Domingos da Cruz, l’intellectuel persécuté en Angola

Domingos da Cruz est un ami depuis plus de quatre ans. Je l’ai rencontré plusieurs fois dans la ville de João Pessoa où nous avons développé une relation basée sur une admiration mutuelle. Intellectuel acharné, chercheur et philosophe diplômé de l’Université fédérale de Paraíba au Brésil, il est l’un de ces symboles qui laissent entrevoir un avenir radieux pour l’Angola. Cela fait plus de quatre mois qu’il se retrouve derrière les barreaux en compagnie de quatorze autres militants. Accusé de mettre en danger la sûreté de l’Etat, Domingos da Cruz et ses codétenus ont en réalité organisé une journée de lecture autour de deux livres jugés subversifs.
Premier contact avec le racisme brésilien
C’est grâce à une bourse d’études de la Fondation Open Society que Domingos da Cruz arrive au Brésil pour y faire un master en droits de l’homme. Il se distingue tout de suite par son sens critique sans concession. Il bouscule les lignes, tient tête à certains professeurs reconnus au cours d’intenses discussions académiques et/ou politiques : c’est que pour lui, les deux sphères s’entremêlent.
Le racisme de la société brésilienne l’émeut immédiatement. Il ne sera plus jamais à l’aise au Brésil. Plusieurs fois, il m’avouera ne plus supporter de voir la misère sociale, politique et intellectuelle des Afro-Brésiliens. C’est que cette image d’un pays racialement divisé n’est pas sans rappeler la ségrégation raciale qui prévaut dans son propre pays, l’Angola. En effet, Domingos, comme il est connu, a conscience des privilèges sociaux dont bénéficient les métis en Angola. C’est d’ailleurs la première fois que cette problématique émerge sous mes yeux.
Mais, Domingos da Cruz s’indigne également contre le racisme qu’il découvre dans les institutions d’études supérieures au Brésil où les étudiants noirs sont constamment rabaissés.
L’influence sur mes recherches
Lors de nos premières rencontres, il insiste pour visiter mon appartement. Au départ, je ne comprends pas très bien sa démarche. Il me semble qu’il éprouvait une profonde solitude dans son appartement situé près de la plage. Au fil de nos discussions intellectuelles, il m’interroge sur la direction que je veux imprimer à mes recherches. Sur ce, je dois dire aussi que l’Afrique n’a jamais été une question fondamentale pour moi. Je n’y accordais que très peu d’importance. A ce moment-là, encouragé par une de mes enseignantes, je m’apprêtais à écrire un mémoire sur la démocratie brésilienne.
Nos échanges finissent par me convaincre que je serais plus utile en dédiant mes recherches aux transformations sociopolitiques en marche dans une Afrique qui ne cesse de bouger.
Deux livres jugés dangereux
Domingos da Cruz est un homme inquiet qui a été formé chez les catholiques. Partout où il passe, il combat les injustices, en commençant par son pays. Son seul défaut, s’il en est, c’est son acharnement. A côté de lui, je me sentais un peu lâche, moi qui ne m’engageais politiquement pour aucune cause.
Quelques jours avant son retour en Angola, Domingos me confiait ses craintes face au durcissement du régime d’Eduardo dos Santos, l’homme qui a fait de l’Angola un pays dont la croissance économique se maintient à deux chiffres. Pour les observateurs internationaux, cela suffit.
Tout le monde sait pertinemment que l’Angola est une dictature, mais qu’importe, si ce beau pays est devenu le paradis touristique des Occidentaux, un modèle que d’autres pays africains n’hésitent plus à copier.
Cela fait plus de quatre mois que Domingos da Cruz est incarcéré dans une prison en Angola pour avoir organisé une journée de débat autour de deux livres jugés subversifs et dangereux pour la sûreté de l’Etat.
Pour lire le portrait de Luaty Beirão, rappeur angolais arrêté en même temps que Domingos da Cruz, cliquez ici.
Lire aussi le compte rendu publié sur le site Le Monde Afrique.
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