Rentrée estivale pour Dois Africanos
Le succès arrive enfin…
Depuis la sortie de leur clip “Eu sou de lá” la vie des Dois Africanos a quelque peu changé, raisonnablement tout de même car il y a aussi la fac a gérer mais de plus en plus le regard des personnes dans les rues change, dans les cafés, les bars, on les reconnait tout de suite, on leur demande des photos. Pas étonnant, car il suffit de voir sur Youtube que Eu sou de lá flirte désormais avec la barre des 50 mille visualisations en deux mois de publication.
Les deux jeunes artistes ont pris une nouvelle dimension, ils sont l’événement musical de l’été dans l’Etat. Tous les jours, ils sont sollicités pour des interviews sur toutes sortes de médias; internet, radio ou télévision (Photos)
Je l’avoue, ils ne laissent pas les femmes indifférentes. D’ailleurs, c’est le lot de toutes les stars.
“Izy, il est beau n’est-ce pas?” Combien de fois me faudra-t-il repondre à cette question à la fin. Ma reponse est la même à chaque fois: “aucun homme n’est beau pour moi, sauf un steward que j’ai vu dans l’avion de TAM”. C’est le chouchou de ces dames sans aucun doute, il a ça en lui, la star attitude.
La nuit du vendredi…
Vendredi soir, je téléphone Biggy: “hey man, je peux passer chez toi avec une amie?”
– je suis en plein répétition là, mais vas-y m’attendre, je reviens dans une heure.
Une heure plus tard les voilà qui poussent brutalement la porte de l’appartement qu’ils louent dans un quartier de classe moyenne à João Pessoa; c’est non loin de chez moi. Tout de suite, on sent que Biggy est dans la pièce, son énergie contamine la Tour de Babel qu’est devenu son apê (c’est le diminutif d’appartement ici). On y parle toutes les langues possibles: l’anglais, le français, le portugais, lingala, le fon, le mina; on n’y risque même l’italien – une passion que je partage avec Izy.
Il est 22 heures et samedi c’est leur grande rentrée artisitique dans la capitale de Paraíba. Il viennent de faire cette mini-tournée au sudeste du pays, à Rio où ils se sont produits dans plusieurs endroits à l’occasion de la fête d’indépendance du Bénin. L’ambassade les avait invités. On aborde tous les sujets: politique, sous-développement en Afrique, le talent de guitariste de Jimi Hendrix et de Docteur Nico Kasanda, les rythmes musicaux de Côte d’Ivoire et leur ressemblance avec le Soukous congolais, le Ramadan au Brésil… on ne voit pas le temps passer.
Jusqu’au moment où Biggy se retire pour parler avec son grand-père. Il faudra lui demander après d’en parler. On se quitte donc, mais rendez-vous le 10 août pour ce fameux concert.
A l’Espaço Mundo…
Au Brésil quand on vous dit qu’un concert commence à 22 heures, ne soyez pas pressé d’y aller. C’est donc à 23 h 30 que j’arrive à l’endroit prévu avec un groupe d’amis brésiliens, l’endroit est déjà pris par plusieurs centaines de personnes décidées à se défouler, la plus part d’entre eux sont des jeunes étudiants. Les cours vont très fort en cette période d’examens, ce concert tombe donc à pic. L’Espaço Mundo est un bâtiment historique comme il y a en a des centaines dans le centre de la ville, l’endroit est très fréquenté par des groupes de rocks, samba, pagode ou forró. Mais ce soir, l’évenement c’est bien ce concert hip hop de Biggy et Izy qui se font déjà attendre.
Mais la stratégie des organisateurs était bien celle-là: chauffer le public avec quelques morceaux choisis et surtout avec un jeune rappeur togolais – que je savais blogueur –, Marek Lloyd. Cette soirée s’annonce différente de toutes celles qu’on a connues ici. Dès les premières rimes de Lloyd, je peux clairement distinguer une voix à quelques mettres dire : “ele manda bem geral” (il déménage grave ce gars). Le ton est donné, les brésiliens savent à quoi s’en tenir, mais se doutent-ils vraiment de l’ampleur de ce qu’ils vont voir ce soir?
