.

Décidément, le Brésil est redevenu le pays de l’incertitude…

______

Commentez sur les réseaux sociaux en suivant @sk_serge


Pourquoi la France ne peut pas copier le vote obligatoire brésilien

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Compra_de_voto.jpg
crédit photo: 7com | Wikimedia Commons

La France doit-elle copier le vote obligatoire appliqué au Brésil? Ce système est-il idéal pour une démocratie aussi « vieille » que la France, ou bien reste-t-il adapté aux « jeunes démocraties »? Le site internet Slate.fr a publié un excellent article qui tente de comprendre l’engouement des électeurs brésiliens; un fait qui contraste avec le taux élevé d’abstention en France. De mon point de vue, le vote obligatoire n’est ni idéal ni démocratique en soi. De plus, le contexte peu flatteur particulier de la société brésilienne explique son application.

1. Une jeune démocratie

Le Brésil est une jeune démocratie et de ce point de vue, plusieurs électeurs ne sont pas habitués à voter, certains votent pour la première fois. Cela est loin d’être l’explication la plus définitive, mais elle a son poids pour comprendre le taux de participation des brésiliens aux élections contrairement aux français qui sont de plus en plus nombreux à s’abstenir.

A cela s’ajoute évidemment le vote obligatoire en application dans le pays pour les populations âgées de 18 à 65 ans. Dans un pays comme la France ayant une longue tradition démocratique, une certaine lassitude des électeurs se comprend d’autant plus que les élections ne jouent pas nécessairement un rôle déterminants sur le niveau de vie des électeurs. Ce qui n’est pas le cas du Brésil.

2. Sanctions ou pas sanctions?

S’abstenir au Brésil peut avoir des conséquences assez variées selon les catégories sociales. Par exemple, si on est pauvre et qu’on s’abstient, on est obligé de payer une amende de 4 reais (1 euro). Il y a donc de nombreuses personnes qui ne votent pas, même si le taux d’abstention reste très faible. Pour une personne de classe moyenne ou riche, ne pas voter peut avoir des conséquences plus sérieuses (1 euro n’étant pas vraiment une sanction objetive): il y a par exemple, l’interdiction d’obtenir un passeport pendant les quatre prochaines années, l’interdiction de participer à un concours pour la fonction publique (un emploi dans ce secteur étant considéré comme le graal par de nombreux brésiliens: on ne peut pas être licencié même « Pour juste cause », à la limite, on se voit muté dans une ville assez éloignée des grands centres).

Dans ce cas, il est légitime de se demander si ces sanctions pèsent plus lourdement sur les plus riches ou sur les plus pauvres. De toute évidence, les plus riches en souffrent plus, car une interdiction de participer à un concours public ou celle d’obtenir un passeport sont deux mesures restrictives des libertés individuelles beaucoup plus graves. L’interdiction d’obtenir un passeport n’affecte que très rarement un pauvre qui ne songe évidemment pas à voyager. Cette réalité lui est étrangère.

3. Les leaders charismatiques

La démocratie Brésilienne, comme la plupart des démocraties sud-américaines tient souvent sur un leader charismatique. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la crise politique et économique dans laquelle le Brésil est empêtré depuis la fin de l’ère Lula da Silva. L’ancien président éait une figure qui parvenait à contenter aussi bien les plus riches que les plus pauvres.

Sans lui, le Brésil a l’air d’un grand château de cartes. Tout semble plus fragile alors que dans les faits les choses ne sont pas foncièrement différentes. De Lula da Silva à Hugo Chavez en passant par le couple Kirchner, Evo Morales ou José Mujica, on ne peut comprendre les systèmes politiques sud-américains sans comprendre le rôle de ces personnalités « magiques », pour garder une terminologie weberienne.

4. Une campagne électorale « à l’américaine »

Les campagnes électorales brésiliennes sont de plus en plus chères; elles tendent à s’américaniser. Selon plusieurs études, les chiffres pour se faire élire peuvent atteindre des niveaux exorbitants.

On sait par exemple que pour être élu maire de la grande métropole de São Paulo, Giberto Kassab aurait dépensé plus de 50 millions de dollars américains, soit 110 millions de reais. La candidate perdante de l’époque Marta Suplicy en aurait dépensé 34 millions.

