Serge

Twitter, thermomètre du climat politique au Brésil

Twitter, la plateforme qui dicte le débat politique au Brésil - https://www.picserver.org/highway-signs2/t/twitter.html
Twitter, la plateforme qui dicte le débat politique au Brésil – crédit photo: Nick Youngson CC BY-SA 3.0 Alpha Stock Images – picserver.org

Même si l’application Whatsapp a été un élément clé dans l’élection du président Jair Bolsonaro, c’est désormais Twitter, l’oiseau bleu de Jack Dorsey, qui mène la danse du débat politique au Brésil. Chaque jour, gauche et extrême droite se livrent une véritable bataille idéologique sur ce réseau social pourtant très porté sur l’économie des mots.

Au commencement, était l’application Whatsapp

On s’en doutait bien depuis le début de la campagne électorale, mais c’est le journal Folha de SP qui a dénoncé le rôle joué par Whatsapp dans la campagne électorale du président Bolsonaro. Selon le quotidien paulistano, des entreprises privées ont investi jusqu’à 12 millions de reais pour financer un système d’envoi massif des messages sur Whatsapp. Une forme de financement illégal de la campagne qui a par la suite été confirmé par une source espagnole. Depuis, Whatsapp a limité l’envoi des messages simultanés à cinq destinataires.

Le Brésil n’est pas le seul pays où les élections ont été entachées par l’usage d’applications de messagerie directe. L’Inde est également touché par ce nouveau phénomène. A partir de 12’23 »:

Sur Twitter, Carlos Bolsonaro dicte les règles

Pourtant, depuis la fin de la campagne, c’est Twitter qui est devenu le nouvel espace d’affrontement entre la gauche et l’extrême-droite. Des deux côtés de l’échiquier idéologique, quelques comptes Twitter se distinguent plus que d’autres. Le fils du président, Carlos Bolsonaro, élu municipal à Rio de Janeiro, est l’un des principaux agitateurs de la twittosphère brésilienne avec plus d’un million de followers. Il n’hésite pas à s’en prendre directement aux ministres de son père.

Le dernier à en faire les frais n’est autre que le chef de la sécurité du président, le général à la retraite Augusto Heleno, qu’il accuse de négligence, voire de quelque chose d’encore plus grave… on en saura pas plus puisque Carlos Bolsonaro opère par sous-entendus. Le détonateur de la polémique ? L’appréhension à Séville de 39kg de cocaïne dans un avion de délégation du président qui se rendait au sommet du G20.

C’est aussi sur Twitter que Carlos Bolsonaro a directement attaqué trois autres ministres, parmi lesquels le général Santos Cruz, démis de ses fonctions quelques jours après. Santos Cruz a notamment dirigé deux missions de l’ONU en Haïti et au Congo. Autant dire qu’il ne s’agit pas de n’importe quel général.

Une droite très active sur Twitter

Lorsque Carlos Bolsonaro ne twitte pas, il faut souvent suivre deux autres comptes très actifs quand il s’agit de s’en prendre directement aux personnalités de gauche ou de droite. Il n’agit du compte anonyme Isentões, très renseigné et qui publie des informations financières assez compromettantes pour les différentes administrations de gauche.

Lorsque l’affaire des messages secrets du juge Sergio Moro a éclaté, l’un des comptes à s’en être pris au journaliste américain Glenn Greenwald ainsi qu’à son site The Intercept Brasil est celui de Bernardo Kuster. Le Youtubeur très connu dans les milieux de droite et d’extrême-droite totalise plus de 250 mille followers sur Twitter. Il n’hésite pas à brocarder directement des juges de la Cour suprême.

Ce n’est pas pour rien que les hommes politiques de droite, de gauche, d’extrême-droite s’activent autant sur le réseau social fondé par Jack Dorsey. Ces derniers mois, aussi bien les grands médias que le gouvernement ont modifié leur agenda au gré de l’humeur sociale sur Twitter. C’est donc à une véritable guerre idéologique que l’on assiste, bien que celle-ci comporte des risques de manipulation et autres propagations de fake news, des deux côtés, il faut bien l’admettre.

Des infographies pour arbitrer le jeu des hashtags

L’infographie produite par le professeur Fabio Malini monttre un faible appui des twittos envers le ministre de la justice Sergio Moro

Il y a cependant un autre compte Twitter qui se distingue par la qualité des infographies qu’il publie. Le professeur Fabio Malini dirige un laboratoire dédié à l’analyse des big data à l’Université Fédérale do Espírito Santos. Il s’emploie à arbitrer le jeu des débats politiques sur Twitter en publiant toutes les semaines les mots-clés les plus utilisés sur la plateforme. L’une des dernières infographies montrait que l’ancien juge Sergio Moro, tombeur de Lula et aujourd’hui ministre de la justice, a bénéficié d’un soutien sur Twitter inférieur aux opinions critiques à son égard.

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Cinq conseils pour la pratique de la course à pied

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La course à pied, de plus en plus populaire?/Crédit photo: Debbie Skeil/Pixabay/CC

Il y a un an, j’ai décidé de pratiquer la course à pied et ma vie a complètement changé. Mais j’ai aussi plus de « problèmes » maintenant: de l’argent dépensé pour acheter les équipements, des journées plus courtes, une addiction à la montée d’adrénaline et au plaisir de courir, tout simplement. 

