Serge

Etre un couple mixte au Brésil

Le sujet est polémique. Et d’une certaine manière relève de la vie privée de chacun. Toutefois, la récurrence des couples mixtes entre Africains et Brésiliennes, que je constate au Brésil, exige qu’on s’y attarde un instant. Faut-il être contre les couples mixtes? Cette interrogation est l’objet d’une longue réflexion et s’appuie sur des faits observés, notamment au Brésil où j’ai vu beaucoup d’Africains s’engager dans des relations plus ou moins durables avec des Brésiliennes de race blanche.

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Crédit: Brooke Hoyer | Flickr.com

Une crise identitaire

Je considère que l’une des plus grandes faiblesse des communautés afro-américaines ou afro-brésiliennes (que je connais le mieux) est de ne pas accepter leurs origines africaines. A la différence des Etats-Unis où chaque noir est en mesure de retrouver les traces de ses ancêtres noirs, au Brésil, la Nouvelle République, à travers son ministre de l’Economie, a détruit toutes les archives permettant de retracer les origines africaines des brésiliens.

Comme conséquence, les afro-brésiliens se sont créés un imaginaire social qui leur octroie des origines blanches, une forme aussi pour les autorités politiques de renforcer le mythe d’une nation brésilienne post-esclavagiste. Il y a donc une double tragédie qui frappe la communauté noire au Brésil : une perte d’identité matérielle, puisque rien de concret ne prouve qu’ils venaient d’Afrique, ainsi qu’une perte d’identité historique et psychologique qui rend impossible tout travail mémoriel de leur part.

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Crédit photo: ArtsyBee / Pixabay / Cc

Une question d’intégration

Qu’est-ce qui fait donc que les jeunes africains qui immigrent au Brésil décident le plus souvent de s’engager dans un couple mixte ? La réponse la plus simple serait de dire qu’ils le font par amour. Je ne veux rien généraliser, mais cette réponse me paraît justement des plus simplistes.

Il est donc plus facile pour les couples mixtes de trouver un travail décent. Par ailleurs, dans une société raciste comme l’est le Brésil, si l’on se marie avec une blanche, on a plus de chance de s’intégrer rapidement.

  • L’autre fait observé, bien que je ne possède aucune statistique, est que ces couples mixtes se séparent généralement dès que l’homme a obtenu la documentation qui lui permet de travailler légalement. Il s’agit donc aussi d’une stratégie de survie.

Une pathologie psychologique ?

Jusque là, je ne m’étais pas engagé dans une argumentation d’ordre psychologique, celle que l’on pourrait aussi qualifier d’argumentation de « type fanonien », c’est-à-dire, une ligne d’argumentation qui s’occupe essentiellement des facteurs psychologiques à l’origine des couples mixtes.

J’ai toujours eu l’impression que beaucoup de noirs avaient peur de lire Frantz Fanon. Il faut dire que se confronter à ses propres démons n’est pas chose aisée. Puisque c’est bien de cela qu’il s’agit quand on lit Peaux noires, masques blancsC’est un livre sans concessions qui confronte directement notre psychologie colonisée et post-esclavagiste en révélant nos craintes et nos aspirations individuelles en tant qu’hommes noirs : devenir blanc. Une première lecture de ce livre peut être un choc pour n’importe quel homme noir.

Pour ma part, je le considère comme un livre essentiel, et surtout, indispensable pour tout homme qui vit en Occident. Il est préférable d’en être conscient surtout lorsqu’on décide de s’engager dans un couple mixte.

La place de la femme noire

Pour terminer, je voudrais aborder assez rapidement la place de la femme noire dans cette histoire. Je connais beaucoup de femmes noires qui se plaignent que « leurs frères » préfèrent toujours les blanches surtout lorsqu’ils ont atteint un certain bien-être social. Il serait tout aussi naïf de considérer que ces dernières ne développent pas elles aussi des stratégies de survie du même ordre.

Même si pour une femme le jugement social pèse plus lourd, elles sont de plus en plus nombreuses à rechercher le grand amour chez le brésilien de race blanche. Pas plus tard que cette semaine, un ami me racontait sa mésaventure, alors qu’il écoutait deux afro-brésiliennes discuter sur l’importance de se marier avec un blanc. Le pauvre est ressorti complètement laminé et désespéré par cette « découverte ».