Tout cela est le résultat du rôle croissant des spécialistes de marketing dans les campagnes électorales. On ne vend que très rarement des projets politiques. Ce sont au contraire des « marchandises » qui sont vendues aux électeurs. Dans un article publié sur ce blog il y a un an, je vous parlais de l’homme derrière Dilma Rousseff et Eduardo dos Santos, le président angolais – car, oui, le système s’exporte.

Depuis douze ans, les chiffres ne cèssent de grimper. Ainsi, rapporte Huffpost Brasil, le coût des campagnes électorales est passé de 792 millions à 5 milliards de reais. « De quoi construire une ligne de métro et 20 hôpitaux », insiste le site. Par ailleurs, pour être élu député fédéral, il faut dépenser au moins 4 millions pour sa campagne électorale.

https://veja.abril.com.br/blog/impavido-colosso/campanha-de-dilma-gastou-39-mais-que-a-de-aecio-nas-urnas-diferenca-foi-de-8/
Capture d’écran d’une infographie publiée sur le site internet du magazine Veja

La réélection de la présidente Dilma Rousseff a coûté pas moins de 300 millions de reais (800 millions selon Folha de São Paulo) alors que la campagne électorale de son adversaire Aécio Neves a coûté plus de 200 millions de reais. Autant de dépenses qui font du Brésil le deuxième pays qui dépense le plus d’argent pour les élections au monde juste après … les Etats-Unis.

Pour les lecteurs lusophones, ces explications d’un spécialiste pour lequel « le coût élevé des élections est proportionnel au niveau de pauvreté des électeurs ». Plus les électeurs sont pauvres, plus les élections sont chères

5. Une société clivée

Il s’agit de mon point de vue, de l’une des raisons pour lesquelles les brésiliens votent massivement depuis plusieurs années. Le Brésil est une société de plus en plus clivée. Les tensions idéologiques ne cèssent d’augmenter. Le clivage est tel que chaque élection est perçue comme une vraie bataille engageant vie et mort des personnes.

Il ne faut pas non plus oublier l’importance des politiques sociales appliquées par le Parti des Travailleurs (PT) au pouvoir depuis douze ans. Le très discuté Programa Bolsa Família, une espèce d’allocation familiale dont bénéficient les populations les plus pauvres sous la simple condition d’inscrire leurs enfants dans une école et de les soumettre à un contrôle médical (gratuit au Brésil) régulier.

En résumé, une élection au Brésil n’est jamais une simple élection.

Brésil : reportage sur les bénéficiaires de l… por franceinter


C. Vainer (Univ. Rio) : « Les membres du PT… por franceinter
_______

Partagez cet article sur les réseaux sociaux

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’analyses sur le Brésil: @sk_serge

 


Le Brésil à l’épreuve de la démocratie

https://www.flickr.com/photos/editorialj/17138159745/sizes/c/
crédit photo: Editorial J | Flickr.com

Les brésiliens aiment copier les Etats-Unis. Chaque étranger vivant au Brésil a déjà entendu cette phrase lors d’une conversation banale autour d’une table, à l’université entre collègues, au travail ou lors d’un match de football informel du samedi matin. Pendant mes études de Sciences politiques, j’ai vite compris que même cette branche très austère des Sciences sociales copiait assez nettement le « modèle américain »: la hard politics. Celle-ci a pris l’habitude de créer des axiomes à l’exemple de celui qui affirme « qu’aucun pays ayant établi un régime démocratique pendant vingt années successives n’est jamais revenu vers un régime autoritaire ». Cela fait près de vingt cinq ans que le Brésil est une démocratie. Le géant sud-américain va-t-il déjouer les pronostiques et faire réécrire les livres de Science politique?

La procédure de destitution lancée contre la présidente Dilma Rousseff sans aucune preuve solide de malversation ou d’irresponsabilité budgétaire constitue un test de maturité pour la population brésilienne qui devra démontrer son attachement à la démocratie. C’est en substance ce qu’affirme le rédacteur du Monde Diplomatique pour sa version brésilienne lors de l’interview ci-dessous.

