Etre un couple mixte au Brésil
Le sujet est polémique. Et d’une certaine manière relève de la vie privée de chacun. Toutefois, la récurrence des couples mixtes entre Africains et Brésiliennes, que je constate au Brésil, exige qu’on s’y attarde un instant. Faut-il être contre les couples mixtes? Cette interrogation est l’objet d’une longue réflexion et s’appuie sur des faits observés, notamment au Brésil où j’ai vu beaucoup d’Africains s’engager dans des relations plus ou moins durables avec des Brésiliennes de race blanche.

Une crise identitaire
Je considère que l’une des plus grandes faiblesse des communautés afro-américaines ou afro-brésiliennes (que je connais le mieux) est de ne pas accepter leurs origines africaines. A la différence des Etats-Unis où chaque noir est en mesure de retrouver les traces de ses ancêtres noirs, au Brésil, la Nouvelle République, à travers son ministre de l’Economie, a détruit toutes les archives permettant de retracer les origines africaines des brésiliens.
Comme conséquence, les afro-brésiliens se sont créés un imaginaire social qui leur octroie des origines blanches, une forme aussi pour les autorités politiques de renforcer le mythe d’une nation brésilienne post-esclavagiste. Il y a donc une double tragédie qui frappe la communauté noire au Brésil : une perte d’identité matérielle, puisque rien de concret ne prouve qu’ils venaient d’Afrique, ainsi qu’une perte d’identité historique et psychologique qui rend impossible tout travail mémoriel de leur part.

Une question d’intégration
Qu’est-ce qui fait donc que les jeunes africains qui immigrent au Brésil décident le plus souvent de s’engager dans un couple mixte ? La réponse la plus simple serait de dire qu’ils le font par amour. Je ne veux rien généraliser, mais cette réponse me paraît justement des plus simplistes.
- Premièrement, elle ignore les difficultés que cela implique pour un jeune africain de s’intégrer au Brésil sans être en couple avec une brésilienne. En effet, la loi brésilienne met tout en oeuvre pour empêcher les expatriés originaires des pays « pauvres » de s’intégrer sur le marche du travail. Même la nouvelle loi qui vient d’être votée au Parlement et attend sa confirmation par le sénat et la présidence de la République établit une nouvelle distinction, pour ce qui est du marché du travail, entre européens d’un côté et africains et sud-américains de l’autre.
Il est donc plus facile pour les couples mixtes de trouver un travail décent. Par ailleurs, dans une société raciste comme l’est le Brésil, si l’on se marie avec une blanche, on a plus de chance de s’intégrer rapidement.
- L’autre fait observé, bien que je ne possède aucune statistique, est que ces couples mixtes se séparent généralement dès que l’homme a obtenu la documentation qui lui permet de travailler légalement. Il s’agit donc aussi d’une stratégie de survie.
Une pathologie psychologique ?
Jusque là, je ne m’étais pas engagé dans une argumentation d’ordre psychologique, celle que l’on pourrait aussi qualifier d’argumentation de « type fanonien », c’est-à-dire, une ligne d’argumentation qui s’occupe essentiellement des facteurs psychologiques à l’origine des couples mixtes.
J’ai toujours eu l’impression que beaucoup de noirs avaient peur de lire Frantz Fanon. Il faut dire que se confronter à ses propres démons n’est pas chose aisée. Puisque c’est bien de cela qu’il s’agit quand on lit Peaux noires, masques blancs… C’est un livre sans concessions qui confronte directement notre psychologie colonisée et post-esclavagiste en révélant nos craintes et nos aspirations individuelles en tant qu’hommes noirs : devenir blanc. Une première lecture de ce livre peut être un choc pour n’importe quel homme noir.
Pour ma part, je le considère comme un livre essentiel, et surtout, indispensable pour tout homme qui vit en Occident. Il est préférable d’en être conscient surtout lorsqu’on décide de s’engager dans un couple mixte.
La place de la femme noire
Pour terminer, je voudrais aborder assez rapidement la place de la femme noire dans cette histoire. Je connais beaucoup de femmes noires qui se plaignent que « leurs frères » préfèrent toujours les blanches surtout lorsqu’ils ont atteint un certain bien-être social. Il serait tout aussi naïf de considérer que ces dernières ne développent pas elles aussi des stratégies de survie du même ordre.
Même si pour une femme le jugement social pèse plus lourd, elles sont de plus en plus nombreuses à rechercher le grand amour chez le brésilien de race blanche. Pas plus tard que cette semaine, un ami me racontait sa mésaventure, alors qu’il écoutait deux afro-brésiliennes discuter sur l’importance de se marier avec un blanc. Le pauvre est ressorti complètement laminé et désespéré par cette « découverte ».
On ne peut pas dire que les africaines immigrées soient vraiment différentes des afro-brésiliennes dans ces cas-là…
Bonus
Deux entretiens essentiels avec Ta-Nehisi Coates, journalistes et essayiste afro-américain et Angela Davis, activiste des droits civiques et essayiste :
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