Au Brésil, la république des sourds

Le Brésil avance à petits pas vers l’échéance électorale de 2014, année où Dilma Rousseff tentera une réélection historique pour le Parti des Travailleurs.
En attendant, le pays vit dans un climat de radicalisation idéologique très stressant. Fort de son expérience de bientôt trente ans de démocratie depuis la fin du régime militaire, le Brésil doit faire face à la montée des revendications de tous ordres venant de différents groupes sociaux.
Les “manifestations de juin” sont déjà entrées dans l’histoire politique du pays.
Politologues, philosophes et sociologues essayent encore d’expliquer cette vague de citoyenneté qui a balayé le pays tel un tsunami.
La gauche se mobilise, la droite aussi.
Les médias dominants font ce qu’ils ont toujours fait: jongler entre destra e sinistra populistes selon “l’esprit du temps”.
Entre-temps, arrivent les Cubains stigmatisés par leurs collègues brésiliens qui appellent au boycott des patients qui accepteraient de se faire soigner par les médecins étrangers. Le monde à l’envers !
Ces mêmes médecins accusent le gouvernement Dilma d’autoritarisme. On croit rêver.
Il n’est décidément pas facile d’être démocrate. C’est bien une trop grosse responsabilité.
A Natal, grande ville touristique du Nord-Est brésilien, une journaliste affirmait sur son compte Facebook: “ces médecins cubains avaient l’air d’être des domestiques”. Entendez, des Noirs. On avance, n’est-ce pas?

Après la très forte répercussion des ses propos, elle a présenté ses excuses. Excuses acceptées, mais qu’elle ne pense pas qu’on croit qu’elle a subitement changé de nature.
Sur la toile, la guerre est déclarée entre les pro-Cubains (synonyme de favorable à l’accès aux soins médicaux pour tous) et leurs détracteurs. Sur son compte Facebook, la docteur Leo Sardenberg publiait une photo souhaitant la bienvenue à tous les médecins étrangers désireux de travailler au Brésil. Dans tout ça, le gouvernement Dilma se retrouve sous feux croisés.
D’où vient cette haine? Une partie de la réponse se trouve justement dans le fait que cette génération n’a aucune idée de ce qu’ont pu être la dictature, l’apartheid ou la ségrégation aux USA.
Elle est née avec tous les privilèges, dans un pays où on leur vend la perverse idée qu’avoir une opinion propre c’est avoir tout le temps raison. É minha opinião – c’est mon opinion – devient synonyme de “j’ai raison”.
Et donc, tout débat public se transforme en une discussion entre sourds. Et tout cela est trop frustrant.
La professeure Maria Eliza Miranda de l’université de São Paulo (USP), spécialiste depuis trente ans de l’éducation revient sur les raisons de cette indifférence chez une certaine catégorie sociale et ses différents groupes d’intérêt. Selon elle, cela a un rapport avec l’histoire de l’éducation publique au Brésil: “une éducation amputée des sciences humaines et de toute réflexion, une éducation technicisée dans une société racialiste, une société de privilèges”.
En 1981, la revue philosophique brésilienne faisait un triste constat lors de la parution de son premier numéro: “à partir de 1971, l’enseignement de la philosophie, a complètement disparu de nos écoles. Ce fait a sans doute contribué à l’appauvrissement de la formation culturelle de la jeunesse de notre pays. Sa capacité d’avoir une vision globale des problèmes est aujourd’hui peu développée. C’est peut-être là la plus grande faiblesse de notre système éducationnel”.
Vive la République des sourds!
P.S: la docteur Leo Sardenberg est nommée par ce blog, personnalité du mois au Brésil.
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