Le défi est immense. Il faudrait être inconscient pour sous-estimer la menace qui pèse sur le gouvernement élu de Dilma Rousseff, mais surtout sur la solidité des institutions brésiliennes.

Lire l’article: Comprendre la crise brésilienne en six mots-clés

J’ai l’habitude de dire à mes amis que le Brésil est le pays de l’incertitude. Elle est aussi bien politique qu’économique. L’une des plus importantes fragilités institutionnelles que l’on rencontre au Brésil consiste à l’impossibilité pour tous les opérateurs économiques, acteurs politiques, et autres analystes d’établir une quelconque prévisibilité de la dynamique sociale du pays. Autant dire, que le Brésil n’est pas tout à fait entré dans la modernité (weberienne…). De ce point de vue, le Brésil reste un grand monstre kafkaïen…

Comprendre les raisons de la procédure de destitution contre Dilma (en anglais)

Depuis l’arrivée de Lula da Silva au pouvoir les brésiliens avaient pris goût à une relative stabilité aussi bien en politique qu’en matières économiques. La gueule de bois qui a suivi l’ascension au rang de septième puissance économique produit aujourd’hui des effets politiques.

Une véritable crise de confiance gangrène la société, les politiques ont perdu toute crédibilité à gauche comme à droite. Cette frontière idéologique est par ailleurs incompréhensible tant les alliances du pouvoir se caractérisent par leur éclectisme.

Dès les années 80, le sociologue brésilien Francisco de Oliveira avait qualifié le Brésil d’Ornithorynque: une anomalie capitaliste. L’anomalie achève aujourd’hui sa mutation politique. En cause, ces alliances dénuées de sens idéologique. Faut-il rappeler que le responsable de la « guerre » politique lancée contre la présidente Dilma Rousseff est un membre du parti politique de centre droit (PMDB), principal allié du Parti des Travailleurs, dont le président n’est autre que … le vice-président de Dilma Rousseff.

En validant cette demande de destitution, Eduardo Cunha, président de l’assemblée nationale sert les intérêts (ocultes?) de son chef de parti et vice-président du Brésil, Michel Temer. Ce dernier se garde bien de montrer ses ambitions présidentielles, exceptée dans une « lettre personnelle » adressée à la présidente Dilma Rousseff , que l’on retrouve miraculeusement diffusée dans toute la presse brésilienne. Son contenu est surréaliste: démonstration faite de « l’incompétence politique » de la présidente Dilma Rousseff par le biais de leurs conversations secrètes, grosso modole vice-président réitère sa loyauté envers la présidente tout en lui signifiant que la confiance entre eux est désormais rompue

On sait bien qu’en politique, la trahison n’est jamais trop loin des alliances formées sous les lumières des projecteurs. Les prochains mois seront décisifs pour l’avenir de la démocratie brésilienne.

_____

Suivez-moi sur Twitter pour poursuivre ce débat: sk_serge

Merci de partager cet article sur les réseaux sociaux.

 


François Muleka : «Vouloir chanter et pouvoir chanter sont deux choses passagères»

François Muleka lors d'une de ses présentations @Facebook
François Muleka lors d’une de ses présentations @Facebook

C’est un peu comme vivre. C’est comme cela qu’il perçoit son travail, sa passion : une chance, le temps qu’elle dure. Car chanter n’est jamais acquis. « Vouloir et pouvoir chanter, deux choses qui au fond ne sont pas à notre portée. Pas de manière définitive en tous les cas ». Il faut un rapport humble à son art pour conclure un concert par ces paroles pleines de sens, de tendresse et de reconnaissance.

La reconnaissance envers un public qui par sa simple présence devient co-créateur de son oeuvre. « Je ne chante pas pour recevoir les applaudissements du public », dit François Muleka, timide et humble. Il tremble au milieu du podium, comme une feuille, cette feuille qu’il observe parfois au balcon de son appartement de Florianópolis, au sud du Brésil. Elle aussi a appris à sécher… à frémir légèrement aussi, quand le vent souffle.

