Comment parler (en mal) des Noirs et de «l’Afrique qui bouge»?

Ce problème se pose à tous ceux qui s’intéressent plus ou moins à l’Afrique. Quel que soit le thème sur lequel on s’attarde, que ce soit la politique, la société, le cinéma ou le football, si vous parlez (en mal) de l’Afrique, vous risquez d’avoir un gros retour sur la gueule, car les si les Africains aiment se plaindre, ils acceptent mal de se regarder sur la glace. Pour autant, toutes les critiques sont-elles méritées?
L’autre jour, j’ai provoqué un petit débat en mettant en avant un billet critique qui portait sur le film Le Crocodile du « Botswanga », un film, même si je ne l’ai pas vu, qui m’interpelle à plusieurs égards.
Si l’intention est bonne, je trouve que ce film tombe très vite dans la facilité. Heureusement, dans l’océan des critiques positives qui ont suivi sa sortie en salle en France, une personne est venue exprimer exactement les réserves que j’avais. (cliquez sur le lien ci-dessus).
Le film dresse un portrait très accusateur (à juste titre) et caricatural des régimes politiques africains, dans le but, certainement, de proposer une nouvelle voie aux dirigeants du continent, mais le réussit-il ?
En choisissant par exemple, un nom générique pour ce pays imaginaire, ne contribue-t-il pas à renforcer l’idée selon laquelle il existerait UNE Afrique, homogène et en l’occurrence corrompue?
De ce point de vue, je me demande si le réalisateur, ainsi que les producteurs atteignent leurs objectifs.
Évidemment, selon les retours que j’en ai eus, le film a largement plu au public africain vivant en Afrique. Ne me demandez pas comment ils y ont eu accès. Mais c’est peut-être là que se situe le noeud du problème. Un Africain vivant en Afrique ne s’intéressera pas forcément aux aspects idéologiques du film, probablement parce que justement il vit en Afrique et que par conséquent, le racisme n’est qu’une réalité fictionnelle pour lui.
Mais pour un expatrié comme l’auteur de la critique citée et moi-même, cet aspect du film compte. C’est un peu comme l’album d’Hergé Tintin au Congo. Personne ne niera le talent fou d’Hergé, mais comment ne pas y voir une mentalité foncièrement colonialiste, condescendante, voire raciste. Il en est de même pour Tintin chez les soviets; un album truffé de préjugés.
C’est pour ça que le film Le Crocodile du Botswanga dérange. J’ai eu la même impression face au très remarqué Intouchables, le film qui a définitivement placé Omar Sy au firmament des stars du septième art.
N’étant pas moi-même quelqu’un de très drôle, il se peut que l’humour subtil, s’il en est, d’Intouchables m’ait échappé; cependant, je remarque que le HuffingtonPost a franchement démoli cette comédie populaire que le Monde.fr qualifiait, lui, de « métaphore sociale généreuse ». Qui a raison ?
Omar Sy danse dans Intouchables (Extrait) por Filmsactu
De mon point de vue, Intouchables est un bon film de comédie. Pas plus. Il est même sauvé par le jeu de ses acteurs. Sinon, le reste n’est pour moi qu’une succession de préjugés sur les Noirs des « bas quartiers » de France et sur les Noirs en général. Jamais dans ce film on ne verra un personnage noir mis en valeur. Jamais. Le diable est dans les détails…
Tout comme dans Le Crocodile du Botswanga, la critique sociale envisagée se retourne contre ses auteurs qui n’arrivent jamais à dépasser le niveau de sens commun. On reste sur le terrain de la facilité et de la caricature gratuite et agaçante.
Bref, parler de l’Afrique et des Noirs n’est pas facile, l’exercice pouvant même se révéler périlleux pour ceux qui s’y risquent. Certains réussissent, comme Kechiche, avec son film Vénus noire… Comme le dit tout simplement le saxophoniste noir-américain Hal Singer, « les gens qui ont connu l’oppression sont capables d’exprimer des sentiments bien plus profonds que ceux qui ignorent cette réalité-là ». Ce n’est finalement pas leur faute.
Quelques exemples :
Le dernier roi d’Ecosse
Dans la caricature, on ne peut pas faire mieux. Le portrait proposé du personnage d’Idi Amin Dada frôle carrément le grotesque. Bon, de toute façon, les dictateurs sont en général des bouffons…
Blood Diamond
Dans le genre blockbuster, le film est très réussi. Politiquement, il a surtout servi à sensibiliser les consciences sur la question des minerais de sang en Afrique. Le sacrifice biblique de DiCaprio pose cependant problème du point de vue du rôle que l’Occident entend y jouer.
Amistad
Même problème ici. Comme toujours, Steven Spielberg est très didactique, mais le film est une oeuvre qui se regarde sans peine et même avec un certain plaisir. On y voit encore la victimisation des Africains, c’est aussi un classique du genre – 12 Years a Slave en témoigne – … Et comme toujours, pour sauver le Noir, l’homme blanc…
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