Nouvelle vague, un tatouage qui colle à Récife

Il se passe quelque chose à Récife. Le cinéma de l’Etat du Pernambuco a des choses à dire et à montrer. Depuis le très acclamé Le Bruit de Récife de Kléber Mendonça Filho, on scrute à la loupe la moindre production du cinéma de Recife. Les seventies, la télévision n’a pas encore envahi les foyers brésiliens, la dictature des militaires faiblit… un groupe de « dégénérés moraux », une bande d’acteurs hautement subversifs décide de braver tous les interdits et de faire sa révolution… sur scène
Tatouage, le dernier film de Hilton Lacerda, scénariste révélé par son travail dans le Bal parfumé (1996), et réalisateur pour ce désormais classique, est un coup d’électrochoc sensoriel et politique.
C’est l’histoire d’une rencontre troublante entre le leader d’une troupe théâtrale, Clécio (Irandhir Santos, au sommet de son art) et Fininha (Jesuíta Barbosa) , jeune et beau petit militaire en passe de finir sa formation à l’académie. Le jeune homme sera amené à faire un choix entre la caserne, où il mène une vie austère, rude, violente, quasi spartiate et l’univers fertile et coloré d’une troupe théâtrale qui baigne dans la promiscuité de sa condition artistique… et queer.
Choquante et forte est l’expérience visuelle que nous propose Hilton Lacerda grâce à un jeu de lumières agressif. .. le passage de l’obscurité à l’éclairage à outrance témoigne, il me semble, d’une volonté du réalisateur de construire une nouvelle perception de la morale sociale : c’est dans le noir que se trouve la vertu, la lumière révèle nos vices… Le combat politique est un combat d’ordre moral. Car tout le film est fondé sur des choix. Et c’est là une cruelle révélation…
Sensualité et sensibilité vs brutalité et masculinité
Certes, le film est quelque peu didactique, mais il y a, de l’opinion de certains téléspectateurs, une part phénoménologique dans cette oeuvre fictionnelle, car, en définitive, ce qui compte, c’est la façon dont Tatouage « se laisse voir » à chaque individu présent dans la salle. Le film est essentiellement une poésie subversive (scène du cardinal).
On passe constamment d’un monde à l’autre, d’une réalité à l’autre… de la nuit à la lumière affligeante du jour (faiblesse technique ou intentionnalité à peine masquée?)… du huis clos quasi permanent dans le film, on s’ouvre, à travers une fenêtre, à la grandiosité suffocante et hostile de Récife, après une première nuit d’amour de ce couple homosexuel… une scène immémorable !

La vie bohémienne des artistes gays de Recife
La famille recomposée. C’est un thème qui fait parler aujourd’hui. Mais, ici, Hilton Lacerda nous propose une vision des années 1970, finalement assez contemporain e: comment éduquer un adolescent dans un univers aussi trouble que celui de Clécio ? Son fils partagé entre un père homosexuel et une mère célibataire incarne finalement les dilemmes moraux de notre époque…
Clécio balance dans ce microcosme émotionnel entre son jeune amant et sa famille. « Je n’ai jamais dansé comme ça avec un homme » lui souffle Fininha, auquel il rétorque : « Je n’ai jamais dansé comme ça avec un soldat »… Tout le temps ce jeu entre paradoxes, le conflit identitaire et politique entre ces deux protagonistes/antagonistes. C’est ici aussi, le premier moment initiatique d’une vie adulte de combat qui se profile devant Fininha au moment où la dictature des militaires commence à flancher, la fin des années 1970.

Une note négative tout de même dans ce chef-d’oeuvre, comme Récife commence à nous habituer, concerne une certaine fragilité des dialogues; pas assez subtils, peut-être aux yeux d’un sociologue comme moi, une référence trop naïve à Michel Foucault qui sonne « bobo »… Gays et « bobos » en lutte contre la dictature, on aura tout vu… mais, peut- être que quelque chose m’aura échappé dans la démarche d’Hilton Lacerda comme me l’a fait remarquer une amie…
Quant au titre du film, on laissera le téléspectateur décider de sa pertinence… Un indice : le choix.
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