3 janvier 2015

Oscars 2015, le Brésil offre une fable toute blanche

Après plus de dix ans à regarder ses voisins sud-américains briller aux Oscars, à la Berlinale ou à Cannes, le Brésil reviendra-t-il enfin au sommet avec ce film qui tient la route? Car depuis Central do Brasil de Walter Salles le cinéma brésilien meurt sur la plage, comme on dit au Brésil. L’année dernière aurait dû être celle de la consécration tant la radiographie des années post-Lula de Kléber Mendonça Filho (Le Bruit de Récife) incarnait le renouveau d’un cinéma qui se voulait aussi réaliste que le Cinema Novo (merci wikipédia). Ce Brésil tout blanc est peut-être le seul reproche que l’on fera au cinéaste.

Cette année le Brésil sera représenté aux Oscars par un film paulistano. Pourtant, c’est bien Récife avec ce mouvement que j’ai appelé la « Nouvelle vague de Récife » qui a démontré les premiers signaux d’une effervescence intellectuelle qui se refletait aussi dans son cinéma.

La vague s’est donc répandu jusqu’au sud du pays. Le thème de l’homosexualité devient récurrent chez les cinéastes brésiliens résolument décidés à prendre en charge cette problématique sociale. En se focalisant sur le Récife des seventies, Tatuagem montrait une relation amoureuse improbable entre un jeune militaire fraichement sorti des casernes et un acteur de théâtre assez roublard, partagé entre sa vie d’anarchiste et son rôle de père… Les années de plomb filmées ici de manière poétique. Mais ça c’est une autre histoire…

L’histoire d’un double handicap

Voici donc qu’en 2015, un autre film s’attaque à ce même thème de l’identité sexuelle – si tant est qu’elle existe -. Hoje Eu Quero Voltar Sozinho est l’histoire d’un double handicap (cécité et homosexualité) et de la façon dont on parvient à surmonter les défis d’une vie qui s’impose à l’individu.

Le titre du film – Aujourd’hui, je veux rentrer tout seul, mal traduit en français… Au premier regard   suggère une quête de liberté; mieux encore, d’autonomie et d’émancipation.

Nait-on homosexuel ou le devient-on? En tous les cas, Léo est né aveugle, c’est son fardeau. C’est là tout le propos du film. Mais la question est-elle prise au sérieux? Entre enjeu psicologique et parti pris sociologique du réalisateur qui se veut donneur de leçon (c’est le côté bisounours du film), le drama de Léo se décidera dans le doute. La question de l’homosexualité n’est finalement qu’ornementale…

Une mère possessive

capture d'écran du film Hoje Eu Quero Voltar Sozinho
capture d’écran du film Hoje Eu Quero Voltar Sozinho

Le motif est le même – ou presque – que celui de Men, women & children, dernière critique en date de la culture numérique. Comment s’affranchir de parents très possessifs. La question est plus difficile pour Léo, né aveugle.

La tension monte d’un cran entre Léo et sa mère lorsque celui-ci rentre tard après une sale journée à l’école. Il ne demande qu’à être traité comme ses amis le sont par leurs parents: comme un « adulte normal ». « Mais tu n’est pas normal… », retorque sa mère dont l’ultra-possessivité n’a d’égale que sa bêtise. Je vous ai dit que le film traitait d’handicap (la cécité de Léo). On y est. Et la vérité nue et crue sonne comme un coup de massue.

Le Brésil des années Dilma?

Treize ans après l’avènement de « Lula », le cinéma brésilien est-il finalement prêt à tourner la page et à s’attaquer aux « années Dilma »?

Des années marquées par le renouveau des mouvements sociaux grâce notamment à l’impulsion des réseaux sociaux et internet. Le sujet du film est aussi celui-là, c’est l’histoire d’un cinéaste qui veut apprivoiser la violence d’une société qui tourne difficilement la page de son histoire patriarcale et autoritaire.

Les « années Dilma » sont avant tout une affaire de différence et de reconnaissance.

 Le « Entre les Murs » brésilien?

capture d'écran du film Hoje Eu Quero Voltar Sozinho
capture d’écran du film Hoje Eu Quero Voltar Sozinho

Outre le fait que le film montre des adolescents en milieu scolaire, la comparaison s’arrête là. Bien que cet univers clos fonctionne comme une prison pour Léo qui ne songe qu’à s’échapper (un voyage à l’étranger peut-être… ), le film brésilien est très peu similaire au grand film français traitant de l’immigration des années 2000.

On est loin également du teen-movie conventionnel. Même si rien ne sera aussi tragique que dans American Graffiti, un climat franchement mélancolique pèse tout de même sur le film.

Y apparait néanmoins la violence d’une jeunesse pas si innocente que cela. Léo, l’adolescent aveugle doit trouver sa place parmi des collègues de classes loin d’être des prêcheurs du politiquement correct:

« c’est impossible de s’assoire derrière Léo avec les tic-tacs de sa machine à écrire »

L’arrivée d’un nouvel étudiant va boulverser ce petit monde. Un triangle amoureux se forme. Et rapidement un rectangle. Giovana, la meilleure amie de Léo, Gabriel – le petit nouveau – et Erica. L’amour est là, mais on ne le voit pas si clairement. En amour, justement, tout le monde est aveugle.

Daniel Ribeiro alterne entre temps forts et moins forts. On sent la main tremblante d’un jeune cinéaste. Mais une scène où « Léo va voir un film » au cinéma est particulièrement émouvante

Pas de cinéma en grande pompes ni fanfares à la José Padilha, celui qui immortalisa le capitaine Nascimento. L’affaire est plus simple ici.

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