Serge

Blocus pour Cuba et libre-échange pour Daech

https://en.wikipedia.org/wiki/Fidel_Castro#/media/File:Lula_anda_Castro9822.jpeg
Lula da Silva rencontre Fidel Castro à Cuba – crédit photo: Antônio Milena/ABr

Avant toute chose, je voudrais témoigner ma complète solidarité envers la France. Je suis né en France, j’ai reçu une éducation mixte, entre les valeurs de la France et la tradition congolaise. Mon père a été enseignant à Bordeaux puis est reparti au Congo appliquer ses connaissances en exploitation aéronautiques. Cela dit, je voudrais rappeler ici certains faits qui m’indisposent quant à la politique de la France et des pays occidentaux en général face à l’Etat Islamique, et revenir spécialement sur la question du blocus économique contre Cuba.

Premièrement, je ne suis ni expert en Islam [VIDÉO], ni expert en politique étrangère, encore moins expert en matière de lutte anti-terroriste. Mais je m’informe. Beaucoup. Peut-être même trop. C’est l’un des avantages de parler plus de cinq langues.

Vivant en Amérique Latine depuis bientôt huit ans, je voudrais établir un parallèle avec la situation d’une petite île au sud des Etats-Unis: Cuba. Il y à peine deux jours je regardais une interview du président Evo Morales dans laquelle il affirme que « Barack Obama est une grande déception pour le monde », se référant notamment à ses échecs sur le dossier cubain, et le maintient du blocus économique. Un vrai scandale.

D’un autre côté, vous avez l’Etat Islamique. Assis sur une mine d’or à en juger par les reportages et documentaires produits sur la mouvance islamiste. C’est ce que montre cet excellent documentaire difusé par Télérama: Daech vend son pétrole via la Turquie et « peut engranger jusqu’à 10 millions de dollars en une journée d’un même acheteur ». En clair, Daech devient économiquement autonome.

Il se peut que je sois vraiment bête, mais je vais tout de même poser la question à monsieur Hollande et surtout à son homologue américain Mr. Obama: « Cuba est-il vraiment un ennemi tellement plus dangereux que Daech au point d’être sous le coup d’un embargo et pas l’Etat Islamique ? »

 

Rappel des faits: L’UE lève le blocus sur les armes à destination de la rebellion syrienne

Voilà, ça c’est fait:

Et le résultat:

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#IGF2015: les bons et les mauvais points du Forum de la Gouvernance d’Internet

 

https://pt.wikipedia.org/wiki/Internet#/media/File:PikiWiki_Israel_32304_The_Internet_Messenger_by_Buky_Schwartz.JPG
Obra Internet Messenger, de Buky Schwartz em Holon, Israel

Poeta Ronaldo Cunha Lima Conference Center, voilà un bien joli nom pour un édifice qui représente, jusqu’à preuve du contraire, l’image parfaite de la ségrégation économique qui prévaut dans les grandes villes brésiliennes.

Ce Forum de la Gouvernance de l’Internet est aux antipodes de ce que fut le Forum Mondial de la Francophonie à Liège. Pour avoir participé aux assises du #FMLF2015 à Liège (Belgique) en juillet 2015, je ne peux m’empêcher de penser que ce contraste en termes d’organisation et d’inclusion entre les deux événements témoigne de deux idées distinctes de société.

A ce propos, les mots d’un taximan qui m’y conduisait sont révélateurs: « C’est culturel, les autorités politiques ont ‘privatisé’ l’événement, seuls deux ou trois personnes en tireront profit ». Comme quoi, un taximan peut donner un avis tout aussi bien pertinent que celui d’un correspondant de Mediapart au Brésil. Il serait intéressant d’observer pour les prochaines années les effets concrets de ce Forum sur la ville de João Pessoa.

Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil

This year’s IGF will focus on a range of sub-themes, including Cybersecurity and Trust; Internet Economy; Inclusiveness and Diversity; Openness; Enhancing Multistakeholder Cooperation; Internet and Human Rights; Critical Internet Resources and Emerging Issues.

Au regard du projet et des promesses, disons tout de suite que la diversité et l’inclusion n’étaient pas, dans les faits, des priorités. Comment peut-on évoquer l’inclusion sociale lorsque pour se rendre sur les lieux du Forum il fallut dépenser au moins 20 dollars par jour pour un taxi. L’endroit est parfaitement inaccessible en Bus. Alors, certains diront, « mais de quoi il se plaint? Ce ne sont que quelques malheureux dollars ». Sauf que quand tu es dans une ville comme Paris ou São Paulo, tu t’attends à ce qu’il y ait d’autres options de mobilité que de dépenser 20 dollars pour aller d’un point A à un point B, désolé! J’ai même eu l’impression que si je venais de l’étranger cela m’aurait coûté moins cher en logistique. Bref, ce Forum a été organisé pour tout le monde sauf pour les habitants de João Pessoa et c’est bien regrettable. 

