La publicité brésilienne, la plus machiste du monde
« Brésil, pays du football », pays du « jogo bonito », un titre bientôt contesté ? Le Brésil affectionne particulièrement les titres pompeux : « Le pays de l’amour »,« Le pays du plus grand carnaval du monde », « Le géant des Brics », et tout récemment, le pays a même gagné l’honneur d’avoir dans son Parlement le plus mauvais député du monde en la personne de Jair Bolsonaro. Peut-on aussi dire que le Brésil est le pays où les spots publicitaires sont les plus machistes au monde ? On en parle.
Cela fait un moment que ce billet est en attente. Mais le sujet est tellement important que je me suis interdit de le ranger parmi « les articles que je n’ai jamais pu écrire par manque de temps ou d’inspiration » – d’ailleurs il faudrait que je pense à rédiger un papier à ce sujet… Donc, voilà que je me décide enfin de donner un petit aperçu de la publicité au pays des cariocas et des gaúchos*.
Le pays de la pub…
Déjà, il faut reconnaître un fait, le Brésil est certainement l’un des meilleurs producteurs de publicité au monde. Quand je dis « meilleurs », vous entendez bien qu’il y a là une dimension perverse assez évidente. L’idée même que l’on puisse songer à classer les meilleures publicités est assez obscène. C’est le cas, par exemple, du marché de la publicité pour produits de luxe visant les enfants…
Je parle évidemment de l’effet d’impact. La publicité brésilienne fonctionne comme un électrochoc. Il faut dire que ce n’est pas l’imagination qui manque dans le secteur. Le Gunn Report 2015 place le Brésil parmi les cinq meilleurs pays en ce qui concerne la création publicitaire, derrière la Suède, le Japon, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.
… Drôle et efficace…
Il y en a qui sont vraiment très drôles, ainsi, cette pub du distributeur de combustible, Ipiranga. Drôle et efficace en plus d’être infiniment renouvelable…
Le « pitch » se répète depuis des années, en trente secondes. On voit généralement un homme en voiture qui s’arrête pour demander un renseignement et ça donne des dialogues extrêmement drôles:
– Hey mon gars, où puis-je trouver un café ?
– Là, à la station Ipiranga.
– … et du forfait pour mon téléphone ?
– A la station Ipiranga…
– Une pharmacie, une boulangerie ? La réponse est invariablement la même. Et quand je dis invariable…
– Et ce petit garçon très malin, c’est ton fils ?
Après hésitation, « Mon gars, ça, il faudrait poser la question à la station Ipiranga ».
Mais, ailleurs aussi, ils font de la publicité efficace et saine, c’est-à-dire sans culs ni fesses trop dévoilés. Celle-ci par exemple :
En regardant ce spot considéré comme « la meilleure pub au monde », je me suis dit qu’au Brésil, aucune agence « sérieuse » ne la laisserait passer. Quoi ? Une pub de cinq minutes sans une seule paire de fesses? Même pas une allusion? Ce n’est pas sérieux…
… et souvent, très machiste
Pour le reste, le tableau est très sombre. Le Brésil excelle dans la production des publicités machistes. Si l’imagination est débordante, cela va de pair avec un manque de rigueur flagrant dans la régulation des contenus publicitaires.
Regarder la télévision peut parfois être un exercice périlleux surtout si vous avez des enfants chez vous. D’autant plus que les heures de diffusion sont rarement classifiées selon les âges.
Les premiers coupables sont bien les brasseries. il faut parfois bien s’accrocher pour ne pas s’étouffer. L’alcool est constamment mis en scène aux côtés d’une femme, très souvent ne portant qu’un bikini – s’ils sont gentils -, au point où l’on se demande avec raison ce qu’on nous invite à consommer. La femme ou la bière?
La publicité brésilienne est le reflet de ce pays extrêmement machiste. Un paradoxe pour un pays qui a réélu une femme à sa tête en 2014. Cependant, la vie n’est pas toujours facile pour Dilma Rousseff. J’en ai parlé ici.
Peut-on faire plus dégradant pour la femme que ce spot d’Itaipava ? En fait, oui.
Le cas le plus choquant de cette année 2015 en période de Carnaval (on s’en doutait) est à mettre sur le compte d’une affiche publicitaire de chez Skol, rapporte Carta Capital. Créée par l’une des agences publicitaires les plus réputées mondialement [voir le lien du classement plus haut dans le texte], cette pub a dû être retirée puisqu’elle décrivait les Brésiliennes comme des objets sexuels consentants avec une phrase pour le moins troublante : « J’ai oublié le ‘non’ à la maison ». Traduisez : baise-moi !
Carta Capital rappelle également que l’Agence nationale de régulation de la publicité n’a pas dans son règlement un texte clairement prohibitif contre le machisme. Le combat est donc nécessaire. Il faut dire que même lorsque la marque des tongues Havaianas a voulu se refaire une réputation au début des années 90, elle a misé sur le sex appeal, ou la capacité de papillonner d’une carioca à l’autre.
Ce n’est pas un hasard non plus que le concurrent direct des Havaianas sur le marché brésilien se nomme Ipanema. Une référence au célèbre tube de Tom Jobim et Franck Sinatra, A garota de Ipanema.
Les plus grands producteurs de tongues au Brésil ne sont donc pas en reste. Très souvent leurs spots s’accompagnent d’un discours agressif envers les femmes dont la représentation est constamment sexualisée.
Notez tout de même que le philosophe français Jean Baudrillard ne s’était pas trompé dans son livre Le Système des objets en affirmant le « caractère abstrait des objets », soulignant que « leur fonction était relative au sujet ». On peut donc se consoler avec l’idée que des jolies paires de tongues Havaianas puissent également servir à flanquer une bonne raclée à ces publicitaires franchement machistes.
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* Gaúcho, habitant du sud du Brésil
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