On ne peut pas dire que les africaines immigrées soient vraiment différentes des afro-brésiliennes dans ces cas-là…

Bonus

Deux entretiens essentiels avec Ta-Nehisi Coates, journalistes et essayiste afro-américain et Angela Davis, activiste des droits civiques et essayiste :

 

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Tite, le bon pasteur

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Tite, le nouveau sélectionneur brésilien, une forte tête | Fickr | Renato Gizzi

La renaissance du Brésil viendra-t-elle par le football ? Après tout, sa gloire perdue était aussi l’effet de son succès au sport roi. Le Brésil a trouvé son prophète en Adenor Leonardo Bacchi dit « Tite ». Être Tite, c’est tout un art : la titebilidade. Traduire, la « titebilité ». C’est une manière élégante et posée de parler aux médias, aux joueurs et surtout, c’est l’art de gagner. 

Alors, le Brésil de retour au salon VIP des gagnants de ce monde ? Pourquoi pas. L’espoir revient avec Tite. Ce gaúcho de Caxias do Sul qui a d’abord entrainé l’Internacional de Porto Alegre remportant la Copa Sul-americana, une espèce d’Europa League sud-américaine, avant d’exploser au Corinthians de São Paulo.

Forte tête, mais humble

La force de Tite, c’est surtout son humilité et sa détermination. Il arrive à la tête de la Seleção porté par la clameur populaire qui le réclame depuis deux ans, soit, avant même la nomination de Dunga. Mais, il doit aussi essuyer quelques critiques, car pour certains journalistes quelque peu démagogues, un entraineur avec son statut ne devrait pas accepter l’invitation d’une fédération corrompue. Comme si eux-mêmes hésitaient à diffuser les matchs de cette même fédération. Enfin, passons !

Tite, c’est aussi ce gros coup de gueule contre l’attaquant vedette (un peu trop même) Pato suite à un penalty manqué plus par complaisance que par un manque de talent: « Tu es un égoïste! Tu ne penses qu’à toi! », lui aurait-il lancé dans les vestiaires du stade Itaquerão devant tous ses coéquipiers. C’est ce que raconte une bibliographie sortie tout juste en début d’année. Pato n’a plus rejoué avec les Corinthians depuis…

Tite n’en a que faire des stars. Il avait déjà eu son « rifirrafe »* avec Neymar qu’il accusait déjà … d’égoïsme. Une forte tête donc. Mais cette fois-ci, il lui faudra composer avec un Neymar dont la dimension n’est plus la même qu’à Santos. La star barcelonaise aussi devra faire quelques concessions car aucun entraîneur brésilien n’avait eu un tel soutient populaire depuis… eh bien, depuis Felipe Scolari. En 2002. Felipe Scolari, son meilleur ennemi…

« tu parles trop! »

La « titebilidade »

La titebilidade, nous en parlions. Qu’est-ce que c’est? C’est une manière pédagogique de parler aux journalistes qui rime aussi avec quelques mots qu’il aurait lui même inventés: treinabilidade (« entrainabilité »), ganhabilidade (« gagnabilité ») et j’en passe. C’est aussi une manière d’endormir les journalistes avec sa « langue ». Ele tem lábia, en gros, c’est un beau parleur. Mais qui gagne. Alors, on le lui pardonne.

Car, Tite, c’est aussi le plus grand entraîneur de l’histoire des Corinthians: une Coupe du Brésil, deux Championnats brésiliens dont un après une année sabatique en Europe auprès d’Ancelotti et Wenger, et surtout une Copa Libertadores (la seule du club) et une Coupe du monde des clubs face à Chelsea.

Tite, c’est un jeu moderne aussi. Ses équipes sont capables de gagner sans une star, mais en jouant toujours très bien. Avec lui, le Brésil change de status. Du risque de ne pas participer à une Coupe du monde pour la première fois de son histoire, la Seleção est maintenant favorite à une victoire finale en Russie.

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*Une prise de bec.

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#JO2016 : est-ce le Brésil ou le Brésilien qui a changé ?

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Vue panoramique de Rio de Janeiro | Pixabay

Fini le Brésil paz e amor que tout le monde connaissait. Révolu le temps où les filles de Rio vous accueillaient sur les plages cariocas avec un grand sourire, vous promettant tous les plaisirs de la terre. Quelque chose a vraiment changé dans ce pays. Finie aussi la naïveté de ces Brésiliennes qui ont passé la cinquantaine mais désirent néanmoins retrouver la joie de vivre de leurs dix-huit ans. La crise politique et les scandales politiques ont achevé un mythe qui n’avait que trop duré.