A cela s’ajoute que pour ceux qui n’auraient pas fait en amont une inscription sur le site de l’ONU, toute entrée était interdite. Pour un forum basé sur l’idée d’inclusion, il fut tout de même très prohibitif.

Une personnalité importante de la « gouvenance d’Internet » dans le monde m’a avoué « en off » sa déception par rapport à ce Forum confiné à l’extrémité de la ville.

Deuxième journée au Forum

Direction le Centro de Convenções de João Pessoa pour obtenir mon accréditation; le bâtiment qui abrite le forum possède d’ailleurs la plus grande salle de conférence du Brésil; la deuxième d’Amérique Latine.

Dès mon arrivée, première déception: sans accréditation, le commun des mortels n’aura pas accès au forum, ce qui me semble déjà problématique pour un… « forum ».

Deuxième aspect: comme un peu partout au Brésil, j’ai eu une énième preuve que la Police Fédérale nous fournit (aux étrangers) une carte d’identité que les autorités brésiliennes ne connaissent pas ou ne font aucun effort de « comprendre ». Il aura fallu six personnes pour décider que la pièce d’identité (très belle au passage) que je leur présentais pouvait être considérée comme une ID Card « délivrée par les autorités compétentes » – tel que mentionné sur le site du forum -. Ciel !

Participants are required to go to the badging desks with a printed copy of the registration confirmation and a picture ID issued by a national authority of a state recognized by the United Nations.

Facile à dire.

J'ai quand même pu récupérer mon badge #IGF2015
J’ai quand même pu récupérer mon badge #IGF2015

Ce sont là malheureusement les effets de la sous-traitance. Des personnes sans compétences sont placées un peu partout et nous devons nous y faire. La même chose m’est arrivé un jour à l’aéroport de São Paulo. Un agent de contrôle des frontières était incapable de reconnaître mon document d’identité.

Le prix de la communication

S’il y a bien quelqu’un qui mérite le prix de la communication c’est bien le congolais Arsène Tungali, activiste pour les droits de l’homme dans la région des Grands-Lacs, sélectionné pour les #Yali2015, un garçon vraiment dynamique.

Un vrai plaisir de le rencontrer. J’ai le sentiment que nous aurions dû nous connaître depuis longtemps d’autant plus que nous avons beaucoup d’amis en commun, sans parler du fait que nous possédons tous les deux des racines dans l’île d’Idjwi au Nord-Kivu.

Son compte Twitter était vraiment le must de cette édition du #IGF2015.

La « manif » du contre-Forum

Qui dit Brésil dit manifestations. On n’allait pas déroger à cette règle lors de ce Forum de la Gouvernance d’Internet. Pour le coup, c’est Marc Zuckerberg qui en a fait les frais. Dès l’ouverture officielle du forum par le ministre de la Communication du Brésil, André Figueiredo, un groupe des manifestants s’introduit dans la salle de conférence archicomble désorientant la sécurité…

Perplexes, les officiers de l’ordre n’ont pu empêcher les manifestants d’arborer des banderoles contre l’initiative Internet.org.

Lundi déjà, une amie m’informait qu’un contre-forum avait lieu en marge du #IGF2015, preuve que tout n’est pas beau dans ce genre d’événements. Evidemment, les paricipants étrangers ont eu de fortes sensations, la preuve sur le réseau social Twitter:

Un groupe de manifestants interrompt le ministre de la communication lors de l'ouverture officielle du Forum
Un groupe de manifestants interrompt le ministre de la communication lors de l’ouverture officielle du Forum

Pas évident d’être le centre du monde.

Les belles rencontres

De gauche à droite: Chancel Malanga, Serge Katembera et Arsène Tungali
De gauche à droite: Chancel Malanga, Serge Katembera et Arsène Tungali

Ce qui a vraiment fonctionné lors de ce forum, c’est l’environnement très professionnels des assises et le cadre propice aux rencontres de tout genre. Or, c’est souvent ce qui manque à de nombreux forums où les participants sont tellement dispersés qu’ils finissent par ne pas avoir le temps d’échanger. Pour ma part, j’ai pu revoir des personnes rencontré en Belgique lors du #FMLF2015, mais également des acteurs de l’innovation technologique en Afrique. Je vous ai déjà parlé d’Arsène, ce gomatracien très dynamique – une vraie dynamite d’émotions. J’ai revu également un malien qui mérite un chapitre à part, Tidiane Ball (@tidianeball), fondateur du Donilab et porteur d’un projet récompensé par le Fire Awards (en partenariat avec Afrinic et Seed Alliance) grâce au projet Malisante.net.