On sait tous que l’humanité est devenue de plus en plus sédentaire et ce malgré l’incroyable évolution de la mobilité et des moyens technologiques investis dans le transport public. Selon des études, ce mal toucherait 60 % de la population mondiale. Il s’agit bien entendu d’un grand paradoxe de notre époque. Une journée typique de l’homme moderne peut être résumée de la sorte, et je suis à 80 % certain de ne pas me tromper: maison climatisée, voiture climatisée (bus ou train climatisés, bien sûr), bureau climatisé (école ou université climatisées, bien sûr); puis maison, ordinateur, télévision, etc.

Ce style de vie entraîne des nombreuses maladies aussi bien physiques que mentales, et à l’opposé, on sait tous que la pratique sportive apporte d’importants bénéfices psychologiques.

Depuis que j’ai commencé à courir je suis devenu une sorte de gourou de l’alimentation saine – cliquez pour écouter le podcast du site The Conversation -, du jeûne intermittent et de conseils sur la performance sportive. Au niveau amateur, bien entendu.

Mais j’ai aussi appris beaucoup de choses que je veux bien partager avec mes lecteurs… c’est parti pour les cinq conseils que je vous ai préparés:

1. Perdre du poids avant de courir

L’une des erreurs que l’on commet le plus souvent est de décider de courir pour perdre du poids. C’est en fait la démarche contraire qui est la plus logique: il faut perdre du poids pour bien courir et surtout afin d’éviter des lésions graves. Car, il faut bien savoir que la course a pied est un sport à fort impact selon le lieu où on la pratique. Si vous pratiquez la course de rue ou sur des pistes d’athlétisme, il vaut mieux ne pas peser plus de 90 kg… allez, je vais être gentil, même si j’avais 82kg quand j’ai commencé et c’était déjà trop pour ma taille. Depuis, j’ai perdu 13 kg.

Cette règle tout aussi simple que logique – maigrir pour courir – , je ne l’ai comprise que trop tard, après quelques lésions relativement importantes au tibia. Alors, il serait peut-être plus sage de commencer par la marche sportive…

2. Une bonne préparation physique

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Nous avons tendance à négliger la préparation physique, ce qui augmente les risques de lésions musculaires. / Crédit photo: Nicepik/CC

Pour courir il faut des jambes, c’est bien connu. Mais ce que les gens ignorent c’est qu’il faut surtout des jambes fortes. D’où l’importance de la préparation physique. Mais je dois dire qu’il faut bien renforcer ses mollets, ses cuisses, ses muscles abdominaux, ses bras, etc.

Au début j’ai dû regarder beaucoup de vidéos sur internet sur la « meilleure technique de respiration » pendant l’exercice de la course à pied; pour finalement me rendre compte que peu importe la façon dont on respire. Il faut surtout avoir des muscles bien renforcés au niveau des membres inférieurs surtout parce que tout ça facilitera la circulation du sang, et logiquement notre capacité respiratoire.

3. Bien se reposer

J’avoue que quand j’ai commencé à courir, il m’était impossible de faire ne serait-ce qu’un kilomètre sans ressentir de fortes douleurs aux tibias. Mais dès que j’ai dépasser cette distance, j’ai commis l’erreur que beaucoup d’amateurs commettent surtout quand ils pratiquent ce sport sans les conseils d’un professionnel de la santé sportive. Je courais tous les jours, au moins cinq fois par semaines, sur une surface dure et avec des chaussures inadaptées. Résultat: une lésion du muscle tibial antérieur, au mollet et une autre au genou.

L’idéal serait de s’entraîner trois fois par semaine avec un jour d’intervalle entre chaque séance.

4. Quelles chaussures pour la course à pied?

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Des chaussures avec un bon système d’amortissement /Crédit photo: Marcelo/Pixnio/CC

Ce qui m’amène au prochain conseil. Et il est assez polémique. Il y a un mythe assez répandu qui consiste à dire que la marche sportive et la course à pied sont des sports accessibles à tous parce qu’ils n’exigent pas des gros moyens: « une simple chaussure et une piste suffisent ». Faux !

Il faut bien savoir que la course à pied exige quelques mesures préventives comme le renforcement musculaire qui peut coûter une petite fortune selon les pays. Cela exige aussi un équipement adéquat. Il est conseillé d’utiliser des chaussures avec un bon système d’amortissement (surtout quand on pèse plus de 80 kg). Elles doivent aussi avoir une bonne structure au niveau des chevilles et des tendons d’achille, et enfin, une bonne protection de la plante des pieds pour réduire l’impact et éviter des chutes sur des surfaces mouillées.

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Des chaussures avec une bonne protection pour réduire les impacts / Crédit photo: @vegasworld/ Twenty20.com/CC

Tout ça n’est pas simple à trouver. Il faut bien dépenser pour acquérir ces équipements et éventuellement des soins médicaux incluant une physiothérapie. De mon expérience au Brésil et au regard des prix pratiqués, je dirais sans risque de me tromper que la course à pied est un sport pratiqué essentiellement par les classes moyennes.

