12 Years a Slave, le martyre des corps (sans spoilers)
De nombreuses critiques se fondent sur le martyre des corps dont “abuse” Steve McQueen dans son nouveau film pour dénoncer l’excès d’images choques qui n’ont pour seul effet que de surfer sur une victimisation des noirs. Mais une telle lecture du film semble ne pas considérer la place qu’occuppe le corps de l’individu dans la philosophie libérale britanique, une tradition à laquelle appartiennent évidemment Steve McQueen, Chiwetel Ejiofor et Michael Fassbender.
Chez Hobbes, par exemple, la liberté de l’individu tout comme son assujettissement se définissent par le pouvoir absolu exercé par l’autorité sur le corps du citoyen. Ainsi donc, lorsque les individus décident de fonder un Etat, ils concèdent le droit de vie et de mort au Léviathan, seul détenteur définitif de la souveraineté.

On y retrouve la formule de toutes les formes de totalitarisme dont l’esclavage fut une manifestation historique.
La liberté n’est autre chose qu’une question de souveraineté pour les philosophes anglais, soient-ils économistes (Ricardo ou Smith), empiristes (Hume) ou libertariens (Locke).

Il n’y a jamais une plus grande forme d’oppression que celle exercée sur le corps de la personne. Pas de place ici pour la réthorique.
En même temps, être libre c’est disposer totalement de son corps. Ce n’est pas pour rien que dans 12 Years A Slave, la violence contre les noirs se manifeste aussi par la volonté poussée à l’extrême de les confiner, de les foueter et les humulier dans leurs chairs.
Certaines images peuvent insupporter les téléspéctateurs, admettons-le. Mais Pour Steve McQueen l’objeticf consiste à capturer de manière crédible le moment exact où l’esclave perd la souveraineté sur son propre corps et partant, sa liberté (voir la première scène de soumission de Solomon Northup).
J’ai l’impression qu’un chef-d’oeuvre a pour vocation de soulever la polémique parce qu’il ne peut satisfaire à tous. Prenons un autre exemple qui interpelle: Le Vent se lève de Miyazaki.
J’ai lu ici et là que le film était soit trop militariste soit pas assez patriotique. Le fait est que Miyazaki a donné libre-court à son expression artistique autorisant le public à le digérer comme il l’entendait… ou non.

C’est le même effet que produit 12 Years A Slave. Pour ma part, je préfère un réalisateur qui “donne à voir” plutôt qu’un autre qui “donne à entendre” (Spielberg, dans Amistad et Lincoln). De toute façon, la société du spéctacle actuelle n’est-elle pas plus réceptive aux images qu’à un quelconque autre langage?
En fait, Steve McQueen s’inscrit radicalement dans « l’esprit du temps »… comme Kechiche et Scorsese.
Que demander de plus?
Quant à ceux qui affirment que le cinéaste fait de la surenchère dans son traitement de la violence, une image vaut bien mille paroles…

Commentaires