La RD Congo se fait de plus en plus présente lors de rencontres internationales de cette nature. A Liège , j’avais été impressionné par le nombre de porteurs de projets en provenance du Congo. Là également un congolais avait remporté un prix de l’innovation. C’était donc le cas pour Chancel Malanga, cet ingénieur formé à l’Université de Kinshasa qui a développé un projet tech visant à améliorer le système d’implantation de notes d’étudiants dans les institutions d’enseignement supérieurs. Un système très en vogue dans les pays plus avancés.

Comment ne pas mentionner l’autre moment fort de ce forum, en tout cas de mon point de vue: le débat sur les responsabilités des grandes plate-formes d’Internet notamment sur la question des données (BigData); un débat auquel a participé Benoit Thieulin, président du Conseil National du Numérique de France.  C’était aussi l’occasion pour moi de constater que Google est mur d’arrogance qui ne s’intéresse qu’à son modèle économique.

En gros, le représentant de Google a expliqué que nous avions le choix entre une bonne expérience d’utilisation des services de Google Maps, par exemple (en échange de nos données personnelles), soit le service ne fonctionnerait plus correctement. Oushhh!

Ce n’est pas aujourd’hui que les gouvernements arriveront à leur imposer un quelconque agenda « démocratique ». Un premier pas dans ce sens serait d’y travailler en bloc tel que l’Union Européenne l’a montré pour la loi du droit à l’oubli.

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PDF — La RDC face aux enjeux politiques et économiques à venir

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Première locomotive congolaise | Lubumbashi, Katanga, República Democrática do Congo| Crédit photo: Nick Hobgood – Flickr.com/cc

Analyse des enjeux politiques et économiques de la RD Congo à l’heure où les cours des matières premières baissent et que le cadre politique pré-électoral n’augure aucune stabilité à court terme. La succession politique n’étant pas institutionnellement assurée, le contexte économique n’étant pas favorable, comment sortir la RDC du marasme ? Deux spécialistes¹ de l’économie et de la décentralisation livrent leur analyse.

Un taux de croissance supérieur à la moyenne africaine, une économie boostée par le cuivre. Mais le pays ne semble pas avoir tiré les enseignements du passé et relègue ainsi l’agriculture, la pêche, l’élevage, le tourisme ou l’industrie de la transformation au rang de faire-valoir. Or , le cours des matières premières baisse partout dans le monde.

Le tableau risque-t-il de s’aggraver tout en se conjuguant avec une crise politique causée par l’incertitude maintenue autour de l’organisation des prochaines élections?

La décentralisation, promesse d’efficience et de progrès, ne semble pas non plus bien engagée. Selon les auteurs de l’étude que vous pourrez consulter en PDF à la fin de cet article, le méli-mélo actuellement visible dans les provinces n’augure pas une optimisation des recettes de l’Etat.

Alors que les regards des analystes politiques et économiques tendent à s’orienter vers le sens des événements présents afin de prévoir un futur plus ou moins proche, les chercheurs congolais Tony Nsimundele et Jean-Joel Beniragi proposent essentiellement d’apprendre de notre passé politique, de redéfinir nos modèles politiques ainsi que nos choix économiques.

De plus, que pouvons-nous apprendre du cas brésilien, un pays qui s’est plutôt bien comporté pendant la crise de la dette de 2008, mais qui maintenant vit une contraction économique due à la chute des prix des produits de base ?

La comparaison, très pondérée, est juste et force à s’inquiéter quant au cap sur lequel s’oriente la RDC. Cela dit, c’est ici que se trouve aussi la solution du problème. Il s’agit de ne pas répéter les erreurs des autres.

La RDC se retrouve à un moment déterminant de son histoire, et on le sent bien à la lecture de ce travail qui démontre encore une fois que les jeunes du pays sont prêts à contribuer. Quoi de mieux qu’un travail produit en collaboration entre un Congolais vivant au pays et un expatrié, la parfaite synthèse de ce que devrait être l’avenir de ce pays: l’intégration des savoirs locaux aux connaissances venues d’ailleurs.

Cliquez également sur le lien suivant pour obtenir la version PDF de l’étude.