5. Avoir le temps

Eh, oui, c’est bête hein. Il faut du temps libre pour pratiquer la course à pied. Par les temps qui courent si vous avez du temps pour faire autre chose que travailler ou chercher du travail, vous êtes un privilégié. La course à pied exige beaucoup de temps de préparation, beaucoup de sommeil pour récupérer et du temps aussi pour digérer avant de courir.

Il est conseillé de s’alimenter au moins 2 heures avant d’aller courir, sinon, attention à la crise digestive au beau milieu du parcours.

Il y aurait tellement de choses à dire, mais laissons cela pour un prochain billet…

 

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Baco Exu, le blues du Brésil

Baco Exu do Blues, rappeur brésilien
Couverture de l’album « Bluesman » de Baco Exu do Blues

Le rappeur brésilien de 22 ans, Baco Exu do Blues, originaire de Bahia, lance son deuxième album, Bluesman, un an après sa consécration sur le devant de la scène du rap nacional. Ce grand bonhomme qui fait bien plus que son âge avait déjà frappé les esprits avec un morceau dévastateur qui s’en prenait directement à l’axe hégémonique du rap brésilien, à savoir Rio-São Paulo.

Dans Sulicídio, il révendiquait avec une violence inouïe le droit du rap du Nordeste brésilien, région pauvre du pays, de figurer sur le haut de l’échiquier musical urbain.

Après quoi, il avait confirmé dans l’album Esú, un ovni du point de vue de sa création rythmique, mais surtout de son écriture. Je devais à mes lecteurs un article sur ce bijou aussi bien artistique que politique car, avant toute chose, Baco Exu do Blues porte un message politique. Mes occupations m’ont empêché de vous en parler, chers lecteurs, et je m’en excuse…

Baco Exu do Blues est décidément un cas à part. On se demande d’où il sort une telle maturité à 22 ans, tant sa musique pue le génie à des milliers de kilomètres.

Je vous parlais de politique, mais en quoi consiste-t-elle ici?

Baco Exu do Blues, surnom mystique

Diogo Alvaro Ferreira Moncorvo, difficile d’avoir du succès avec un tel nom qui semble tiré d’une bande dessinée d’Hugo Pratt. Mais de là à opter pour Baco Exu do Blues, c’est pour le moins la démonstration que le jeune rappeur n’a pas peur de porter ses couilles… pardon du mot.

La première fois que j’ai envoyé l’album Esú à une amie brésilienne qui n’est pourtant pas une fervente pratiquante du christianisme, elle a crié au scandale. En effet, Exu désigne dans les religions afro-brésiliennes un esprit souvent invoqué lors des séances de prière typique du Candomblés. Toutefois, la domination coloniale et l’imposition du christianisme l’ont vite assimilé à l’image du diable, voire même à un démon.

Cependant, depuis quelques années, les mouvements noirs ont revendiqué l’héritage historique de ces religions qui jouissent dorénavant d’une certaine réhabilitation dans la société, tout comme dans les milieux académiques et artistiques. Ils sont de plus en plus nombreux, les stars qui revendiquent ces « religions de matrice africaine ».

Il s’agissait donc bel et bien d’un acte politique pour le rappeur Baco Exu do Blues d’adopter ce nom artistique qui en dit autant sur sa condition en tant que noir que sur le fait d’être un ressortissant du Nordeste.

Le rap, une nouvelle citoyenneté?

Il ne serait pas exagéré d’affirmer que pour son premier essaie, Baco Exu do Blues avait peut-être réalisé l’un des albums les plus aboutis de toute l’histoire de la musique urbaine brésilienne.

Et si Baco Exu do Blues racontait tout simplement par ses états d’âme des moments clés par lesquels est passée la société brésilienne, notamment pendant ces deux dernières années.

Je me risque ici à une théorie personnelle, car le rappeur lui-même affirme dans une récente interview qu’il ne parle que de ses sentiments, ses moments intérieurs, ses souffrances – on apprend aussi qu’il essaye de sortir d’une profonde dépression.

Mais revenons donc à cette théorie. Dans un livre devenu un best-seller dans les milieux académiques brésilien, l’anthropologue américain James Holston explique que les différentes expressions musicales issues des favelas, comme le funk, le rap, sont en fait une nouvelle forme d’appropriation de la citoyenneté.

Les classes les plus démunies et marginalisées tout au long de l’histoire du Brésil affirment haut et fort: « Nous sommes là et nous n’allons pas changer, nous sommes comme nous sommes, cette culture est la nôtre et nous ne voulons pas devenir comme vous.« . Or, cette forme d’expression au Brésil est perçue par les classes d’en haut comme un crime de lèse-majesté.

Bluesman est un album incroyable qui en dit autant que les meilleurs livres de la sociologie brésilienne.

Esú, une société en ébullition

Cet état d’esprit est représenté par des jeunes artistes rebelles tels que Anitta, Valesca Popozuda – figure incontestable d’un nouveau féminisme des périphéries ayant fait l’objet d’une thèse de master -, Mc Carol, Ludmilla et autres Dj dont la musique bousculent les codes sociaux.

