Brésil-Argentine : deux femmes dans la tourmente
Difficile d’être optimiste par les temps qui courent. Le Brésil est dans la tourmente. Ceux qui annonçaient une crise économique de grande envergure pour l’année 2014 se sont trompés d’une année. L’année 2015 est cauchemardesque pour les Brésiliens. Dilma Rousseff réélue en décembre 2014 n’est pas sûre de terminer son mandat tant le mouvement pour un impeachment prend de l’ampleur. Curieusement, une autre « femme du pouvoir », chez nos voisins argentins, Cristina Kirchner affronte une défiance similaire.
Victime du machisme ou incompétente?
Les deux cas sont très différents. Dilma Rousseff affronte les conséquences politiques de la fin du fameux pacte national initié par Lula da Silva qui avait permis à la gauche d’accéder au pouvoir en 2002.
Après avoir sorti de la pauvreté pas moins de 40 millions de Brésiliens; une « Argentine tout entière » (on y arrive… ) , formule-choc utilisée par Rousseff elle-même lors du débat présidentiel fin 2014. Le Parti travailliste (PT) est au plus bas dans les sondages, sa popularité proche du néant. Pire encore, même la sympathie que la présidente inspirait aux « gens du Nordeste » s’évapore au gré des articles publiés jour après jour sur le scandale de Petrobras [VIDEO, ARTE]. Et on ne voit pas la fin du tunnel.
Mais, on se demande si cette hostilité contre Dilma Rousseff est due réellement à son incompétence ou à sa condition de femme. Car, toute personne, saine d’esprit, n’oserait dire que la corruption a commencé sous l’administration Rousseff.
Au contraire, jamais auparavant les organes d’accountability n’avaient eu autant de liberté pour enquêter sur les « dossiers noirs » de l’administration publique et privée.
Dilma Rousseff est constamment insultée, conspuée, humiliée par les médias et sur Internet. Il est évident que son plus grand péché est d’être une femme dans un pays où la femme est avant tout considérée comme un objet de consommation…
Il suffit pour s’en convaincre de regarder les spots publicitaires des boissons alcoolisées dans lesquels la femme est traitée comme un produit de consommation disponible pour assouvir les désirs du mâle fêtard…
La haine contre Dilma Rousseff me rappelle la défiance dont souffre Laurent Blanc au PSG pour le simple fait d’être… français. Il aurait déclaré récemment : « Quoi que je fasse, ça n’ira jamais ». Tout est dit. Dilma Rousseff pourrait aisément paraphraser « Lolo White ».
« Avez-vous été violée ? »
En 2010, un journaliste est allé jusqu’à lui demander en direct si elle avait été effectivement violée pendant la dictature militaire. J’avais trouvé la question d’une extrême violence, madame Rousseff méritait un certain respect et le droit à la discrétion sur sa vie privée. Bref.
Nier la politique distributive de gauche qui a fait le succès de son parti n’y change rien. Son gouvernement très market friendly n’y change rien. Les marchés s’affolent comme s’ils avaient une personnalité démente. Le dollar ne cesse de grimper frôlant les quatre reais (4 R$)… taux record atteint pour la dernière fois en 2002 avant la prise de fonction de Lula. Là encore, les marchés étaient devenus fous… Dictature des marchés ? Mais, non ! mais non ! Ne nous affolons pas.
Le « plan Lévy »…
C’est un peu notre Cro-magnon à nous… plutôt, notre Macron, en pire. Terrorisée par les marchés (toujours eux), Dilma Rousseff a nommé au ministère de la Fazenda – économie – un homme des marchés justement. Joaquim Levy, l’ex-nouveau sauveur du Brésil, market-friendly, adapté, conforme à la « bonne gouvernance » et adepte de l’équilibre budgétaire est sur le point de jeter l’éponge…

L’effet souhaité ne se produit pas. Le dollar monte, monte, et monte encore. L’inflation est quasi incontrôlable. Le prix de l’énergie électrique explose (augmentation des impôts variant de 28 à 32 % selon les Etats) sans explication claire, les aliments sont chers, j’ai failli me suicider lors de mon dernier approvisionnement chez Carrefour… Madame Rousseff, à court d’idées demande au peuple « d’être patient ». Facile à dire quand on est nourrie et logée aux frais de l’Etat. C’est ce qu’on appelle aussi une cure grecque bien rangée.
Le Brésil avance, mais on ne sait vers où. Le parti au pouvoir est divisé, raconte-t-on. Les médias de gauche et de droite se livrent à une guerre idéologique sans merci. Les uns – ceux de droite – appellent à l’impeachment, d’autres – ceux de gauche – dénoncent une tentative de coup d’Etat.
Ce deuxième mandat risque d’être trop long…
La fin des Kirchner en Argentine
Le problème de Kirchner est autre. Ou presque. Je ne suis pas un spécialiste de l’Argentine mais je suis l’affaire Nisman avec intérêt. Cette affaire du nom d’un procureur assassiné est peut-être sur le point d’emporter la présidente de gauche en Argentine.
L’affaire remonte à 1994 avec précisément une enquête sur l’attentat au siège de l’association juive, Amia [cinq points pour comprendre l’affaire]. Le procureur Alberto Nisman qui mène l’enquête y incrimine directement la présidente Kirchner qu’il accuse d’avoir protégé des intérêts iraniens.
Quelques semaines avant sa mort, il avoue à ses proches qu’il ne survivrait pas… Cette affaire qui mixe espionnage, politique, diplomatie et commerce extérieur secoue sérieusement les institutions argentines, mais surtout, montre que l’héritage néfaste de la dictature militaire est loin d’être complètement effacé.
A ce sujet, il est très utile de visionner le film de Juan José Campanella, El secreto de sus ojos, qui traite justement de cette période obscure. Il n’est pas anodin que l’astre du cinéma argentin Ricardo Darín qui tient le rôle principal dans le film demande l’éclairage sur la mort de Nisman jusque-là tenue comme un suicide alors qu’une autre enquête commandée par la famille de l’ex-procureur confirme la thèse de l’assassinat.
Après plus de 20 ans de stabilité politique, force est de constater que la démocratie en Amérique du Sud est encore bien fragile, et qu’il est nécessaire de toujours la renouveler, car rien n’est jamais acquis.
La démocratie en Amérique du Sud se joue peut-être sur le futur politique de ces deux femmes.
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