La RDC face aux enjeux politiques et économiques à venir

 

¹ Tony Nsimundele : licencié en droit économique et social de l’Université protestante au Congo ﴿ CPU﴾ . Il œuvre dans la sensibilisation de la jeunesse quant aux enjeux politiques et au respect des lois et règlements nationaux avec les plateformes mutuellse des jeunes Kinois ﴾MJK ﴿ et l’Ets Le Mystik. Actuellement conseiller juridique du groupe MINOCONGO.
Jean Joel Beniragi : licencié en sciences économiques de l’Universidade Federal Fluminense et actuellement en train de faire un master recherche en économie régionale à l’Universidade Federal do Rio Grande do Norte au Brésil. Il mène activement des recherches dans le domaine de développement en Amérique du Sud et en Afrique. Actuellement, il fait des recherches sur la décentralisation et le développement local en R. D Congo. 

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Domingos da Cruz, l’intellectuel persécuté en Angola

L'écrivain, philosophe et militant politique angolais, Domingo da Cruz | image @Facebook
L’écrivain, philosophe et militant politique angolais, Domingo da Cruz | image @Facebook

Domingos da Cruz est un ami depuis plus de quatre ans. Je l’ai rencontré plusieurs fois dans la ville de João Pessoa où nous avons développé une relation basée sur une admiration mutuelle. Intellectuel acharné, chercheur et philosophe diplômé de l’Université fédérale de Paraíba au Brésil, il est l’un de ces symboles qui laissent entrevoir un avenir radieux pour l’Angola. Cela fait plus de quatre mois qu’il se retrouve derrière les barreaux en compagnie de quatorze autres militants. Accusé de mettre en danger la sûreté de l’Etat, Domingos da Cruz et ses codétenus ont en réalité organisé une journée de lecture autour de deux livres jugés subversifs.

Premier contact avec le racisme brésilien

C’est grâce à une bourse d’études de la Fondation Open Society que Domingos da Cruz arrive au Brésil pour y faire un master en droits de l’homme. Il se distingue tout de suite par son sens critique sans concession. Il bouscule les lignes, tient tête à certains professeurs reconnus au cours d’intenses discussions académiques et/ou politiques : c’est que pour lui, les deux sphères s’entremêlent.

Le racisme de la société brésilienne l’émeut immédiatement. Il ne sera plus jamais à l’aise au Brésil. Plusieurs fois, il m’avouera ne plus supporter de voir la misère sociale, politique et intellectuelle des Afro-Brésiliens. C’est que cette image d’un pays racialement divisé n’est pas sans rappeler la ségrégation raciale qui prévaut dans son propre pays, l’Angola. En effet, Domingos, comme il est connu, a conscience des privilèges sociaux dont bénéficient les métis en Angola. C’est d’ailleurs la première fois que cette problématique émerge sous mes yeux.

Mais, Domingos da Cruz s’indigne également contre le racisme qu’il découvre dans les institutions d’études supérieures au Brésil où les étudiants noirs sont constamment rabaissés.

L’influence sur mes recherches

Lors de nos premières rencontres, il insiste pour visiter mon appartement. Au départ, je ne comprends pas très bien sa démarche. Il me semble qu’il éprouvait une profonde solitude dans son appartement situé près de la plage. Au fil de nos discussions intellectuelles, il m’interroge sur la direction que je veux imprimer à mes recherches. Sur ce, je dois dire aussi que l’Afrique n’a jamais été une question fondamentale pour moi. Je n’y accordais que très peu d’importance. A ce moment-là, encouragé par une de mes enseignantes, je m’apprêtais à écrire un mémoire sur la démocratie brésilienne.

Nos échanges finissent par me convaincre que je serais plus utile en dédiant mes recherches  aux transformations sociopolitiques en marche dans une Afrique qui ne cesse de bouger.

Deux livres jugés dangereux

Domingos da Cruz est un homme inquiet qui a été formé chez les catholiques. Partout où il passe, il combat les injustices, en commençant par son pays. Son seul défaut, s’il en est, c’est son acharnement. A côté de lui, je me sentais un peu lâche, moi qui ne m’engageais politiquement pour aucune cause.

Quelques jours avant son retour en Angola, Domingos me confiait ses craintes face au durcissement du régime d’Eduardo dos Santos, l’homme qui a fait de l’Angola un pays dont la croissance économique se maintient à deux chiffres. Pour les observateurs internationaux, cela suffit.

Tout le monde sait pertinemment que l’Angola est une dictature, mais qu’importe, si ce beau pays est devenu le paradis touristique des Occidentaux, un modèle que d’autres pays africains n’hésitent plus à copier.

Cela fait plus de quatre mois que Domingos da Cruz est incarcéré dans une prison en Angola pour avoir organisé une journée de débat autour de deux livres jugés subversifs et dangereux pour la sûreté de l’Etat.

Pour lire le portrait de Luaty Beirão, rappeur angolais arrêté en même temps que Domingos da Cruz, cliquez ici.