Le succès de ces artistes coïncide avec la montée du fondamentalisme évangélique dont le rôle dans la destitution de la présidente Dilma Rousseff ne peut-être contesté. 2017, l’année du lancement d’Esú aura donc été une année trouble, celle du conflit idéologique et sociétal entre des valeurs de l’élite blanche et celles de la périphérie noire et métissée…

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le sens de l’album Esú dont les différents titres sonnent comme des provocations, des attaques frontales à la domination blanche. Comme un rappel de l’histoire de l’esclavage qui ne peut-être oubliée. D’une certaine façon, Esú parlait de l’année 2017, une année de doute; l’année du président Temer dont la légitimité était contestée, une année d’affrontement culturel.

Jésus, c’est le blues!

Pour sa part, Bluesman parle de 2018. Cet album raconte une société qui vient d’élire un président d’extrême droite dont le discours est une succession de mots blessants et dégradants envers les noirs, les homosexuels, les femmes et autres minorités. C’est l’histoire d’une nation en crise dans laquelle les noirs ne trouvent plus leur place :

« Jérusalem peut aller se faire foutre; je suis à la recherche du Wakanda. »

Bien que relevant de l’anticipation, cette phrase que l’on retrouve dans le titre Bluesman fait référence à la volonté du futur président, Jair Bolsonaro, de délocaliser l’ambassade du Brésil à Jérusalem. Il prouve la lucidité de Baco Exu do Blues qui arrive à lire son époque. S’il y a dans l’idée de Bolsonaro un réel projet de rapprochement avec Israel, les dernières années ont aussi révélé une ferme volonté des dirigeants de s’affranchir de l’héritage africain du Brésil.

Il y a également dans ce titre une révolte contre la dictature des apparences qui en général n’en définit qu’une seule comme étant l’idéale :

« Tout ce qui était noir fut considéré comme démoniaque

Et une fois devenu blanc a été accepté, représente le Blues.

C’est ça, tu comprends? Jésus, c’est le Blues ! »

La résilience par le blues

La couverture de l’album en elle-même est un programme. Baco Exu do Blues a choisi une photographie de João Wainer, ancien journaliste de Folha de São Paulo. En 1998, ce dernier réalise une série de reportages photos dans le plus grand centre pénitencier d’Amérique Latine : la fameuse prison de Carandiru, lieu tragique du massacre de 111 détenus six ans auparavant. « Cette image d’un détenu jouant de la guitare représente bien l’idée du blues », affirme le rappeur dans un entretien accordé à Vice.

Pour lui, le blues est cet esprit qui pousse les opprimés à reconnaître leur condition en même temps qu’ils décident d’en échapper. Une forme de résilience, en somme.

Questionner la masculinité

Ce nouvel album parle d’identité. Plus que jamais, il est question pour cette jeunesse issue des périphéries d’affirmer sa négritude. Plus ils sont rejetés par la société, plus ces jeunes veulent affirmer leurs racines africaines. Dans le titre Me Desculpa Jaz-Z*, l’artiste se montre encore plus sincère, plus fragile. Il exprime ses rêves et ses craintes, la peur de l’échec surtout. C’est un appel au secours. Mais le monde néolibéral rend les hommes sourds à la détresse d’autrui. Ce cri du cœur est donc téméraire, dans un sens.

Cette sensibilité que l’on sent dès le début du morceau brouille toute de même les pistes : mensonge ou vérité ? Ici, rien n’est certain. Baco Exu do Blues confesse qu’il se ment à lui-même et donc ne saurait être vrai avec autrui. Et pourtant, il y révèle sa dépressionMe Desculpa Jay-Z est, en définitive, un questionnement sur la masculinité.

Règlement de comptes

La vie est une contradiction. Baco Exu do Blues le sait mieux que quiconque. Il ne cache pas son admiration pour Kanye West, électeur de Trump. Il admire surtout le fort caractère de cet homme noir qui refuse d’obéir à la norme et donc, appartient à la longue tradition du blues…

« Je ne baisse pas la tête, je n’obéirai pas ! »

C’est donc cela que représente Kanye West ? Une forte tête, un noir qui se révolte contre les attentes.

« Je ne veux pas être un ‘noir intelligent’, un ‘noir plutôt mignon’, un ‘noir éduqué’

Vos stéréotypes n’atteignent pas ma poésie. »

Comment ne pas penser à « Je ne suis pas votre nègre« , le poignant documentaire de Raoul Peck ? En gros, il y a moult façons d’être noir, dont celle de Kanye West.

Enracinement

Bluesman ne cache pas une volonté d’affirmer ses appartenances : à l’histoire de l’Afrique d’abord, à la grande histoire de l’Amérique ensuite. Celle des peuples noirs du Nord et du Sud qui luttent pour la mémoire. C’est un bel hommage que le jeune rappeur rend ici aux différentes sources du blues ainsi qu’à B.B. King, ce mythe du jazz.