Il y a à peine huit ans, je débarquais à l’aéroport de São Paulo avec mon sac à dos et mes rêves – littéralement. J’en ai réalisé quelques uns, le reste suivra. Mais l’atmosphère paisible, candide et rafraîchissante d’il y a quelques années a disparu. Le Brésilien est plus morose que jamais, les gens suspicieux et méfiants, les conversations ont maintenant plus de chances de dégénérer qu’auparavant. Les différences idéologiques sont plus visibles qu’avant.

C’est ce Brésil-là que le touriste qui viendra pour les Jeux Olympiques rencontrera. Il ne faut pas se faire d’illusion. Le « Brésil paz e amor » n’existe plus.

Des réformes qui passent mal

La crise économique frappe impitoyablement des Brésiliens mal habitués par Lula da Silva à une consommation compulsive ; de sorte qu’aucun gouvernement, même en temps de crise, ne pourra les convaincre qu’une cure d’austérité est nécessaire – je ne dis pas que ce soit la solution, mais c’est bien le message que le gouvernement intérimaire transmet.

Pourtant, le président Michel Temer vient d’approuver une augmentation des salaires des magistrats à hauteur de 40 %, ce qui équivaut à un montant de 58 milliards de reais. Or, juste après sa prise de fonction, Michel Temer annonçait un déficit budgétaire de 178 milliards. Bonjour la cohérence !

De plus, l’image du Parlement tirée de la session de votation de la destitution de Dilma Rousseff, n’a toujours pas été digérée. J’en parlais encore hier avec une vendeuse d’un kiosque du quartier… Le sentiment général est que toute la classe politique est corrompue. Cependant, s’étonne le journal El Pais, depuis le mois d’avril, les instituts de sondage n’ont publié aucun rapport sur la popularité du président intérimaire Michel Temer.

Une image internationale très négative

Quant aux #JO2016, il faut dire que les nouvelles ne sont pas très encourageantes. Les stars internationales sont de plus en plus nombreuses à annoncer leur défection: Stephen Curry, Westbrook, Harden… et on se demande si c’est à cause du virus Zika.

Par ailleurs, on apprend que plusieurs fonctionnaires de l’Etat de Rio de Janeiro n’ont pas perçu leurs salaires, les retraités étant les plus affectés.

C’est dans ce cadre que le touriste débarquera à Rio de Janeiro. Il trouvera un pays divisé, une population inquiète et impatiente, une instabilité politique et une crise sanitaire qui affecte surtout les plus pauvres. La montée en puissance de l’extrême droite au Brésil fait aussi qu’il est plus dangereux aujourd’hui d’exprimer ses idées politiques lorsqu’on ne connait pas personnellement ses interlocuteurs (et même, cela n’est plus une garantie). J’ai récemment failli me faire piéger par une collègue doctorante aux idées conservatrices et passablement agacée par ma manière d’interroger ses arguments qui, pour le coup, me paraissaient assez réducteurs…

Alors, est-ce le Brésil ou le Brésilien qui a changé ? La réponse est peut-être un moyen terme entre ces deux assertions : une forte crise structurelle frappe le Brésil et porte un sérieux coup au moral d’une population qui a, depuis quelques années, oublié comment souffrir en silence.

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Romero Jucá ou l’évidence d’un Coup d’Etat au Brésil?

Le ministre du plan Romero Juca a été provisoirement écarté du gouvernement intérimaire au Brésil | Flickr.com | Senado Federal
Le ministre du plan Romero Juca a été provisoirement écarté du gouvernement intérimaire au Brésil | Flickr.com | Senado Federal

C’est un poids lourd du gouvernement intérimaire de Michel Temer. Il fut aussi l’un des plus vigoureux opposants au gouvernement Dilma Rousseff. Son nom était cité dans l’affaire de l’opération Lava Jato (karcher). Mais, comme d’habitude au Brésil, il suffisait de nier les faits pour que les médias passent l’éponge. Ces dernières semaines, un doute planait sur les réelles intentions de ceux qui ont voulu et eu la tête de Dilma Rousseff. L’archive sonore contenant les propos de Romero Jucá (mis en réserve du gouvernement) sur Dilma Rousseff et l’opération Lava Jato plonge le sommet du pouvoir brésilien dans une nouvelle ère d’instabilité politique.

