La malédiction du gardien noir au Brésil

Nouvelle partie de la chronique du Mondial initiée il y a quelques mois sur ce blog. Cette fois-ci je voudrais vous parler d’une malédiction, d’un mythe qui, d’une certaine manière, trouve ses racines dans le racisme historiquement ancré dans la société brésilienne.
J’étais surpris au départ lorsqu’un ami m’a dit en 2008, « : Tu sais, chaque fois qu’un gardien noir est dans les buts du Brésil, la Seleção ne gagne jamais une Coupe du Monde. C’est une malédiction ! ».
Sérieusement ? Je n’avais pas compris. Après tout, qui comprendrait une telle mythologie à la brésilienne avec seulement quelques deux, trois mois de contact avec les codes culturels de cette même société?
Pour qu’une telle conclusion soit tirée, selon laquelle les gardiens noirs portaient la malédiction de l’échec, il devait y avoir au moins dix, voire quinze faits capables d’ancrer cette malheureuse statistique dans l’imaginaire et l’inconscient national.
C’était donc assez normal de chercher à savoir combien de fois le Brésil avait participé à une Coupe du Monde en ayant un gardien de but noir dans ses buts.
Pas tant que ça en fait. Seulement, les défaites sont arrivées aux mauvais moments… le hasard qui contribuait à la reproduction des préjugés contre les Noirs.
Tout commence en 1950, au Maracanã, le Brésil affronte la céleste, fantastique sélection d’Uruguay arrivée sans gloire à Rio de Janeiro lors de cette première Coupe du Monde post-Guerre Mondiale. Pourtant, l’équipe nationale d’Uruguay crée la surprise en remportant une finale inédite face à un Brésil de rêve. J’en ai parlé ici, de ce Maracanaço.
Bien qu’en 1950 plusieurs idoles du football brésilien étaient noires, comme Didi ou Léonidas da Silva, la société était encore marquée par le racisme, presque une ségrégation façon apartheid. Chacun savait où était sa place, en gros.

Et si d’aventure, on représentait la Seleção en Coupe du Monde il fallait bien le faire. On dit souvent que le poste du gardien est le plus ingrat dans le football. Dans le cas des gardiens noirs au Brésil, l’hypothèse se confirme dramatiquement.
Au moment de cette défaite brésilienne en 1950, et donc de la victoire de l’Uruguay, c’est un gardien noir qui gardait les cages de la Seleção, Moacir Barbosa Nascimento. Toute la responsabilité de l’échec fut reportée sur le pauvre homme et sur tous ceux de sa race qui viendraient après.
Le deuxième fait historique marquant qui viendra confirmer cette « malédiction sociologique »est beaucoup plus proche de nous, précisément en 2006 à Frankfurt. La France de Zinedine Zidane battait, de cette belle manière que l’on sait, le Brésil de Dida, tient. Ce mythique gardien du Milan AC porterait lui aussi le chapeau alors que Roberto Carlos était beaucoup plus fautif sur le coup que lui. Voyez la vidéo ci-dessous pour vous en convaincre.
https://www.youtube.com/watch?v=3NKvKOSOYrU
Mais c’était pour les Brésiliens, la fois de trop. La malédiction qu’on soupçonnait à peine se confirmait. Même avec une équipe de rêve, peut-être supérieure (sur le papier) à celle de 1950, portée par ses “quatre fantastiques” perdait (encore…) à cause d’un gardien noir.
Il valait mieux en tirer les conclusions qui s’imposaient, apprendre avec les « erreurs » du passé et ne plus tenter le diable.
Plus de gardien noir, pour faire court!

Mais si vous avez regardé les derniers matchs du Brésil, vous avez sans doute remarqué que la doublure de Júlio César (Queens Park Rangers) est noire. Jefferson est plus qu’un grand gardien. Dans un autre pays, moins enclin au racisme, le portier de Botafogo – où évolue Seedorf – devancerait logiquement Júlio dans la hiérarchie… si seulement les critères restaient purement objectifs. Car Júlio César joue la D2 anglaise.
Techniquement, il est aussi fort que Júlio César, plus rapide à mon avis, meilleure détente… il lui manque peut-être l’assurance qui viendrait avec la confiance du coach… et du peuple.
En tous les cas, devant les caméras, Felipe Scolari défend le talent de Jefferson, justifiant sa position de “numéro 2”, ce qui prépare ce dernier à protéger les cages du Brésil en 2014 en cas de forfait d’un Júlio César toujours blessé.
Cette malédiction n’est pas sans rapport avec l’autre grand tabou du football brésilien qui empêche les plus grands clubs nationaux d’avoir des entraîneurs noirs. Andrade (ami de Zico et idôle du Flamengo) s’était retrouvé au chômage après avoir aidé son club à remporter son dernier titre national en 2009 avec notamment un Adriano des grandes époques. Dernier entraîneur à avoir tiré le meilleur de l’attaquant brésilien, Andrade dénonce à ce jour le racisme dans le milieu du football qui l’empêche de travailler malgré le fait qu’il ait largement fait ses preuves.
Si Jefferson est titulaire en 2014, le Brésil a intérêt à gagner cette Coupe du Monde pour le bien non seulement du palmarès, mais surtout, j’ai envie de dire, pour le bien de toute une race…
Bonus : l’extraordinaire commentaire de Claude Makelele après le Mondial allemand de 2006. J’en ris des masses…
Si vous avez aimé cet article, partagez-le!
Commentaires