Pourquoi la France ne peut pas copier le vote obligatoire brésilien

La France doit-elle copier le vote obligatoire appliqué au Brésil? Ce système est-il idéal pour une démocratie aussi « vieille » que la France, ou bien reste-t-il adapté aux « jeunes démocraties »? Le site internet Slate.fr a publié un excellent article qui tente de comprendre l’engouement des électeurs brésiliens; un fait qui contraste avec le taux élevé d’abstention en France. De mon point de vue, le vote obligatoire n’est ni idéal ni démocratique en soi. De plus, le contexte peu flatteur particulier de la société brésilienne explique son application.
1ères estimations 41,5% d’abstention nationale, et 38,5% dans le Nord https://t.co/6x5IFw1Vje #fb
— Capucine Cousin (@Capucine_Cousin) December 13, 2015
1. Une jeune démocratie
Le Brésil est une jeune démocratie et de ce point de vue, plusieurs électeurs ne sont pas habitués à voter, certains votent pour la première fois. Cela est loin d’être l’explication la plus définitive, mais elle a son poids pour comprendre le taux de participation des brésiliens aux élections contrairement aux français qui sont de plus en plus nombreux à s’abstenir.
A cela s’ajoute évidemment le vote obligatoire en application dans le pays pour les populations âgées de 18 à 65 ans. Dans un pays comme la France ayant une longue tradition démocratique, une certaine lassitude des électeurs se comprend d’autant plus que les élections ne jouent pas nécessairement un rôle déterminants sur le niveau de vie des électeurs. Ce qui n’est pas le cas du Brésil.
2. Sanctions ou pas sanctions?
S’abstenir au Brésil peut avoir des conséquences assez variées selon les catégories sociales. Par exemple, si on est pauvre et qu’on s’abstient, on est obligé de payer une amende de 4 reais (1 euro). Il y a donc de nombreuses personnes qui ne votent pas, même si le taux d’abstention reste très faible. Pour une personne de classe moyenne ou riche, ne pas voter peut avoir des conséquences plus sérieuses (1 euro n’étant pas vraiment une sanction objetive): il y a par exemple, l’interdiction d’obtenir un passeport pendant les quatre prochaines années, l’interdiction de participer à un concours pour la fonction publique (un emploi dans ce secteur étant considéré comme le graal par de nombreux brésiliens: on ne peut pas être licencié même « Pour juste cause », à la limite, on se voit muté dans une ville assez éloignée des grands centres).
Dans ce cas, il est légitime de se demander si ces sanctions pèsent plus lourdement sur les plus riches ou sur les plus pauvres. De toute évidence, les plus riches en souffrent plus, car une interdiction de participer à un concours public ou celle d’obtenir un passeport sont deux mesures restrictives des libertés individuelles beaucoup plus graves. L’interdiction d’obtenir un passeport n’affecte que très rarement un pauvre qui ne songe évidemment pas à voyager. Cette réalité lui est étrangère.
3. Les leaders charismatiques
La démocratie Brésilienne, comme la plupart des démocraties sud-américaines tient souvent sur un leader charismatique. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la crise politique et économique dans laquelle le Brésil est empêtré depuis la fin de l’ère Lula da Silva. L’ancien président éait une figure qui parvenait à contenter aussi bien les plus riches que les plus pauvres.
Sans lui, le Brésil a l’air d’un grand château de cartes. Tout semble plus fragile alors que dans les faits les choses ne sont pas foncièrement différentes. De Lula da Silva à Hugo Chavez en passant par le couple Kirchner, Evo Morales ou José Mujica, on ne peut comprendre les systèmes politiques sud-américains sans comprendre le rôle de ces personnalités « magiques », pour garder une terminologie weberienne.
4. Une campagne électorale « à l’américaine »
Les campagnes électorales brésiliennes sont de plus en plus chères; elles tendent à s’américaniser. Selon plusieurs études, les chiffres pour se faire élire peuvent atteindre des niveaux exorbitants.
On sait par exemple que pour être élu maire de la grande métropole de São Paulo, Giberto Kassab aurait dépensé plus de 50 millions de dollars américains, soit 110 millions de reais. La candidate perdante de l’époque Marta Suplicy en aurait dépensé 34 millions.
Tout cela est le résultat du rôle croissant des spécialistes de marketing dans les campagnes électorales. On ne vend que très rarement des projets politiques. Ce sont au contraire des « marchandises » qui sont vendues aux électeurs. Dans un article publié sur ce blog il y a un an, je vous parlais de l’homme derrière Dilma Rousseff et Eduardo dos Santos, le président angolais – car, oui, le système s’exporte.
Depuis douze ans, les chiffres ne cèssent de grimper. Ainsi, rapporte Huffpost Brasil, le coût des campagnes électorales est passé de 792 millions à 5 milliards de reais. « De quoi construire une ligne de métro et 20 hôpitaux », insiste le site. Par ailleurs, pour être élu député fédéral, il faut dépenser au moins 4 millions pour sa campagne électorale.

La réélection de la présidente Dilma Rousseff a coûté pas moins de 300 millions de reais (800 millions selon Folha de São Paulo) alors que la campagne électorale de son adversaire Aécio Neves a coûté plus de 200 millions de reais. Autant de dépenses qui font du Brésil le deuxième pays qui dépense le plus d’argent pour les élections au monde juste après … les Etats-Unis.
Pour les lecteurs lusophones, ces explications d’un spécialiste pour lequel « le coût élevé des élections est proportionnel au niveau de pauvreté des électeurs ». Plus les électeurs sont pauvres, plus les élections sont chères…
5. Une société clivée
Il s’agit de mon point de vue, de l’une des raisons pour lesquelles les brésiliens votent massivement depuis plusieurs années. Le Brésil est une société de plus en plus clivée. Les tensions idéologiques ne cèssent d’augmenter. Le clivage est tel que chaque élection est perçue comme une vraie bataille engageant vie et mort des personnes.
Il ne faut pas non plus oublier l’importance des politiques sociales appliquées par le Parti des Travailleurs (PT) au pouvoir depuis douze ans. Le très discuté Programa Bolsa Família, une espèce d’allocation familiale dont bénéficient les populations les plus pauvres sous la simple condition d’inscrire leurs enfants dans une école et de les soumettre à un contrôle médical (gratuit au Brésil) régulier.
En résumé, une élection au Brésil n’est jamais une simple élection.
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