La première erreur de Michel Temer

L’absence de noirs et de femmes au sein du gouvernement Temer a fait le tour des médias internationaux, mais un autre fait était au centre des préocupations au niveau national. Même les plus féroces adversaires de Dilma Rousseff avait anticipé le coup: le choix du sénateur Romero Jucá comme ministre du plan, l’un des postes les plus importants du gouvernement, n’était pas une bonne idée. Son nom (et ceux de six autres ministres encore en fonction) revenait à plusieurs reprises dans les coulisses de l’opération Lava Jato. En outre, on avait aussi retrouvé son nom sur la fameuse liste de pots-de-vin d’Odebrecht. Et pourtant, le président intérimaire l’a confirmé au poste de ministre du plan. Pourquoi?

Peut-être parce qu’au fond, tout le monde sait tout sur tout le monde. Peut-être.

Que révèle donc l’audio enregistrée lors d’une conversation entre le sénateur Romero Jucá et Sérgio Machado, l’un des ses plus proches collaborateurs? Disons d’abord que l’affaire a été révélé par Rubens Valente, journaliste de Folha de São Paulo.

Jucá a dit que le Ministère public fait planer un nuage sombre sur toute la classe politique brésilienne.

On ne saurait revenir ici sur tout le contenu de l’archive sonore qui incrimine Jucá puisqu’elle dure quand même une bonne dizaine de minutes* (la qualité du son étant particulièrement mauvaise).
En tous les cas, le journaliste américain Glenn Greenwald résume assez parfaitement son contenu en trois points:


1. Jucá a parlé de son plan aux membres de la Cour Suprême de Justice,
2. Il en a parlé aux militaires,
3. Jucá affirme que les médias souhaitaient la chute de Dilma Rousseff.

On sait donc que Romero Jucá considérait fermement que la seule façon de freiner l’opération Lava Jato était de renverser la présidente Dilma Rousseff, puis de former un grand « pacte pour mettre un terme à cette merde – l’opération Lava Jato ». Sans compter les trois points justement cités par Glenn Greenwald.

De mon point de vue, nous avons là, l’evidence même d’un Coup d’Etat blanc au Brésil et la preuve ultime que l’ « impeachment » de la présidente Dilma Rousseff n’avait qu’un seul et unique objectif: mettre fin aux investigations de l’opération Lava Jato.

Bonus

L’archive sonore du ministre du plan Romero Jucá qui a créé un nouveau scandale politique au Brésil:

Deuxième partie:

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*Le contenu complet des fichiers audios durerait 75 minutes et se trouverait sur le bureau du procureur général de la République.

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Comment le « nouveau » Brésil voit-il l’Afrique?

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José Serra, nouveau ministre des affaires étrangères du « gouvernement Michel Temer » veut moderniser les relations du Brésil avec l’Afrique | Flickr | Senado Federal

Le nouveau ministre des affaires étrangères du Brésil, José Serra, a tenu un discours ambigu sur la place qu’il voudrait accorder à l’Afrique dans sa nouvelle gestion des relations « sud-sud ». Fini « le paternalisme publicitaire » du Parti des Travailleurs. Désormais les rapports seront uniquement commerciaux et se feront dans une optique bilatérale. Au cas par cas.

 

La veille de son discours inaugural, José Serra avait informé « ses » missions diplomatiques, et qu’il attendrait un rapport sur les dépenses de chacune d’elles. Logique productiviste ou simplement un traitement d’égal à égal vis-à-vis du continent africain? En tous les cas, il y a une indication assez claire de prochaines fermetures des missions diplomatiques en Afrique.

Est-il logique qu’un pays comme le Brésil, dont la 54 % de la population se déclare « afro-descendante », n’entretienne que des rapports commerciaux (mais aussi des échanges technologiques) avec le continent africain? Ne serait-on pas en droit d’espérer plus?

