De quelle démocratie l’Afrique a besoin ?

Cher ami ivoirien,
On s’est parlé à l’espace Latrille, t’en souviens-tu? Tu m’as abordé alors que je discutais comme toujours avec un groupe de mondoblogueurs. C’est vrai que le sujet dont je vais te parler n’a pas fait l’objet de notre petit échange, mais il me semble qu’il était sous-entendu. D’ailleurs je crois qu’il doit t’intéresser, car j’ai bien remarqué ton esprit de curiosité et un profond besoin d’apprendre. Pour faire vite, je te soumets immédiatement une question : de quelle démocratie l’Afrique a-t-elle besoin?
Cette question ne tombe pas du ciel. Ceux qui me suivent sur Facebook (Eh, oui, c’est possible, penses-y) savent que j’ai été invité ce vendredi 30 mai 2014 à donner une conférence à l’université fédérale de Paraíba (Brésil) sur le thème très problématique et « dangereux » comme du sable mouvant : « Les conflits en Afrique et la démocratie ».
Pas facile, cher ami, d’aborder une telle problématique qui n’est rien d’autre qu’un sujet piège, mais je m’en suis rendu compte trop tard.
J’étais le deuxième à parler lors de cette conférence et j’ai brossé en 20 minutes une analyse (dans une perspective des sciences politiques, uniquement) « les raisons de la permanence des conflits en Afrique », parmi lesquelles le manque de démocratie dans le continent.
Car, mon très cher, si tu ne le sais pas, jamais dans l’histoire de l’humanité deux démocraties se sont fait la guerre entre elles. Ce qui nous laisserait supposer qu’en démocratisant les pays (et non pas d’abord les régions, comme la question est abordée actuellement), on pacifierait le continent. Forcément !
Du moins, les guerres entre Etats n’auraient plus lieu. Par exemple, un Rwanda démocratique n’envahirait jamais une RDC démocratique, jamais la Libye ne déclarerait la guerre au Tchad, etc. Tu vois ce que je veux dire? Je sais, c’est de la prétention de politologue bête et colonisé…

Ah, ah, la colonisation mentale… figure-toi que mes interlocuteurs sur la table n’ont cessé de m’attaquer sur ce point. Un petit détail est important ici. A l’exception d’un conférencier, tous les autres étaient Africains et défendaient, à ma grande surprise, un modèle démocratique à l’africaine… j’ai déjà entendu ça quelque part, mais je ne sais plus où? Peut-être pourrais-tu m’aider à comprendre ce que c’est que ce concept. Démocratie à l’africaine, ou démocratie adaptée à la réalité africaine… Démocratie Nescafé?
N’est-ce pas une fuite en avant ? Tous mes interlocuteurs ont défendu Kadhafi, Joseph Kabila, Paul Biya ou Denis Sassou-Ngesso… selon eux, mieux vaut ces gens-là que les injonctions occidentales… et « ma science », pour eux, est colonisée.
J’étais bien seul dans cette mer d’idées archaïques et dangereuses portées, chose grave, par des intellectuels africains, jeunes qui plus est. La faillite démocratique du continent noir ne fait plus aucun doute pour moi. Les dictateurs, sinon les systèmes autoritaires en Afrique dureront aussi longtemps que le Troisième Reich l’aurait dû : mille ans…
Aide-moi à comprendre cher ami, car je suis sorti de la conférence un peu déprimé. Heureusement, plus tard dans la soirée, alors qu’on prolongeait les débats avec cette fois-ci deux ou quatre boissons alcoolisées, certaines personnes sont venues discrètement vers moi pour me féliciter pour ma présentation qui s’est « distinguée » par sa clarté et son objectivité scientifique, « ce n’était pas de la divagation de rue », m’a même dit un jeune homme apparemment satisfait et, certainement, ironisant l’exposé d’un autre confrère africain…
Mais, ne t’inquiète pas, je te dis ces choses ici parce que c’est toi, et avec toi je peux tout dire. Mais pas avec eux. J’ai bien caché ma déception. Quels piètres intellectuels notre continent produit-il bon sang !
J’ai également indiqué à l’auditoire que l’un des défis du continent serait de trouver différentes manières d’adapter nos traditions aux valeurs, mais surtout aux pratiques démocratiques, notamment en ce qui concerne le pouvoir et l’autorité des chefs coutumiers. Doivent-ils continuer à influencer les votes? Quelles relations entretiennent-ils avec les pouvoirs centraux? Quelles sont leurs responsabilités dans la récurrence des conflits armés en Afrique?
Beaucoup de chose ont été dites, mais j’ai décidé de te parler de ma déception dans le but (qui sait ?) de trouver en toi la lumière qui manque à mon sentier…
A bientôt, hors d’Abidjan, j’espère…
>>> Poursuivre le débat ICI.
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