Au Brésil, le bilan (plutôt) sombre du PT sur la question raciale
Lorsqu’un million de personnes sont descendues dans la rue le 15 mars dernier pour manifester contre le gouvernement de Dilma Rousseff (ou contre la corruption, cela n’est pas trop clair), la question raciale a ressurgi. En chute libre, la gauche au pouvoir a profité de ce remue-ménage médiatique pour instrumentaliser les Afro-Brésiliens. Faute d’un début de mandat positif, le parti au pouvoir veut prendre (politiquement) les Noirs en otage.
La ‘Middle class’ brésilienne dit non au pacte national
Le Brésil a sacrément tremblé le 15 mars 2015. Des centaines des milliers de manifestants se sont rassemblés dans les rues de São Paulo, Rio de Janeiro ou Belo Horizonte avec pour seule motivation « exiger la démission de la présidente Dilma Rousseff », et sinon, « une intervention de qui de droit, c’est-à-dire, le Parlement… ou l’armée ». Si, si. Ils sont encore des millions à demander le retour de la dictature militaire.
Face au Parti des travailleurs, c’est tout ou rien. Ou plutôt, c’est rien ou c’est l’armée. Bon, je ne passerai pas mon temps à essayer des comprendre des hommes et femmes (riches) majoritairement de race blanche se plaindre que la démocratie brésilienne profite enfin aux pauvres.
OK, mon propos est quelque peu réducteur, mais l’analyse tient la route. Il existe bien une haine de classes au Brésil, comme l’écrit un éditorialiste du site gauchiste Carta Capital:
Dévorés par l’ignorance politique propagée par les médias, les manifestants [la « Middle class » brésilienne] vocifèrent leur haine contre le PT, contre les partis politiques et contre la politique elle-même. Ils ne présentent aucune proposition concrète.
En gros, un comportement bonapartiste.
La récupération de la question raciale
Une classe moyenne blanche. C’est donc elle qui était dans la rue le 15 mars dernier. L’occasion rêvée pour le PT de ressortir la question raciale d’une manière assez abjecte et dont la perversité ne m’aura pas échappée.
C’est un RT provenant du compte Twitter officiel de la présidente Dilma Rousseff qui a attiré mon attention.
Constatant que le gros des manifestants était de race blanche, le compte @dilmabr a retweeté une photo (puis l’a retirée) de ces derniers avec le commentaire suivant: « celui qui trouvera un Noir sur cette image gagnera un prix!! ».
#MenosOdioMaisDemocracia Ganha um prémio quem achar um negro nessa foto!! pic.twitter.com/Oaz1FJ0GyJ
— Agamenon13 (@agamenonsaude13) 15 março 2015
Inutile de vous dire que ce commentaire m’a choqué. Je m’explique. Les militants de gauche encouragés par les partis politiques au pouvoir ont essayé de déplacer le débat politique de la question de l’impeachment (et de la corruption) de Dilma Rousseff vers la question raciale. Comment une manifestation contre la corruption au sommet de l’Etat aussi bien qu’à la tête des grandes entreprises a pris soudainement le virage vers le débat du racisme au Brésil ?
On n’a plus voulu savoir quel parti politique était fondamentalement corrompu, moins encore si une procédure d’impeachment était légitime dans ce contexte, ou même sur la légitimité d’une telle manifestation.
Non. La question se limitait désormais à savoir quel parti représentait au mieux les intérêts des Noirs. D’où la photo ci-après, où l’on voit des hommes et des femmes de race blanche manifester alors qu’une famille noire reste sur le bord de la route et regarde impassible le spectacle de la haine de classe…
Sem comentários! #MenosOdioMaisDemocracia pic.twitter.com/NiszLMGuHg
— Rê (@reginazukato) 16 março 2015
Au diable ! Il s’agit malheureusement d’une sombre manipulation. Les partis de gauche, leurs militants et même les politiques au pouvoir ont honteusement voulu récupérer la question raciale pour en faire leur cheval de bataille. C’est franchement scandaleux!
Qu’ils sachent donc que les Noirs n’appartiennent à aucun parti. Les Noirs ne doivent rien à personne. Ce n’est pas parce que le gouvernement du PT a mis en place des politiques de quotas que les Noirs devront l’appuyer indéfiniment. Sans broncher.
Une telle pensée est odieuse surtout lorsqu’elle tend à les transformer une sorte de faire-valoir idéologique. Au-delà du fait qu’elle infantilise les Afro-Brésiliens.
Qui est le Barack Obama brésilien?
Mais puisqu’il faut parler de cette fameuse question raciale au Brésil, allons-y. En bientôt seize ans de pouvoir, quel homme politique noir a émergé du PT s’imposant comme une alternative politique sur le plan national? Aucun ! Qui est le Barack Obama brésilien? Personne. Non seulement le parti ne renouvelle pas ses cadres, mais en plus, il ne laisse que rarement la place aux Noirs.

Le PT a certes implanté les politiques de quotas qui ont considérablement augmenté le nombre des Noirs dans les universités fédérales; et elles augmenteront le nombre des Noirs dans l’administration publique, mais politiquement – c’est-à- dire symbolitiquement – le bilan est sombre. Or, ce sont les symboles qui restent.
John Ford l’a bien dit dans le film L’Homme qui tua Liberty Valence, « Si la légende est plus forte que l’histoire, imprimez la légende ».
Joaquim Barbosa a certes été élu président de la Cour suprême de Justice, mais il n’a jamais eu la chance d’être un jour candidat à la présidence de la République. Ni les médias ni les classes moyennes ne l’accepteraient. Le Brésil n’est pas l’Amérique d’Obama.
C’est sur les symboles que le PT aurait dû investir en promouvant un Noir; qui sait, à la présidence du parti ou à la tête du groupe parlementaire présidentiel.
Dommage qu’aucun autre parti politique n’ait fait cet effort-là non plus. Au lieu de cela, ils continuent de s’entretuer pour savoir qui est le légitime défenseur des Afro-Brésiliens. Une vraie politique de caniveau…
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