Immigration choisie

En réalité, l’histoire du Brésil après l’abolition de l’esclavage a toujours été celle d’un reniement systématique de ses origines africaines. Le Brésil s’est davantage rapproché du Japon ou des Etats Unis, voire même de la France dont il emprunte sa dévise positiviste ordre et progrès, que de l’Afrique. L’anthropologue canadienne Francine Saillant explique ainsi ce rendez-vous manqué :

Au Brésil, le récit officiel concernant la mémoire de l’esclavage diffère nettement de la vision des leaders du mouvement noir contemporain, notamment à propos de la situation et des conditions de vie des Afro-Brésiliens à Rio de Janeiro. Ce mouvement demande à l’État et à la société brésilienne de reconnaître les conditions misérables dans lesquelles les esclaves ont été laissés après l’abolition de l’esclavage, mais aussi la contribution des esclaves à la construction de la société, de l’économie et de la culture brésiliennes

Plus clair encore est l’analyse du chercheur Márcio de Oliveira pour qui l’immigration au Brésil a toujours été bien choisie:

(…) Lorsqu’on analyse en détail les moyens d’attraction mis en place par l’État et par les États1, pour les divers groupes ethniques, on s’aperçoit que de grandes différences les séparent. Pour ce qui est des Italiens ou des Japonais par exemple, leur arrivée a été directement subventionnée par l’État brésilien comme par l’État de São Paulo.

Une politique revancharde? 

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José Serra a perdu les élections présidentielles de 2010 face à Dilma Rousseff | wikimedia | Fabio Rodrigues Pozzebom/ABr

Dans un discours offensif, José Serra, ancien gouverneur de l’Etat de São Paulo et nouveau ministre du gouvernement Temer, s’en est particulièrement pris au Parti des Travailleurs et à Lula da Silva auxquels il reproche « une politique étrangère multilatérale qui a échoué » et de surcroît, « regardant vers le passé ». « L’Afrique moderne, avance-t-il, n’a pas besoin de notre compassion, mais attend des échanges économiques, technologiques et des investissements ».

« Nos échanges ne peuvent plus se limiter aux rapports fraternels du passé et aux correspondances culturelles, mais doivent, essentiellement, forger des partenariats concrets ancrés dans le présent et visant le futur », a-t-il poursuivi dans sa neuvième directive  pour la nouvelle politique étrangère du Brésil.

Pourquoi devrait-on croire qu’un gouvernement qui n’aura réservé aucune place aux afro-brésiliens lors de la répartition des ministères, comprend [mieux que le PT] ce qu’est l’Afrique d’aujourd’hui? En tous les cas, les prochains pas du ministre José Serra seront attentivement observés…

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Brésil « post-Dilma », aucune femme au gouvernement

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Dilma Rousseff, première femme élue présidente du Brésil, est destituée | Flickr.com | Roberto Stuckert Filho.

Il y a des signes qui ne trompent pas. Le nouveau gouvernement brésilien formé après des mois de négociation n’intégrera aucune femme, encore moins un représentant des minorités raciales (noires, indigènes). Michel Temer (PMDB) remplace Dilma Rousseff (PT) sans tambour ni trompette, ne donnant aucun signe de modernité alors que le Brésil en a bien besoin.

Le contraste est aussi frappant si on compare le nouveau gouvernement « post-Dilma » avec ceux formés en France juste après l’élection de François Hollande et surtout après l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau au Canada. Ce dernier a lancé un signal fort au monde en composant un gouvernement multiculturel et paritaire. bref, un gouvernement à l’image du Canada.

« Parce que nous sommes en 2015 »

C’est peut-être ce qui manque à Michel Temer, désormais président intérimaire (pour 180 jours) : lancer un signal fort aux femmes et aux minorités. Lorsqu’on l’interrogea sur l’importance de former un gouvernement paritaire, Trudeau répondit sommairement, « Parce que nous sommes en 2015 ». On sera curieux de savoir que répondrait Michel Temer s’il se frottait à cette périlleuse question dans les prochaines heures…

Ce nouveau gouvernement, censé redonner espoir aux Brésiliens, entrera dans l’histoire par la petite porte, car il est le premier à n’inclure aucune femme depuis la fin de la dictature des militaires. Gageons que ce ne soit qu’une coïncidence, pas un signe des temps.

Bizarrement, d’aucuns diront qu’il fallait s’y attendre, mais croire en la bêtise humaine est toujours plus difficile que de croire en son mérite.

Belle, réservée et femme au foyer…


Il y a de cela un mois, le magazine conservateur Veja dressait un portrait de la future première dame du Brésil, de trente ans la cadette du président intérimaire Michel Temer, s’y référant comme « belle, réservée et femme au foyer ». L’image idéale, d’après ce magazine, de la femme brésilienne du 21° siècle.