Lire aussi le compte rendu publié sur le site Le Monde Afrique

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C’est quoi au juste un blog ? La réponse en 25 tweets

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Wikimedia Commons

J’ai participé ce samedi 3 octobre 2015 au #BlogForumDLA sans sortir de mon lit. Internet nous permet aujourd’hui de briser la distance physique et temporelle et donc de redéfinir la notion même de proximité. L’expérience a été très enrichissante tant les organisateurs ont effectué un grand travail en amont. Les débats ayant surtout tourné autour de sujets tels que la monétisation, l’originalité, la crédibilité du blogueur, la différence entre journalisme et blogging, etc., il est clair que le continent africain veut jouer un rôle actif dans l’émergence des « Nouveaux médias ». Bref, les sujets n’ont pas manqué. J’en ai donc profité pour distiller certaines idées formulées grâce à mon expérience de blogueur expatrié et de mes recherches en master et doctorat.

C’est quoi au juste un blog? Comment le monétiser, comment créer sa propre communauté? Quels usages du blog en Afrique ? Mes réflexions en vingt-cinq tweets ci-dessous:

Pour relire tous les tweets du #BlogForumDLA , c’est ici:


La terrifiante montée des extrémismes au Brésil

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Des manifestants LGBT à Brasília, capitale du Brésil – Marcello Casal Jr./ABr

Dilma Rousseff sort enfin de son silence. L’inquiétante montée des extrémismes au Brésil a tiré la présidente d’un mutisme qui devenait pesant comme je le faisais remarquer sur Twitter. Racistes, homophobes, xénophobes, hommes politiques ou anonymes, tous les extrémistes se sentent pousser des ailes. Analyse d’un phénomène en expansion.

Le gouvernement brésilien sort peu à peu du profond sommeil qui l’empêchait de prendre la mesure du phénomène : une montée plus qu’inquiétante des extrémismes au Brésil. Une tendance en rupture avec les coutumes de ce beau pays. Internet facilite la mobilisation des radicaux alors que les médias déversent des discours dont l’éthique est pour le moins douteuse.

Réaction importante et incisive de la présidente Dilma Rousseff sur son compte Twitter, en vidéo:

 

Le discours clivant des hommes politiques

Les hommes médiocres ont de plus en plus d’espaces dans les médias brésiliens. Ne croyez pas que la France est le seul pays à avoir des politiques un peu « folkloriques » – soyons gentils -. Au Brésil aussi, nous avons « nos propres Donald Trump et Nadine Morano« . BBC Brasil s’inquiète d’ailleurs d’un scénario « à la Trump » d’ici 2018.

Jair Bolsonaro est sûrement le député politique le plus aimé et le plus détesté du Brésil. Il faut dire que le pire député du monde comme le rapporte le blog du Monde.fr, Big Browser ne fait pas dans la dentelle. Entre un discours homophobe, raciste et misogyne, il occupe constamment l’espace médiatique.

Il est certain que la grande visibilité médiatique dont jouissent les hommes politiques ultra-conservateurs comme Jair Bolsonaro (placé 4° dans la course à la présidence de 2018 par un sondage cette semaine) et le président du Parlement brésilien Eduardo Cunha a joué son rôle pour décomplexer les extrémistes.

Des hommes masqués et des justiciers de Rio

Certains n’y verront aucun lien mais la renommée internationale qu’a gagné le Batman des favelas portraitisé par Making-of a donné des idées à de nombreux jeunes qui veulent s’essayer à l’héroïsme des populistes. Ces derniers jours nous avons vu proliférer des groupes extrémistes prétendant se faire justice eux-mêmes. Dans leur ligne de mire, les jeunes des favelas qui organisent des « rafles » sur les plages cariocas… sacrilège! Le lieu le plus démocratique au Brésil, la plage, est devenu un territoire de terreur et tout indique que désormais un apartheid se prépare.

Capture d'écran d'un reportage de Folha de SP sur les justiciers de Rio de Janeiro
Capture d’écran d’un reportage de Folha de SP sur les justiciers de Rio de Janeiro

Les nouveaux justiciers de Rio de Janeiro n’hésitent pas sur le choix des suspects : « il s’agit de jeunes dont l’aspect indique qu’ils n’ont pas d’argent sur eux pour retourner dans leur quartier. » Comme on peut le lire sur le site Internet de Folha de SP, La police n’a pas l’air dérangée par ce problème. Ces jeunes justiciers ciblent de préférence des bus sur la ligne d’autobus 474 qui relie Copacabana et les quartiers pauvres.