B.B. King a apporté une contribution fondamentale à l’estime de soi des noirs d’Amérique. Le nom de l’immense musicien du blues donne son titre à une des chansons les plus attachantes de l’album. Le rappeur y fait référence à l’année 1903 : un tournant pour les noirs-américains, une année décisive où tout commença pour eux. Pour une fois, l’homme noir cessait d’être une bête, grâce au blues. Art, visibilité et humanisation sont des concepts qu’on ne pourrait séparer…

 

*Pardonne-moi Jay-Z

 

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Coupe du monde 2018 : au Brésil, les chaînes de télévision font leur « révolution sexuelle »

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Isabelly Morais, à droite (Crédit photo: Fox Sport)

Une petite révolution est en marche sur les chaînes de télévision brésiliennes : pour la première fois, un duo de femmes a commenté un match de Coupe du monde. Si Fox Sports a fait fort en mettant deux journalistes femmes en avant pour commenter le match d’ouverture (rien que ça), le grand groupe de l’audiovisuel Rede Globo a lui  placé plusieurs femmes au coeur de son dispositif, avec de nombreuses femmes qui participent aux débats pré et post-matchs. 

Ceux qui lisent mon blog Carioca Plus savent que j’ai toujours présenté le Brésil comme un pays paradoxal sur plusieurs aspects. D’un côté on constate une explosion des mouvements de droite dure et d’extrême droite avec pour conséquences une recrudescence d’actes homophobes et de crimes racistes. De l’autre côté on constate des signes évidents d’une transformation des moeurs au sein de la société brésilienne, plus ouverte et plus tolérante par rapports aux schémas habituels.

La retransmission des matchs, un marché devenu hyper concurrentiel  

On le sait, le marché du football est devenu extrêmement concurrentiel pour les chaînes de télévision, l’achat des droits de retransmission est devenu un enjeu majeur, c’est peut-être là qu’il faut voir la raison de l’évolution actuelle des présentateurs et commentateurs avec de nombreuses journalistes femmes. L’achat des droits de télévision est devenu un tel enjeu pour le football moderne, qu’il est important pour chaque acheteur de proposer, non seulement à la Fifa, mais aussi aux téléspectateurs, un produit attractif. Et l’attractivité passe aussi par le fait d’être raccord avec son temps ! D’où l’importance d’une certaine représentativité féminine dans les médias, y compris pour commenter le sport, le football notamment.

Au Brésil, pendant des années, le débat de la représentativité était restreint aux questions raciales. La seule question qui se posait était celle de la mise en place de quotas pour que tous les groupes ethniques qui composent la société brésilienne, véritable mosaïque, soient pris en compte. Mais aujourd’hui, de façon plutôt surprenante, on assiste à une évolution sociale à laquelle on s’attendait moins : la question de la visibilité n’est plus uniquement celle de l’origine et des couleurs de peaux, mais aussi celle du genre et de la représentativité des femmes. Autant dire une vraie révolution pour le football et pour le petit écran ! Il est même surprenant de constater une telle innovation sans que cela n’ait été au préalable encouragé par un débat national !

Recomandation contre l’homophobie

La chaîne spécialisée Fox Sports a été la plus innovante en lançant un duo de femmes, devenu la sensation des réseaux sociaux depuis le début du Mondial. Cette chaîne compte pourtant avec la présence de collaborateurs masculins au long CV tel que « l’animal » Edmundo, vice-champion du monde en 1998 en France. Mais c’est la journaliste Isabelly Morais qui a commenté la rencontre Russie – Arabie Saoudite, eh oui, le match d’ouverture !

Quant à la chaîne de télévision Rede Globo , elle compte Fernanda Gentil parmi ses étoiles montantes. Fernanda est journaliste, elle a fait son coming out il y a deux ans et est devenue un symbole du mouvement LGBT au Brésil. Elle n’a pas hésité à ridiculiser une recommandation du Ministère des affaires étrangères demandant aux brésiliens d’éviter toute démonstration homo-affective en Russie.

La belle et la bête

C’est aussi sur Rede Globo qu’un duo improbable a fait son apparition, ils sont d’ores et déjà LA révélation de cette Coupe du monde. Il s’agit ni plus ni moins des commentateurs vedettes de l’émission culte Troca de Passes. Carlos Alberto Torres (l’éternel capitaine du Brésil en 1970) était même leur parrain. Cette année, les producteurs de l’émission ont innové en formant ce couple d’animateurs « Grafite /Ana Thais » pour les analyses tactiques.

J’avoue qu’aujourd’hui, sur l’ensemble des chaînes de télévision, il n’existe aucun autre couple d’animateurs-commentateurs avec un tel niveau de connaissance technique, une telle aisance, une telle complémentarité, et le tout sans vanité (eh oui, ça existe).
Pour ceux qui ne s’en souviennent pas, Grafite est ce gros gaillard autrefois meilleur buteur du championnat allemand avec Wolfsbourg, ce qui lui avait valu un billet direct pour le Mondial sud-africain. Quant à Ana Thais, elle apporte une touche nouvelle sur la scène médiatique : très vive, intelligente, pertinente, parlant parfaitement le jargon des footeux… bref,  le couple Grafite/Anna Thais c’est le ticket gagnant pour les téléspectateurs mais aussi pour les audiences !

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Quels scénarios après la condamnation de Lula au Brésil?

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Luiz Inácio Lula da Silva, crédit photo: Ricardo Stuckert/PR, Agência Brasil – Wikimedia Commons

L’ex-président brésilien Lula Inácio da Silva a été condamné en deuxième instance par la justice brésilienne pour le crime de « corruption passive », entre autres, et voit sa candidature aux élections présidentielles de 2018 sérieusement compromise. Sans aller dans des considérations personnelles ou partisanes, je propose quelques scénarios possibles de ce que nous réserve l’année électorale au Brésil. 