Des milliers de femmes se sont emparées de la polémique initiant une campagne médiatique pour dénoncer l’image sexiste et rétrograde de la femme brésilienne (Lire cet excellent article sur Rue89). D’un peu partout au Brésil, elles ont lancé une campagne qui consistant à publier une photo contraire à la description faite des femmes sur Veja. Le résultat, assez étonnant (et magnifique), peut être retrouvé ici:

Une crise politique Kafkaïenne

La chute provisoire de Dilma Rousseff fut particulièrement difficile à suivre tant les rebondissements ont largement dépassé la fiction (voir la série américaine House of Cards). Le dernier en date fut la décision inattendue du président de la chambre des représentants de suspendre la procédure de destitution de Dilma Rousseff, avant que le Sénat ne désamorce la bombe qui explosait au visage de l’opposition… puis que l’intéressé lui-même, sans doute pressionné par ses alliés, ne revienne sur sa décision en annulant son acte d’annulation de la destitution de Dilma Rousseff. Vous avez dit Kafka?!

Le grand défi du nouveau président sera de rassembler les brésiliens, tâche qui ne sera pas facile puisque l’opposition a misé sur une dangereuse division du peuple, notamment sur les questions sociales.

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Papa Wemba nous a quitté, mais que nous laisse-t-il?

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Le chanteur congolais Papa Wemba est décédé à Abidjan, le 24 avril 2016 | crédit photo: Tomas | Flickr

La République Démocratique du Congo est en deuil. Papa Wemba, roi de la rumba, nous a quitté. Il est parti comme personne, à part lui, n’aurait pu l’imaginer: tombé sur le champ de bataille, l’arme à la main en faisant ce qu’il aimait par dessus tout. Papa Wemba a été victime d’un malaise alors qu’il se produisait au FEMUA 2016 sur une invitation du groupe Magic System. Le « vieux Bokul », pour les intimes, est décédé dans un pays que je connais et que j’ai appris à aimer depuis mon séjour à Grand-Bassam en 2014. C’est une belle terre pour vivre et un beau pays pour mourir. Une semaine est passée depuis que j’ai appris cette terrible nouvelle; j’ai donc eu le temps de faire une petite réflexion sur ce qu’il nous laisse comme héritage.

La mort est un phénomène étrange. C’est l’occasion pour beaucoup de personnes de penser à leur propre vie. Pour ma part, le décès de Papa Wemba m’a fait relativer beaucoup de choses. Cela fait plusieurs mois que j’écris sur la crise politique brésilienne et j’en avais presque oublié l’essentiel dans la vie des hommes: justement, les hommes eux-mêmes.

La star planétaire

La politique est-elle si importante que cela? J’ai eu le temps d’y pensé depuis le décès de Papa Wemba et je me suis aperçu que nous perdons parfois notre temps à nous quereller sur des discordances politiques (que ce soit en RDC ou au Brésil) qui nous empoisonnent l’existence.

J’ai aussi suivi pendant ces sept jours plusieurs reportages des médias nationaux – ces chaînes de Youtube qui fonctionnent mieux et plus vite que la RTNC, notre chaîne de télévision nationale – et internationaux. J’ai lu plus d’une centaine d’articles en espagnol, en anglais, en portugais (et je me suis fâché avec le manque de respect de certains brésiliens), en français… j’ai suivi une dizaine d’émissions de télévision et de radio rendant toutes hommage à Papa Wemba, ce grand artiste qui était devenu depuis plusieurs années un membre de nos familles.

Personnellement je pense qu’il possedait la plus belle voix de la rumba congolaise dont le seul héritier, je me permets de l’affirmer, ne saurait être un autre que Ferré Gola, mais il faudrait aussi qu’il le veuille.

Papa Wemba a formé plusieurs artistes dont Koffi Olomidé et King Kester Emeneya que j’avais interviewé à Kinshasa alors que j’étais encore à l’école de journalisme. C’est dire l’influence de cet immense artiste.

Les hommages sont venus de partout dans le monde. Même Gilberto Gil, grand chanteur brésilien du mouvement Tropicália a publié un message d’adieu à notre Papa Wemba. C’était beau de lire les témoignages de ces brésiliens anonymes qui avaient à un moment ou un autre assisté à ses concerts ou écouté ses disques. Papa Wemba n’avait pas de frontières.