Des vols en série sur les plages de Rio sont à l’origine de ces mouvements de défense organisée, mais une analyse objective devrait les mettre en perspective avec l’exclusion de moins en moins acceptée des jeunes issus des quartiers pauvres.

Série de vols violents sur les plages de Rio de… par lemondefr

Le « modèle américain » fait des émules

Que les Brésiliens aiment imiter les Américains n’était un secret pour personne. Toutefois, les nouvelles que nous recevons de Rio de Janeiro et sa périphérie ne cessent de nous inquiéter.

Deux reportages ont attiré mon attention et celle du public en général. Le premier, signé par O Globo publie des photos d’affiches imitant le mouvement suprématiste Ku Klux Klan placardées un peu partout dans la ville de Fluminense dans la Grande Rio. Les Noirs, les habitants du Nordeste brésilien et surtout les musulmans sont la cible de ce groupe qui opère essentiellement à la tombée de la nuit.

Capture d'écran sur le site d'O Globo
Capture d’écran sur le site d’O Globo

Le second est un article publié par BBC Brasil qui dresse le portrait d’Henrique Maia, fondateur de la milice non armée Guardian Angels Brasil, un mouvement qui s’inscrit dans la lignée d’un groupe de vigilantes new-yorkais connu pour ses actions dans le Bronx au début des années 1980.

A la décharge de ce groupe, soulignons que ses actions ne sont pas basées sur des critères racialistes.

Un infirmier sénégalais insulté sur Internet

Il sauve une vie dans le métro, reçoit une cinquantaine d’offres d’emploi puis se fait insulter sur Internet [Lire en espagnol sur El País]. C’est en résumé l’exploit réalisé par un dénommé Moussa, infirmier pendant plus de 15 ans au Sénégal et travaillant aujourd’hui dans une fabrique.

C’est encore une de ces belles histoires que l’on trouve sur la Toile, un jeune homme – pour le coup, un véritable héros – sauve la vie d’une femme victime d’un malaise cardiovasculaire. Cette bonne action le rend célèbre et fait connaitre l’histoire de cet infirmier immigré et sous-employé.

S’en suivent plusieurs interviews, des offres d’emploi (une cinquantaine) et la jalousie des internautes des sites d’information les plus lus. On se demande ce que font les modérateurs. Complices, complaisants, indifférents, ces derniers laissent s’exprimer des lecteurs dont le racisme et la xénophobie ne feraient pas rougir un lecteur du blog d’Ivan Rioufol.

Soyons nous-mêmes…

Aujourd’hui, j’ai très envie de conclure mon billet par un choix musical comme mon ami JR. Qui d’autres, sinon femme noire, étrangère dans son propre pays, exilée en Afrique puis aux Barbades… une femme de combat : Nina Simone 

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Quatre films pour comprendre le Brésil contemporain

https://pt.wikipedia.org/wiki/Rosa_Berardo#/media/File:Rosa-berardo-pelicula.jpg

Je maintiens que le meilleur film sur les années «post-Lula»au Brésil reste Les Bruits de Recife de Kléber Mendonça Filho. Une oeuvre que j’ai longuement décortiquée sur ce blog il y a de cela deux ans. Si d’un côté, le cinéma brésilien tarde à produire un film qui soit le miroir des « années Dilma Rousseff » (il n’y a pas non plus de livre sur ce thème), il est déjà possible de dresser une liste des films qui caractérisent le mieux le Brésil contemporain. Entre cinéma indépendant et films grand public, voici en substance ce qu’il faut retenir des années post-Lula.

Ascension sociale et classes moyennes

Pour comprendre ce qu’on appelle maintenant les « années Lula » au Brésil, il convient de considérer les deux catégories suivantes : l’ascension sociale et les classes moyennes. La première constitue le socle électoral du Parti des travailleurs – « les bases sociales du lulisme », selon André Singer. Et ce sont ceux-là qui feront élire par deux fois l’ancien ouvrier de São Paulo, et plus tard encore, la première femme élue présidente du Brésil. Les Brésiliens les plus pauvres ont eu beaucoup à gagner grâce à Lula da Silva qui a redistribué les richesses du pays sans pour autant perturber l’ordre établi par les grands patrons.

La deuxième est évidemment la garantie de la croissance économique et du consumérisme qui caractérise le Brésil contemporain. « Consommez! » C’était l’injonction de « Lula » aux Brésiliens des classes moyennes. Considérant ces deux critères, voici donc la liste des films qui rendent au mieux le portrait d’une société en constante transformation:

1. Troupe d’élite

José Padilha aime faire de la politique dans ses films même s’il a beau s’en défendre. Son dernier travail, Narcos pour la plateforme de vidéos à la demande Netflix le prouve. Mais son chef-d’oeuvre reste à ce jour Troupe d’élite avec à l’affiche, l’incontournable Wagner Moura. On mettra aussi sur le compteur du cinéaste brésilien un film sur la trajectoire d’un jeune délinquant, Bus 174 (2002). Un film inspiré de faits réels.