Cela fait plusieurs mois que certains analystes, dont moi-même, suggérons à « Lula » qu’il fasse une demande d’asile à l’étranger, mais l’ancien leader syndical croit encore en la justice de son pays et à son indépendance. L’avenir nous dira assez rapidement s’il a eu raison.

Rapide et accéléré est d’ailleurs le rythme que s’est imprimé cette même justice quand il s’est agit de juger le « cas Lula », surtout lorsqu’on considère que les procès impliquant certains de ses adversaires politiques, comme Jose Serra, tombent sous le coup de la prescription. Voici donc quelques scénarios envisageables d’ici la fin de l’anneé, plus précisement au second semestre 2018.

1. Lula « empêché » 

Il apparaît de plus en plus clairement que la candidature du président Lula sera impossible, non seulement sur le plan politique, mais essentiellement du point de vue légal, puisqu’elle tombera sous le coup de l’application de la « loi du casier judiciaire vierge », Lei da ficha limpa. Celle-ci interdit la candidature de tout citoyen condamnée de se présenter à une fonction élective. L’épuisement des instances judiciaires ne permettra pas à Lula de se présenter à temps, car on imagine mal la justice « aller aussi vite » après cette condamnation en deuxième instance. Comme le signale un célèbre éditorialiste brésilien, Lula ne sera pas candidat, même si son parti a annoncé, le 25 janvier, sa pré-candidature aux présidentielles.

2. Lula ira en prison

Il semble que le seul élément susceptible d’éviter la prison à Lula soit le fameux « principe de l’ordre public », puisque la Cour suprême pourrait estimer que son arrestation produirait des troubles publics assez conséquents. Dans tous les cas, la confiscation de son passeport par la justice vient porter un coup très sévère à ceux qui avait encore l’espérance de le voir s’en sortir librement… ou même encore, de le voir demander l’asile politique dans un autre pays.

3. Le Trump brésilien se nomme Bolsonaro… et il est bien pire

L’exclusion de Lula du processus électoral installe un nouveau facteur X: la viabilité d’une éventuelle victoire de Jair Bolsonaro, « le pire député au monde », cauchemar des féministes, des homosexuels ou des afro-brésiliens. Donné deuxième dans tous les sondages, Jair Bolsonaro gagne une certaine confiance et ses partisans aussi. Quiconque circule dans les rues brésiliennes ou dans les shoppings des grandes capitales a probablement remarqué ses militants. Ils ne cachent plus leur sympathie pour cet homme politique plutôt extremiste. Ils affichent des t-shirt avec son visage estampillé et souvent accompagné d’un fusil d’assaut. Ambiance! Cela n’est pas anodin, car le député d’extrême droite est favorable au port d’arme et à la peine de mort.

Ceci dit, une chose est claire. Bolsonaro serait un président aussi dangereux que Trump, voire pire. Certains témoignages font état d’une montée en puissance dans les provinces et les petites villes où le candidat a tissé des liens politiques plutôt forts.

4. Bolsonaro « bloqué », un candidat des médias élu

Le scénario le moins dangereux en cas d’éviction de Lula serait l’élection d’un candidat des médias. Je m’explique. Le fait est que la presse brésilienne joue avec le feu depuis 2013 lorsqu’elle a encouragé la montée des extrêmes au Brésil, notamment dans le but non voilé de faire tomber Dilma Rousseff. Aujourd’hui, elle s’aperçoit avec stupeur que le candidat le plus populaire après Lula est bien Jair Bolsonaro.

Depuis quelques semaines des journaux, comme Folha de São Paulo, enchaînent des dossiers à charge contre Bolsonaro. Il y a eu par exemple un article sur l’augmentation de son patrimoine, sur lequel on lui demande de se justifier. En vain. ll n’y aura peut-être plus assez de temps pour inverser cette courbe. Cependant, certains noms circulent déjà dans la presse: Ciro Gomes, Marina Silva, Fernando Haddad, l’ancien maire de São Paulo, Geraldo Alckmin, gouverneur de São Paulo, Luciano Huck, célèbre animateur d’une émission de divertissement sur la TV Globo…

Il est assez tôt pour confirmer tout ceci, mais voilà en gros quelques scénarios qui me semblent tout à fait possibles d’ici la fin de l’année.

En attendant, je vous souhaite une excellente année 2018, tout en demandant votre indulgence puisque je n’écris plus très souvent sur ce blog… c’est que j’ai une thèse doctorale à finir.

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Au Brésil, Rincon Sapiência ou la vitalité du « rap nacional »

Au cours d’une conversation récente avec une amie, j’ai eu l’intuition que certaines expériences sont inaccessibles au discours sociologique et c’est exactement pour ça que nous avons besoin de l’art.

Du cinéma, de la peinture, de la musique classique ou urbaine, culte ou du ghetto. Rincon Sapiência, ce rapper né à São Paulo représente cette frontière inaccessible au sociologue, au journaliste et à l’intellectuel. Cette frontière qui tient de l’écrivitescrevivência – dont l’écrivaine Conceição Evaristo est devenue le symbole.

