Quatre films pour comprendre le Brésil contemporain
Je maintiens que le meilleur film sur les années «post-Lula»au Brésil reste Les Bruits de Recife de Kléber Mendonça Filho. Une oeuvre que j’ai longuement décortiquée sur ce blog il y a de cela deux ans. Si d’un côté, le cinéma brésilien tarde à produire un film qui soit le miroir des « années Dilma Rousseff » (il n’y a pas non plus de livre sur ce thème), il est déjà possible de dresser une liste des films qui caractérisent le mieux le Brésil contemporain. Entre cinéma indépendant et films grand public, voici en substance ce qu’il faut retenir des années post-Lula.
Ascension sociale et classes moyennes
Pour comprendre ce qu’on appelle maintenant les « années Lula » au Brésil, il convient de considérer les deux catégories suivantes : l’ascension sociale et les classes moyennes. La première constitue le socle électoral du Parti des travailleurs – « les bases sociales du lulisme », selon André Singer. Et ce sont ceux-là qui feront élire par deux fois l’ancien ouvrier de São Paulo, et plus tard encore, la première femme élue présidente du Brésil. Les Brésiliens les plus pauvres ont eu beaucoup à gagner grâce à Lula da Silva qui a redistribué les richesses du pays sans pour autant perturber l’ordre établi par les grands patrons.
La deuxième est évidemment la garantie de la croissance économique et du consumérisme qui caractérise le Brésil contemporain. « Consommez! » C’était l’injonction de « Lula » aux Brésiliens des classes moyennes. Considérant ces deux critères, voici donc la liste des films qui rendent au mieux le portrait d’une société en constante transformation:
1. Troupe d’élite
José Padilha aime faire de la politique dans ses films même s’il a beau s’en défendre. Son dernier travail, Narcos pour la plateforme de vidéos à la demande Netflix le prouve. Mais son chef-d’oeuvre reste à ce jour Troupe d’élite avec à l’affiche, l’incontournable Wagner Moura. On mettra aussi sur le compteur du cinéaste brésilien un film sur la trajectoire d’un jeune délinquant, Bus 174 (2002). Un film inspiré de faits réels.
Toutefois, c’est avec Troupe d’élite que José Padilha atteint le sommet en remportant notamment l’Ours d’Or à Berlin. La violence des favelas est traitée avec un réalisme stupéfiant, Wagner Moura atteignant un niveau d’interprétation inouï : le rôle de sa vie. Bref, vous ne verrez plus jamais le Brésil de la même manière après ce film.
2. Les Bruits de Recife
Il aura fallu attendre six ans pour que le cinéma brésilien se réveille enfin, sous l’impulsion des nouveaux arrivants derrière la caméra, ici, le Recifense Kleber Mendonça Filho. Lire ma critique en lien au début de l’article.

3. Une seconde mère
Intéressant projet d’Anna Muylaert qui s’attaque directement au problème des inégalités (pas nécessairement raciales cette fois-ci, et c’est la force du film); à la dialectique du maître et de l’esclave à la manière d’Hegel bien que la fin soit une négociation conçue pour plaire à Hollywood. Non, les choses ne finissent pas toujours bien dans la vie.
Car au Brésil, on discrimine les gens du Nordeste, les Noirs, les pauvres, les Indiens, les étrangers. En choisissant Regina Casé*, qui n’est évidemment pas noire, comme personnage principal, Anna Muylaert s’éloigne judicieusement des clichés adoptés par le cinéma brésilien ces dernières années. Les Blancs se discriminent également entre eux.
Pour autant, aucune surprise à la fin. On attendra encore un peu pour qu’un film brésilien nous surprenne outre mesure, à la manière d’un Campanella (Dans ses yeux) qui pose sérieusement le problème de la justice personnelle même dans une démocratie.
Pour comprendre la lutte des classes au Brésil, les manifestations diffusées dans les médias internationaux, Une seconde mère est le film indiqué. La haine entre les classes est visible, on comprend mieux ce qu’a réalisé Lula da Silva en permettant l’ascension sociale des plus pauvres. Une amie, chercheuse en histoire, me faisait remarquer que le film racontait l’histoire de sa vie.
Mais de part et d’autre, il y a une misère culturelle qui contraste avec le faste quotidien de certaines familles. Le Brésil contemporain, plein écran !
4. Casa Grande
Le titre est quelque peu pamphlétaire, car il renvoie au livre de Gilberto Freyre, Casa grande e senzala (The master and theslave), l’une des oeuvres majeures sur les origines de la société brésilienne. S’il se donne une ambition a priori démesurée, le cinéaste Fellipe Barbosa, formé à Columbia, réussit le pari de montrer de l’intérieur le quotidien d’une famille de classe moyenne plutôt riche.
Le père, ancien directeur d’une banque, est probablement le personnage le plus intéressant. Alors qu’il croule sous les dettes, il doit en même temps faire face à un nouveau standing de vie: pour la première fois, il soumet son CV au marché de l’emploi. Il démet un employé de maison et doit faire face à une plainte pour violation des droits du travail, une action qu’il sait perdue d’avance : « Dans ce pays, aucun patron ne gagne un procès de cette nature. » Est-ce le sentiment des patrons dans le monde réel ? C’est possible, au vu de la défiance des marchés contre le gouvernement Dilma Rousseff.
Le film est ponctué de phrases chocs qui laissent entrevoir le dilemme d’une société en mal d’intégration. Un film à voir, un cinéaste à suivre.
Comment parler des « années Dilma »?
Les années 2010 apportent une vague de demandes sociales des minorités sexuelles, raciales, ethniques, culturelles, etc. Ce sont là les problèmes récurrents au Brésil, au-delà de la crise économique elle-même. Le Brésil doute. L’enchantement voit ses effets disparaître tandis que le pays tangue…
Scandales de corruption, mouvement LGBT de plus en plus fort, la droite et l’extrême droite de plus en plus décomplexés. Le PT a partagé, il récolte la colère.
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* Regina Casé est une vedette de la télévision brésilienne. Elle anime l’émission Esquenta tous les dimanches sur Globo; c’est notamment grâce à cette émission que j’esquisse désormais quelques pas de samba.
P.S : Je passerai la semaine à Curitiba pour des vacances bien méritées, mais vous le savez bien que pour moi, vacances veut dire billets d’humour ou d’humeur sur un pays en constante mutation. A bientôt, donc, pour des histoires de la plus belle ville du Brésil.
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