Réconciliation

En voyant les reportages qui nous viennent de Kinshasa, on ne peut s’empêcher de constater que les congolais ont perdu quelque chose qu’il sera difficile de remplacer. J’ai aussi observé un sentiment général d’unité depuis le décès de Papa Wemba. Comme si, soudainement, les congolais s’étaient rappelés qu’ils formaient une nation.

Justement, quelqu’un m’a fait remarqué que les congolais donnaient une belle image d’unité nationale à travers la douleur qu’ils exprimaient tous après le décès de Papa Wemba.

Quel autre bel héritage que celui-ci? Papa Wemba a beaucoup donné et continue de donner après sa mort. C’est la grande leçon que je retiens après une semaine de réflexion. Le Congo a besoin d’une vraie réconciliation. Les congolais ont besoin de sentir qu’ils forment un seul pays uni. C’est peut-être la seule solution pour sortir de la crise politique qui n’a que trop duré. C’est même assez paradoxal d’autant plus que Papa Wemba se refusait d’intervenir dans le débat politique.

Je vais conclure cette note par une courte liste des chansons de Papa Wemba qui ont marqué mon existence pour plusieurs raisons que je ne saurais étayer. J’ajoute qu’il est difficile de dresser une liste complète de son oeuvre que même une journée ne suffit à épuiser. Papa Wemba laisse derrière lui une immense discographie. Voici donc mon top 6 très subjectif de ses meilleures rumba:

1. Princesse Senza

2. Naomie

3. Maman

4. Elengi ya mbonda

5. Show Me The Way

6. Est-ce que

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Brésil: seuls 35 députés sont connus de leurs électeurs

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Une plénière du Parlment brésilien | crédit photo: José Cruz/ABr | wikimedia commons

Après l’indiscutable défaite de Dilma Rousseff au Parlement, le Brésil s’interroge. Qui a vraiment gagné lors de l’interminable session parlémentaire qui a validé la procédure de destitution de la présidente Rousseff? Même les adversaires les plus féroces de la présidente de gauche ont du mal à fêter  leur victoire. Un éditorialiste du site internet d’El País affirme que le nouveau président sera lui aussi otage de l’agenda conservateur du Parlement. Les marchés qu’on disait favorables au départ de Dilma Rousseff ont travaillé en baisse toute la journée de lundi 18 avril. Les motifs présentés par les députés pour justifier leurs votes étaient de part et d’autres absurdes, injurieux, criminels, machistes, vulgaires, racistes, odieux ou hors sujet.

La nuit avançait et le malaise grandissait. Certains, n’en pouvant plus, ont éteint leurs postes de télévisions tant le spectacle vu par des millions de brésiliens était déplorable. « Je vote oui au nom de ma petite nièce », « Pour la paix à Jérusalem, je vote oui! » (et pourquoi pas pour la Palestine?); « Pour une famille composée d’un homme et d’une femme, je vote oui! »; « Pour Dieu, je vote oui! ». Même un ancien tortionnaire de la dictature des militaires a eu droit à sa dédicace. Un député, ayant oublié de citer son fils, revient éploré :« Président, président, j’ai oublié de citer mon fils. Lucas, bise… », puis il disparaît dans la masse.

A ce moment là, la population n’en peut plus de ce spectacle, mais il faut tenir car, pour la première fois de leur vie, beaucoup de brésiliens découvrent avec effarement le visage de leurs députés. Miroir, mon beau miroir, dis-moi si je suis le plus beau. C’est raté. Le visage du Brésil est celui d’un grand monstre déformé.

El País explique que si l’on s’en tient à la justification des députés, c’est Dieu lui-même qui aura eu raison de Dilma. Un internaute a d’ailleurs su l’expliquer à l’aide d’un graphique:

Ce même média révèle les résultats d’une étude de l’Université de Brasília (UnB) selon laquelle la moitié des députés brésiliens appartiennent à des familles dont le pouvoir remonte à l’époque coloniale. Est-ce tard de le souligner seulement maintenant? C’est assez symptomatique d’une presse fonctionnant à rebours. Pour les correspondants étrangers, le spectacle est désolant. Personne ne parle véritablement des vrais motifs de la destitution de Dilma Rousseff. Si. En fait, deux députés ont évoqué le sujet.