Il est plus de minuit, le DJ tient le public en attendant l’arrivée des deux chanteurs, l’ambiance est folle, on peut même écouter une version plutôt originale de Billie Jean, après quoi le DJ fait délirer tout ce beau monde – moi y compris – lorsqu’il joue du Azonto… A ce moment là, j’abandonne mes airs sérieux d’intelectuel désoeuvré et je saute, crie et risque quelques pas que j’ai vus dans le clip. Ensuite Pertnaz, un rappeur de la place qui collabore avec le duo africain, entame son show d’improvisation.
Ça y est, la salle est chauffée au charbon et Dois Africanos enfin font leur entrée sur scène. Et c’est encore un moment à part. Auparavant, le rideau s’était fermé masquant le podium surrélevé à presque trois mettres de hauteur de l’endroit où se tenait le public. Lorsqu’il s’ouvre enfin, on voit un Biggy imposant vêtu d’un boubou rouge et coiffé d’un gobi, une espèce de bonnet qu’affectionnait Eddy Murphy dans Un prince à New York. Izy Mistura s’est également mis en mode boubou – pour lui ce sera le bleu. Ils sont dos au public et la salle comble est transcendée par leur aura. Oui, Biggy impose sa présence où qu’il soit et ce soir ses pouvoirs sont multipliés par dix (je l’ai vu la veille invoquer son grand-père pour lui donner des forces supplémentaires).
DJ Alf “lance les hostilités” mais le duo ne dit encore aucun mot. Biggy est figé tel un monument, les yeux fermés, ses lèvres s’ouvrent à peine et on imagine seulement cette petite prière qu’il improvise avant de gratifier son public de tout son talent de rappeur. A ses côtés, le moins spirituel – mais tout aussi captivant – Izy est très concentré. Je dévine alors qu’il sortira sa meilleure voix ce soir.
Et puis c’est finalement parti avec “Primeiro passo”. A João Pessoa, certains de leurs morceaux sont déjà sur toutes les lèvres, le public chante donc avec eux. La chanson raconte leurs premiers pas au Brésil, les difficultés, le défi relevé puis remporté car ils sont intégrés et adoptés par tout un peuple. Moi, j’attends toujours mon tube préféré, Eu vou cantar (Je vais chanter)… c’est une de ces chansons dont les paroles n’importent presque pas dans la mesure où le rythme est excellent et l’arrangement très réussi. Il arrive après quatre jolis morceaux. Personne n’a eu le temps de souffler et là, il faudra sortir ses dernières forces (même pour le public). Après tout, il faut être à la hauteur de cette chanson. C’est tout de suite la folie, les paroles sont simples, sobres et disent à peu près ceci : “eu vou cantar, você vai dançaaar… dançaaar, comigo” (Je vais chanter, tu vas danseeer… danseeer avec moi). Pour moi c’est l’apothéose de la soirée. Malheureusement, il ne m’ont pas entendu crier “biiiiisssss!!!”.
J’avais tout fait pour me placer aux premiers rangs, mais subitement je me retrouvais derrière cinq ou six lignes. Des jeunes filles avançaient à la queue leu leu, bousculant tout ce qui se trouvait entre elles et Izy Mistura. Bien au dessus de nos têtes, celui-ci ne se doutait pas que ces filles – littéralement à ses pieds – avançaient comme tétanisées, hypnotisées et aimantées par son charisme venu tout droit du Togo… elles avaient la tête levée et ne regardaient guère où elles posaient les pieds. Finalement elles y étaient, au premier rang, juste en dessous du podium.
Dix morceaux plus tard, on peut enfin souffler. Le concert est terminé et tout le monde veut sa photo avec Dois Africanos, ils veulent tous monter sur le podium, mais à peine certains y parviennent. Rien de grave, puisque quelques minutes après, les deux chanteurs sortent des coulisses pour complimenter les fans. Chacun est enveloppé dans son drapeau national, ils veulent toujours passer ce message qui dit leurs origines.
C’est finalement une soirée réussie à laquelle nous avons participé. La nuit est avancée, il faut maintenant se séparer. Après une dernière photo qu’on prend ensemble, Biggy me souffle qu’il rentre se reposer chez lui. C’est avec cette promesse faite à moi-même que je prends le bus qui me ramène enfin chez moi: “je ne perderai pas leur prochain concert”.
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