Toutefois, c’est avec Troupe d’élite que José Padilha atteint le sommet en remportant notamment l’Ours d’Or à Berlin. La violence des favelas est traitée avec un réalisme stupéfiant, Wagner Moura atteignant un niveau d’interprétation inouï : le rôle de sa vie. Bref, vous ne verrez plus jamais le Brésil de la même manière après ce film.

2. Les Bruits de Recife

Il aura fallu attendre six ans pour que le cinéma brésilien se réveille enfin, sous l’impulsion des nouveaux arrivants derrière la caméra, ici, le Recifense Kleber Mendonça Filho. Lire ma critique en lien au début de l’article.

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cine_Olinda_-_Disused_Art_Deco_Cinema_-_Olinda_-_Outside_Recife_-_Brazil_-_02.jpg
Ancienne salle de cinéma à Olinda, près de Recife | Adam Jones | Wikimedia Commons

3. Une seconde mère

Intéressant projet d’Anna Muylaert qui s’attaque directement au problème des inégalités (pas nécessairement raciales cette fois-ci, et c’est la force du film); à la dialectique du maître et de l’esclave à la manière d’Hegel bien que la fin soit une négociation conçue pour plaire à Hollywood. Non, les choses ne finissent pas toujours bien dans la vie.

Car au Brésil, on discrimine les gens du Nordeste, les Noirs, les pauvres, les Indiens, les étrangers. En choisissant Regina Casé*, qui n’est évidemment pas noire, comme personnage principal, Anna Muylaert s’éloigne judicieusement des clichés adoptés par le cinéma brésilien ces dernières années. Les Blancs se discriminent également entre eux.

Pour autant, aucune surprise à la fin. On attendra encore un peu pour qu’un film brésilien nous surprenne outre mesure, à la manière d’un Campanella (Dans ses yeux) qui pose sérieusement le problème de la justice personnelle même dans une démocratie.

Pour comprendre la lutte des classes au Brésil, les manifestations diffusées dans les médias internationaux, Une seconde mère est le film indiqué. La haine entre les classes est visible, on comprend mieux ce qu’a réalisé Lula da Silva en permettant l’ascension sociale des plus pauvres. Une amie, chercheuse en histoire, me faisait remarquer que le film racontait l’histoire de sa vie.

Mais de part et d’autre, il y a une misère culturelle qui contraste avec le faste quotidien de certaines familles. Le Brésil contemporain, plein écran !

4. Casa Grande

https://www.lojasdaju.com.br/news/dicacultural-38-dia-do-cinema-brasileiro/

Le titre est quelque peu pamphlétaire, car il renvoie au livre de Gilberto Freyre, Casa grande e senzala (The master and theslave), l’une des oeuvres majeures sur les origines de la société brésilienne. S’il se donne une ambition a priori démesurée, le cinéaste Fellipe Barbosa, formé à Columbia, réussit le pari de montrer de l’intérieur le quotidien d’une famille de classe moyenne plutôt riche.

Le père, ancien directeur d’une banque, est probablement le personnage le plus intéressant. Alors qu’il croule sous les dettes, il doit en même temps faire face à un nouveau standing de vie: pour la première fois, il soumet son CV au marché de l’emploi. Il démet un employé de maison et doit faire face à une plainte pour violation des droits du travail, une action qu’il sait perdue d’avance : « Dans ce pays, aucun patron ne gagne un procès de cette nature. » Est-ce le sentiment des patrons dans le monde réel ? C’est possible, au vu de la défiance des marchés contre le gouvernement Dilma Rousseff.

Le film est ponctué de phrases chocs qui laissent entrevoir le dilemme d’une société en mal d’intégration. Un film à voir, un cinéaste à suivre.

Comment parler des « années Dilma »?

Les années 2010 apportent une vague de demandes sociales des minorités sexuelles, raciales, ethniques, culturelles, etc. Ce sont là les problèmes récurrents au Brésil, au-delà de la crise économique elle-même. Le Brésil doute. L’enchantement voit ses effets disparaître tandis que le pays tangue…

Scandales de corruption, mouvement LGBT de plus en plus fort, la droite et l’extrême droite de plus en plus décomplexés. Le PT a partagé, il récolte la colère.

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* Regina Casé est une vedette de la télévision brésilienne. Elle anime l’émission Esquenta tous les dimanches sur Globo; c’est notamment grâce à cette émission que j’esquisse désormais quelques pas de samba.