Rien n’est acquis. Jamais. Ni l’art, ni la vie, ni le talent, ni beauté des fleurs, ni la grâce des oiseaux. Passagers nous sommes, tout comme nos désirs et nos peines. On apprend à vivre, comme on apprend à chanter, à aimer, à marcher, à sécher, grandir et frémir.

« Ma musique est un prétexte », avance-t-il. « Un alibi servant à tisser des liens, faire de nouveaux amis », comme ce producteur du Nordeste brésilien rencontré sur le réseau social Facebook, promoteur ce soir de ce concert.

Merveilleuse synthèse

Il est né au Brésil où ses parents vivent depuis le début des années 80. Il a été élevé dans une double culture. Une éducation qui fait de lui une synthèse de l’Afrique et du Brésil. Un passé trop lointain réconcilié avec le futur dans un pays qui a du mal à reconnaître ses origines esclavagistes, et donc, ses racines africaines.

Comme la musique facilite les rapports humains. François s’en sert à dessein. Avec sa plume, il guide les Brésiliens vers un paradis perdu en même temps qu’il facilite l’intégration des Africains qui arrivent. Il y a effectivement un monde merveilleux à découvrir des deux côtés.

Au nom d’une mère, d’un père aussi…

La famille Muleka père mère et fils - crédit photo:  Bruno Ropelato @Facebook
La famille Muleka: père, mère et fils – crédit photo: Bruno Ropelato @Facebook

Enfant, ses parents lui parlent swahili et kiluba. Il n’oubliera jamais ses racines. Ainsi commence-t-il son spectacle : « Mon nom est François Muleka ». Il dit son nom avec une intonation brésilienne. Une heure plus tard, il s’empresse de me montrer son premier CD, « Karibu », cela veut dire « Soyez les bienvenus. » … en swahili. « Je parle swahili », m’avoue-t-il. Forte impression! Encore. Depuis le début de la soirée, tout s’est enchaîné, sa voix a conquis l’auditoire. Pour être juste avec l’artiste, je dois dire « SES voix ».

Il faut dire que François manie les inflexions de son timbre comme il tripote sa guitare. Pour son deuxième album, Feijão e Sonho, une opération de crowdfunding – l’une des rares dans le milieu artistique brésilien – a été menée pour financer sa réalisation.

Dans cette famille, le talent s’exprime au pluriel. Multiforme. Multiculturel. De père en fils. De mère en fille. Mixte. Mon collègue Didier Mukaleng-Makal, blogueur à Lubumbashi, avait découvert que le père Muleka est un éminent historien des mathématiques, et c’est peu dire : pionnier devant l’éternel.

Quant à sa mère que je connais depuis plusieurs années maintenant, elle est juste devenue un guide pour moi.

Bonus

Retrouvez la présentation de son nouveau disque Feijão e Sonho:

______

Suivez-moi sur Twitter: @sk_serge

Retrouvez d’autres portraits sur le blog ici.

 


Victoire de la droite en Argentine: nouveau cycle en Amérique Latine?

https://www.flickr.com/photos/mrebrasil/8418772643/sizes/z/
Cristina Kirchner et Dilma Rousseff lors d’une rencontre au Chili – crédit photo: ItamaratyGovBr | Flickr.com

Un nouveau cycle politique est-il en marche en Amérique Latine ? On peut dire que oui. La gauche est au pouvoir dans plusieurs pays importants de la région depuis plus de douze ans. Elle n’a pas pu empêcher une crise économique et une forte inflation de frapper de plein fouet les foyers. La bataille idéologique perdue par la gauche aux élections présidentielles de ce week-end (notamment sur les médias sociaux), on doit s’attendre effectivement à un grand changement des équilibres politiques dans la région. 

La gauche brésilienne est sonnée et accuse la victoire de Mauricio Macri aux élections présidentielles en Argentine comme un coup de massue.

Moi qui consacre mes recherches aux médias sociaux, il ne m’a pas échappé que la droite est mieux organisée (et de ce point de vue, elle obéit aux enseignements de Mosca et Pareto sur la « Théorie des élites »). Pour autant, ce qui m’étonne c’est l’absence de réaction ou d’initiative de la part de la gauche.

