Comment les femmes sont devenues plus méchantes dans les télénovelas
C’est un phénomène typique d’une époque qui exige bien une analyse ici. Les femmes sont de plus en plus méchantes dans les télénovelas brésiliennes (feuilletons tv de soirée). Contrairement au désormais cultes « Hommes difficiles » des séries US, la télévision brésilienne mise sur le côté obscure de la femme. Tentative d’analyse.
Les spécialistes de la télévision américaine, Emily Nussbaum (@emilynussbaum) du New Yorker en tête, se plaignent de l’absence de personnages féminins importants dans la dernière décennie pourtant définie comme celle du Troisième Age d’Or de la Télévision américaine. Brett Martin, auteur d’un ouvrage de référence en la matière y voit une marque de l’époque inséparable de la personnalité des principaux showrunners américains. Le Troisième âge d’or de la télévision américaine a essentiellement porté sur des « Hommes Difficiles ».
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Au Brésil, la chaîne de télévision Globo accorde beaucoup d’importance aux femmes, mais cette fois, dans les « mauvais rôles ». J’ai surtout remarqué que depuis 2008, bon nombre de télénovelas ont eu pour protagoniste principale une femme diaboliquement manipulatrice et eventuellement assassine.
La série A Favorita fut, à mon avis, un point d’ancrage. Elle coincidait avec l’année de mon installation à João Pessoa, et je peux vous dire que c’est la série que j’ai suivie avec le plus d’intérêt en bientôt 8 ans de « vie brésilienne ». Cette télénovela misait sur la dualité de la femme, le ying et le yang en conflit, le bien et le mal dans un duel interminable…
Mais c’est bien la qualité des personnages qui frappe en comparaison avec les séries américaines. Plus tard, c’est dans une télénovela ayant eu un succès international que l’on retrouve une femme centralisant l’attention et surtout le don de la méchanceté.
La Carminha d’Avenida Brasil est un archétype. Ne vous laissez pas berner par ce joli prénom qui rime avec Djalminha, Ronaldinho (!)… Carminha est un monstre! Elle a marqué cette deuxième décennie du 21° siècle. Après elle, toutes les « méchantes » ne sont plus que des pâles caricatures. Cela est d’autant plus paradoxale que sa méchanceté était une garantie du succès auprès du public. Celui-ci étant majoritairement composé de femmes, peut-on dire qu’un tel personnage d’autorité et pouvoir (même négatif) reflétait l’image de ce que les brésiliennes souhaitaient être?
Ce court extrait me permet de rebondir sur une autres question. Pourquoi les femmes noires et pauvres sont systématiquement décrites comme des victimes? Est-ce là le rôle définitif qu’est appelée à assumer la femme noire dans la société brésilienne: celui d’une pauvre victime consentante?
Je ne dispose malheureusement pas d’assez d’éléments pour répondre à cette question. Le fait est que ce motif se répète en 2015 dans une autre télénovela diffusée par Globo, I Love Paraisópolis. La même scène se répète, une femme noire, doméstique – normal (!) – est constamment rabaissée par sa maîtresse blanche. La société esclavagiste est loin d’être morte on dirait.
Pour autant, ce portrait de la femme brésilienne par les télénovelas est-il réaliste? La télévision est-elle entrain de construire au forceps une image de la femme rebelle? Cette image d’une femme cruelle portée sur le petit écran a-t-elle une résonance dans la société? La femme riche (donc blanche) est-elle forcément diabolique?
C’est là un détail important aussi. Le Brésil est un pays profondément catholique avec ces dernières années une augmentation décisive des mouvements évangéliques. Cette représentation quasi biblique (et donc condamnable) de la femme a donc des chances de trouver son public.
Curieusement, l’émergence de ces femmes fatales (littéralement) n’est peut-être pas anodine dans un contexte politique patriarcal où les femmes s’emparent du pouvoir. La télévision joue aussi ce rôle de rupture avec l’image idyllique de la « mère poule ». Les femmes assassinent bien plus que les hommes dans les télénovelas brésiliennes. Beatriz, la nouvelle anti-héroïne qui se distingue dans Babilônia atteint de nouveaux sommets de la « cruauté genrée »…
Conclusion? Bah, réveillez-vous les mecs!
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Bonus: Je poste une vidéo pour les lusophones qui lisent ce blog; un excellent documentaire sur la présence des noirs dans les télénovelas brésiliennes. Un thème qui mériterait un billet à part… un jour prochain, je l’espère. Il y aurait tant à dire, sur les actrices noires, les acteurs noirs aussi, car chacun des sexes a eu un traitement particulier.
A Negação do Brasil – O Negro nas Telenovelas Brasileiras from Ronaldo Coutinho Pereira on Vimeo.
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