Le Brésil à l’épreuve de la démocratie

Les brésiliens aiment copier les Etats-Unis. Chaque étranger vivant au Brésil a déjà entendu cette phrase lors d’une conversation banale autour d’une table, à l’université entre collègues, au travail ou lors d’un match de football informel du samedi matin. Pendant mes études de Sciences politiques, j’ai vite compris que même cette branche très austère des Sciences sociales copiait assez nettement le « modèle américain »: la hard politics. Celle-ci a pris l’habitude de créer des axiomes à l’exemple de celui qui affirme « qu’aucun pays ayant établi un régime démocratique pendant vingt années successives n’est jamais revenu vers un régime autoritaire ». Cela fait près de vingt cinq ans que le Brésil est une démocratie. Le géant sud-américain va-t-il déjouer les pronostiques et faire réécrire les livres de Science politique?
La procédure de destitution lancée contre la présidente Dilma Rousseff sans aucune preuve solide de malversation ou d’irresponsabilité budgétaire constitue un test de maturité pour la population brésilienne qui devra démontrer son attachement à la démocratie. C’est en substance ce qu’affirme le rédacteur du Monde Diplomatique pour sa version brésilienne lors de l’interview ci-dessous.
Le défi est immense. Il faudrait être inconscient pour sous-estimer la menace qui pèse sur le gouvernement élu de Dilma Rousseff, mais surtout sur la solidité des institutions brésiliennes.
Lire l’article: Comprendre la crise brésilienne en six mots-clés
J’ai l’habitude de dire à mes amis que le Brésil est le pays de l’incertitude. Elle est aussi bien politique qu’économique. L’une des plus importantes fragilités institutionnelles que l’on rencontre au Brésil consiste à l’impossibilité pour tous les opérateurs économiques, acteurs politiques, et autres analystes d’établir une quelconque prévisibilité de la dynamique sociale du pays. Autant dire, que le Brésil n’est pas tout à fait entré dans la modernité (weberienne…). De ce point de vue, le Brésil reste un grand monstre kafkaïen…
Comprendre les raisons de la procédure de destitution contre Dilma (en anglais)
Depuis l’arrivée de Lula da Silva au pouvoir les brésiliens avaient pris goût à une relative stabilité aussi bien en politique qu’en matières économiques. La gueule de bois qui a suivi l’ascension au rang de septième puissance économique produit aujourd’hui des effets politiques.
Une véritable crise de confiance gangrène la société, les politiques ont perdu toute crédibilité à gauche comme à droite. Cette frontière idéologique est par ailleurs incompréhensible tant les alliances du pouvoir se caractérisent par leur éclectisme.
Dès les années 80, le sociologue brésilien Francisco de Oliveira avait qualifié le Brésil d’Ornithorynque: une anomalie capitaliste. L’anomalie achève aujourd’hui sa mutation politique. En cause, ces alliances dénuées de sens idéologique. Faut-il rappeler que le responsable de la « guerre » politique lancée contre la présidente Dilma Rousseff est un membre du parti politique de centre droit (PMDB), principal allié du Parti des Travailleurs, dont le président n’est autre que … le vice-président de Dilma Rousseff.
En validant cette demande de destitution, Eduardo Cunha, président de l’assemblée nationale sert les intérêts (ocultes?) de son chef de parti et vice-président du Brésil, Michel Temer. Ce dernier se garde bien de montrer ses ambitions présidentielles, exceptée dans une « lettre personnelle » adressée à la présidente Dilma Rousseff , que l’on retrouve miraculeusement diffusée dans toute la presse brésilienne. Son contenu est surréaliste: démonstration faite de « l’incompétence politique » de la présidente Dilma Rousseff par le biais de leurs conversations secrètes, grosso modo, le vice-président réitère sa loyauté envers la présidente tout en lui signifiant que la confiance entre eux est désormais rompue…
On sait bien qu’en politique, la trahison n’est jamais trop loin des alliances formées sous les lumières des projecteurs. Les prochains mois seront décisifs pour l’avenir de la démocratie brésilienne.
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