Toute bataille politique est avant tout idéologique, en accord avec Gramsci. Il serait mieux que les militants ainsi que les partis politiques de gauches investissent ce champ où sont menés les combats idéologiques les plus décisifs de notre époque, à savoir les médias sociaux.

L’alternance politique en démocratie

Dans une analyse datant d’Octobre 2014, je proposais déjà une grille de lecture de la conjoncture politique brésilienne que l’on peut aisément transposer à l’Argentine et aux autres pays qui ont effectué leur virage démocratique à gauche après les années de dictature militaire. J’avançais notamment l’idée qu’en toute démocratie, plusieurs années consécutives d’un même courant politique au pouvoir, produisent une certaine lassitude.

Lire l’analyse: Seize ans sans alternance politique au Brésil.

En science politique, cette lassitude renvoie aux perceptions des électeurs pour qui une telle situation transmet la fausse impression qu’il n’y a pas d’alternance. De plus, une certaine progression économique chez une population de classe moyenne fait qu’elle se désintéresse des questions politiques profondes. A cela s’ajoute les effets délétères d’une crise économique certes mondiale, mais dont les conséquences se font ressentir dans « le panier de la ménagère », les effets ne peuvent que provoquer le rejet du gouvernement en place.

https://en.wikipedia.org/wiki/Mauricio_Macri#/media/File:Mauricio_Macri_fue_recibido_por_el_Papa_Francisco_(9837004385).jpg
Le nouveau président argentin Mauricio Macri en compagnie du Pape François – Wikimedia Commons

La bataille idéologique sur les médias sociaux

Sans vouloir proposer une analyse des causes profondes de la radicalisation islamiste en France, je profiterai de l’actualité pour expliquer la bataille idéologique. Cela fait un moment que je le dis sur ce blog: les mouvements conservateurs se renforcent en Amérique Latine et rencontrent un terrain fertile sur les réseaux sociaux.

Au Brésil, il suffit de lire les commentaires sur les différents forums de sites d’information pour s’en rendre compte. La parole de droite s’est libérée. A vrai dire, c’est la parole de l’extrême droite qui s’émancipe. La parution, dans le journal La Nación, d’un éditorial au ton polémique dédouanant les tortionnaires du régime militaire, au lendemain même de l’élection de Macri est symptomatique.

 – Je travaille pour La Nación, mais je ne partage pas l’opinion de cet éditorial. Je ne suis pas le seul journaliste de LN dans ce cas. Voilà.

Preuve qu’un travail républicain doit encore être accompli dans nombre de ces pays où le dialogue démocratique devient de plus en plus difficile.

Lire sur le site du Monde-Diplo: Vers la fin du Kirchnérisme en Argentine?

Quelles relations avec le Brésil ?

On savait que Dilma Rousseff et son homologue argentine Cristina Kirchner étaient plutôt proches. Les liens historiques qu’entretiennent les partis de gauche en Amérique du Sud y sont pour beaucoup. Le projet commun du renforcement de la coopération régionale dans le cadre de l’Unasur a joué un rôle dans ce rapprochement. Pour autant, le silence qui a suivi l’élection de Macri du côté de Brasília inquiète. Aucun commentaire de félicitations publié sur le compte Twitter pourtant très actif de la présidente Rousseff, pas de communiqué non plus sur le site internet de la présidence du Brésil.

Il faudra voir comment la présidente Dilma Rousseff se récupère…

L'Unasur félicite le nouveau président élu en Argentine - capture d'écran.
L’Unasur félicite le nouveau président élu en Argentine – capture d’écran.

 

Actualisation du billet: Dilma Rousseff a téléphoné au nouveau président élu en Argentine Mauricio Macri. Les deux personnalités ont échangé pour un peu moins de dix minutes. Aucun message sur les réseaux sociaux.

Bonus:

Le président élu de l’Argentine Mauricio Macri est un personnage connu dans le milieu du football pour avoir été président du mythique club de Buenos Aires, Boca Juniors. Ci-dessous Macri s’exprime sur le dopage de Maradona.

______

Suivez-moi sur Twitter pour plus d’informations sur le Brésil et l’Amérique Latine: @sk_serge