L’escrevivência, c’est ce discours transversal qui nait à l’intersection de l’écrit et du vécu du subalterne, c’est-à-dire, une expérience de l’exclusion et de la lutte qui se veut revancharde. « L’écriture est aussi une forme de vengeance », disait Conceição Evaristo lors de sa conférence à la Fondation Jean Jaurès à Paris. Le rap de Rincon Sapiência connu également sous le nom de « Manicongo » s’inscrit entièrement dans cette démarche.

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Rincon Sapiência – crédit photo: Andreh Santos

« L’écrivit »…

Il ne m’a pas échappé que lors de cette même conférence, Conceição Evaristo considère la musique comme un art mineur par rapport à la littérature. Elle n’est pas la seule. Mais je serais tenté de dire qu’en ce qui concerne Rincon Sapiência, il est tout à fait possible de faire une exception.

Car il y a quelque chose de fondamental dans ces rimes. Prenons par exemple « Ponta de lança (verso livre) » le titre le plus impressionnant de son premier album. Rincon Sapiência s’en prend frontalement à la culture blanche hégémonique au Brésil et aux nombreux stéréotypes qu’elle véhicule.

Mémoire sélective

D’entrée de jeu, il pousse un cri contre cette classe moyenne à la mémoire sélective qui aujourd’hui s’érige en garant de la morale politique: « Batemos tambores, eles panelas », traduire: « Nous jouons du tambour, eux font du bruit avec leurs casseroles ». Une référence directe aux nombreuses manifestations des classes moyennes et des élites pendant la longue période qui a précédé l’impeachment de Dilma Rousseff.

Curieusement, les bruits de casseroles ont cessé de resonner dans ces mêmes immeubles de riches lorsque les scandales ont commencé à toucher les membres du gouverment Temer ou des cadres de l’opposition comme Aécio Neves. Mémoire sélective, donc…

Rincon Sapiência, l’autre colère noire

… Mais aussi, une frontière culturelle qui transparaît dans le choix d’un artefact, de l’outil de protestation politique. Une radicale séparation entre les privilégiés et les subalternes qui ne veulent plus l’être. Cette frontière se veut également comme une démarche de renouveau de l’imaginaire brésilien… « Faço questão de botar no meu texto que pretas e pretos estão se amando »[Je me fais un point d’honneur de dire dans mes textes que les noires/nègres aussi s’aiment].

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Rincon Sapiência – crédit photo: maissoma /wikimedia commons

Ce texte d’une incroyable brutalité n’est pas sans rappeler « Une colère noire: lettre à mon fils », l’ouvrage autobiographique de Ta-Nehisi Coates devenu culte. Il provoque le même choc émotionnel que le livre du journaliste américain.


On y est placé face à la même remise en question des clichés portés contre les noirs, des préjugés sur leur incapacité d’aimer leurs femmes et aussi cette impossibilité d’être représentés dans les médias et le cinéma autrement que par la violence. Ici, les noirs prennent la parole et exaltent la culture du ghetto, l’amour authentique entre hommes et femmes de couleur, n’en déplaise aux « novelistes » de la TV Globo. Le rap nacional vit !


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# Traduction du tweet: « Je me rends compte d’une chose à présent: écouter Rincon Sapiência produit le même choc que la lecture de Ta-Nehisi Coates ».

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Au Brésil, la faillite des élites et l’effet domino

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Crédit photo: Kurt:S – Flickr

La crise brésilienne s’éternise alors que la population retient son souffle et tente tant bien que mal de joindre les deux bouts. Les mois semblent plus longs en temps de crise, mais on dirait que la descente aux enfers de l’économie brésilienne n’est plus la grande préocupation du côté de Rio. L’instabilité politique durablement installée à Brasília atteint des proportions jamais vues dans l’histoire du pays depuis au moins 60 ans. Compte rendu.

Tout ceci n’est pas sans rappeler la crise économico-politique qui frappa l’Argentine au début des années 2000 lorsque le pays connut une succession présidentielle accélérée avec pas moins de trois présidents en l’espace de… deux semaines.

La réalité dépasse la fiction

Les récentes déclarations d’un sénateur proche du président Michel Temer ont surpris. L’homme politique a déclaré que le président ne tiendrait pas 15 jours et à ce stade des évènements, on serait mal avisé de ne pas le prendre au sérieux. A Brasília, les rumeurs ne sont jamais trop exagérés même si elles peuvent éventuellement pousser l’imagination plus loin que ne l’oseraient jamais les scénaristes de House Of Cards, série phare de la plateforme Netflix.

Ces derniers ont avoué ne pas être en mesure de rivaliser avec les scandales à répétition exposés dans les médias brésiliens. Le dernier en date, « les conversations secrètes » du président Temer avec un homme d’affaire mis en examen pour corruption. Face aux demandes réitérées des internautes d’intégrer dans une prochaine saison les intrigues politiques de Brasília, le compte Twitter officiel de la série a répondu: « je ne suis pas en mesure de rivaliser avec ça ». Quand l’art du méta tombe juste?