Pour le journal allemand Der Spiegel, nous avons tout simplement assisté à « l’insurrection des hypocrites ».

L’euphorie initiale des médias internationaux laisse désormais la place à une profonde déception. C’est que nous n’étions pas nombreux à dénoncer la mascarade.

« Même si vous détestez Dilma, je ne vois pas comment vous pouvez être fière de ce qui s’est passé hier. Le pire du Brésil mis en évidence! », affirme ce journaliste étranger. Journaliste indépendante à São Paulo, Adeline Haverland décrit le sentiment des habitants de cette métropole pourtant si majoritairement favorable à la destitution de Dilma Rousseff…

Reste-t-il aujourd’hui des gens heureux au Brésil? C’est la question que je me pose depuis deux jours. Les brésiliens paient un lourd tribut. Beaucoup découvrent comme ce correspond français en Amérique Latine le vrai visage du Brésil: une mentalité rurale, conservatrice, qui prône des valeurs familiales avant celles de la démocratie, leurs intérêts personnels (classistes, aussi) avant les intérêts du pays, une élite patrimonialiste qui rit au nez du peuple.

Mes lecteurs savent depuis des années à quoi s’en tenir. Je n’ai jamais masqué les faits, ni présenté une version publicitaire du Brésil. « Ce Parlement est ce qu’il est et on fait avec », C’est étrangement, la conclusion d’une présentatrice de Globo News Tv pourtant farouchement opposée au gouvernement. J’ai volontairement provoqué mes « amis » sur le réseau social Facebook en leur demandant si ce dimanche la volonté du peuple avait été respectée. Brésil vote impeachment

Nous sommes en face d’une impasse philosophique. Le peuple a élu Dilma Rousseff. Le peuple a élu ce Parlement. Le congrès retire Dilma du Pouvoir. Est-ce bien la volonté du peuple que nous voyons? 

Un long débat et des témoignages s’en sont suivis. L’un d’entre eux est particulièrement instructif tant il renseigne sur la fracture entre les électeurs et leurs représentants:

« Dans mon Etat d’origine, le Rio Grande do Norte (RN), où vit la majeure partie de ma famille, Dilma Rousseff a remporté les élections de 2014 – et de manière expressive. Dans les 167 municipalités de l’État, tous les sondages indiquent que la destitution de Dilma Rousseff n’est pas appuyée par la plupart des potiguares (habitants du Rio Grande do Norte). Mais des 8 députés RN, 7 ont voté en faveur du coup d’Etat et une seule, Mme Zénaïde Maia, était contre. Et le spectacle se poursuit avec une classe politique de plus en plus éloignée de la population et plus proche de ses intérêts particuliers « .

La crise politique brésilienne est en fait dû à une autre crise, bien plus profonde et significative: une crise de la représentation. En réalité, seuls 35 députés des 513 qui composent le Parlement ont été directement élus par leurs électeurs, rapporte le site internet Congresso em Foco.

Pendant tout le premier semestre de 2016, je donne un cours à l’université (en tant qu’assistant) sur les modèles de démocratie. Il y a de cela trois semaine, le sujet d’une leçon était justement le système électoral du point de vue de la politique comparée. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’aucun modèle n’est réellement meilleur qu’un autre en termes de représentativité et d’efficience.

En revanche, ce qui fait souvent la différence, c’est la qualité de l’opposition qui fait face au gouvernement. Ainsi, dans des pays comme le Brésil ou la Belgique, où l’opposition est assez souvent irresponsable – on l’a également vu avec le cas du shutdown au congrès américain – , il y a un grand risque de blocage. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la procédure de destitution de Dilma Rousseff. Un cas de figure opposé à ceux de la Belgique et du Brésil serait évidemment le Système de Westminster, avec une opposition responsable qui prend très au sérieux son rôle.

Ce n’est certainement pas ce Parlement qui appliquera une réforme politique qui mettrait un point final au présidentialisme de coalition qui gangrène la vie sociale brésilienne et incite aux alliances contre-nature. Toutefois, s’il faut noter une avancée dans le système politique de Brasília, c’est bien la fin du financement privé des campagnes électorales.

 

Toujours est-il qu’aujourd’hui, la plupart des brésiliens se sont réveillés avec une étrange gueule de bois parfaitement illustrée par l’image ci-dessous:

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