P.S : Je passerai la semaine à Curitiba pour des vacances bien méritées, mais vous le savez bien que pour moi, vacances veut dire billets d’humour ou d’humeur sur un pays en constante mutation. A bientôt, donc, pour des histoires de la plus belle ville du Brésil.

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José Padilha: « Avant d’occuper les favelas, c’est la police qu’il faudrait occuper »

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Crédit photo: FICG.mx | Flickr.com

Faut-il avoir la cervelle complètement en bouillie pour apprécier « Narcos » de José Padilha? Le cinéaste brésilien emprunte dangereusement les sentiers battus par Luc Besson: ceux qui consistent à construire des oeuvres d’une mièvrerie dérangeante, presque gênante, pour quiconque essaye de porter un jugement objectif sur ses films.

Je n’irai pas jusqu’à dire que Padilha tombe dans un discours manichéen, au contraire. Chez lui, tout est forcément complexe. Trop complexe. On aurait même envie de lui suggérer de faire plus simple. L’utilisation constante d’une voix-off encombre le récit au point d’en être absurde. Citons seulement ce passage du deuxième épisode où Pablo Escobar est arrêté – ce spoiler est absolument nécessaire, sorry. Alors qu’il passe par l’identification des criminels, l’omniprésente voix-off nous prédit l’avenir: « Pablo ne le sait pas encore, mais cette photo lui apportera beaucoup de souffrances ». Etait-il nécessaire de le dire ? José Padilha croit tellement en sa propre complexité qu’il nous explique ce qui apparaît comme une évidence.

Capture d'écran d'une scène de "Narcos" mise en ligne sur Netflix
Capture d’écran d’une scène de « Narcos » mise en ligne sur Netflix

A en juger par certains critiques brésiliens, le réalisateur du très acclamé « Troupe d’Elite » témoigne son admiration à Martin Scorsese en insérant intempestivement une voix-off dans ses films. Le geste est louable. Pour autant, il sert plus à le rassurer dans ses certitudes qu’à rendre hommage au réalisateur de Goodfellas. Padilha veut nous faire croire qu’il a raison, et pour ce faire il nous prive de tout jugement autre que le sien.

Une récente interview du réalisateur nous le confirme. A ses risques et périls, José « do Brasil » – comme l’a nommé un critique carioca – se livre à l’exercice de l’analyse politique n’hésitant pas à égratigner l’ancien président Lula da Silva qu’il traite « d’escroc de seconde zone ».

Padilha fustige la corruption qui gangrène le Brésil (et il a raison); réprouve l’initiative des polices communautaires (UPP) qui « occupent » les favelas afin de les pacifier: « Avant d’occuper les favelas, c’est la police qu’il faudrait occuper« . Suivez mon regard.

Revenant sur l’un des faits marquants de l’année 2015, l’assassinat d’un médecin d’une cinquantaine d’années à Lagoa de Freitas, un quartier chic de Rio de Janeiro, alors qu’il faisait du vélo, Padilha s’engage finalement sur le terrain glissant de l’aveuglement de classe. « Jamais, dit-il, ce crime ne se produirait sur Central Parc. On bouclerait New York, il y aurait cinq cents policiers dans le secteur ». Rien que ça…

Bah oui, qu’attendent-ils pour boucler Rio ? Tiens, « Rio, La Cité Interdite », ça ferait un bon titre de film. Escape from Rio, voilà un joli titre pour un troisième opus de la série de John Carpenter.

Toujours est-il que le cinéaste nous révèle que la sauvagerie – sic – dans laquelle le Brésil est empêtré l’a poussé à réaliser cette « cure » new-yorkaise de quatre ans. C’est plus sûr aux Etats-Unis…

Soit. Mais Padilha a-t-il lu ce reportage du New York Times sur le danger que cela implique de naître noir au pays de l’oncle Sam ?

Si cette fameuse interview ne traite pas à proprement parler de « Narcos », n’empêche qu’elle nous aide à décrypter la série produite par Netflix grâce à quelques éléments biographiques sur Padilha.

Netflix, par ailleurs, qui fait le grand écart en passant d’Orange Is The New Black à Narcos. Ce qui en fait un gros récidiviste (Marco Polo).

Si l’on espérait que le Troisième Age d’Or de la télévision américaine se poursuivrait sur cette plateforme de vidéo à la demande, José Padilha vient d’enterrer nos espoirs.

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Narcos – Netflix

Réalisateur: Jose Padilha. Scénaristes: Chris Brancato, Carlo Bernard, Doug Miro.

Casting: Wagner Moura, Pedro Pascal

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