Effet domino

L’actuel président du Parlement brésilien, Rodrigo Maia est très pressenti comme successeur de Temer qui a dû écourter son séjour au G20. Tant de turbulences ne doivent pas être prises à la légère. Même si Temer « tombe » – et« il tombera d’une façon ou d’une autre », préviennent les observateurs -, combien de temps durerait Rodrigo Maia? Pourtant, toute autre issue semble impossible.

Son nom trempe depuis un certains temps dans les couloirs de la task force de Lava Jato, l’enquête judiciaire menée par le procureur général de la République Rodrigo Janot et le juge Sérgio Moro.

L’impeachment de la présidente élue Dilma Rousseff n’aura finalement servi qu’à aggraver une crise politique que les médias croyaient pouvoir contrôler étant donné qu’ils en étaient les principaux instigateurs. Aujourd’hui il ne leur reste plus qu’à tenter de convaincre la population que « la crise économique est bien derrière nous malgré la catastrophique gestion de Temer » qu’ils ne peuvent [et ne veulent] déjà plus défendre. Tout cela en attendant de construire une nouvelle figure messianique comme on les aime par ici.

Aujourd’hui les mots prononcés en 2008 par l’ancienne sénatrice écolo Marine Silva semblent si vaine, « Le plus grand drame d’un pays ce n’est pas d’avoir une élite médiocre, c’est de ne pas en avoir du tout ». Qui pourrait encore le croire en 2017?

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Brésil: une journée dans un hôpital public

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Crédit photo: KOMUnews / Flickr.com

Le carnaval a commencé d’une étrange manière pour moi. J’ai passé toute la journée de lundi aux urgences parce qu’un des mes plus proches amis a souffert un accident de voiture, renversé par un jeune homme aux environs d’une université fréquentée par la classe moyenne. Cela fut surtout l’occasion pour moi d’observer in situ les contradictions de la société brésilienne; misère de la classe la plus pauvre, opulence d’une élite blanche représentée par ses médecins aux dents aussi blanches que la neige. Dans cet hôpital brésilien, le portrait d’une société dont la stratification s’est alors dressé sous mes yeux, surtout en cet instant où je suis entré dans une salle où s’entassaient quatre-vingts corps souffrants. Pendant un instant, j’ai pensé à cette scène d’un film de Michael Cimino, The Deer Hunter: corps nus et déchiquetés, agonisant dans la poisse et les odeurs nauséabondes. Le vrai visage de la neuvième puissance économique mondiale !

Rien ne présageait que cette journée serait aussi révélatrice des problèmes structurels qui gangrènent la société brésilienne, et ce, sur plusieurs aspects. Tout commence par un appel que je reçois m’annonçant que cet ami que j’appelerai ici Pascal (pour le préserver) est interné aux urgences: « il a eu un accident de route, percuté par une voiture ». Un film m’a traversé l’esprit. Ce n’est pas tout à fait le genre de nouvelles auxquelles on s’attend en un lundi de carnaval.

J’arrête tout ce que je faisait et décide de prendre une douche et sortir pour le retrouver à l’hôpital. En 15 minutes, je sors rapidement de mon appartement, direction le supermarché Carrefour (à deux minutes de chez moi), je sais que j’y trouverai assez vite un taxi. Cinq minutes plus tard je roule à toute vitesse en direction du centre de la ville où se trouvent les urgences. Les taximen brésiliens, souvent bavards vous assomment de questions en temps normal, celui-ci est curieusement silencieux. Est-il intimidé par la destination que je lui ai indiquée? « Hospital de trauma! » ai-je annoncé en attachant ma ceinture. Il sait bien ce qu’on y trouve. Et c’est une forme de courage que d’écouter le malheur des autres…

Et cette fois encore, j’aurai mon compte pour ce qui est de tragédie brésilienne. Il roule à toute allure. Étonnant, quand on sait qu’ils économisent souvent en vitesse dans le but de soutirer quelques reais* de plus aux clients. Un silence de mort règne. Nous arrivons rapidement. Je règle la course une fois arrivé et me dirige vers la sécurité. Première chose étonnante, plusieures chaînes de télévision font un « sit-in » devant l’entrée des urgences: « un bébé a réçu une balle dans la tête », m’explique un cameraman. On saura plus tard que la victime avait en fait 9 ans. Rien de surprenant quand on connaît les statistiques d’accident à l’arme à feu, même au sein des forces de l’ordre comme le montrait, dimanche soir, un reportage de la télévision Globo.

Aucune importance. Le fait est qu’encore une fois, un enfant est la victime tragique de la violence au Brésil. En cette journée, j’allais avoir la synthèse de plusieurs problèmes dont souffre le Brésil. On m’indique donc l’endroit exacte où Pascal est installé, une infirmière m’y accompagne. Il faut savoir que c’est ici aux urgences que toutes les victimes tragiques de violence ou d’accidents routiers sont conduits. Je m’attends donc au pire. J’ai toujours eu une peur glaciale des hôpitaux.

Pascal est installé dans une vaste salle au milieu du premier bâtiment de l’hôpital. Sur le lit d’à côté, une jeune femme est étendue. Comme j’allais l’apprendre plus tard aux infos, elle aura été poignardé par son ex-compagnon qui n’acceptait pas la fin de leur relation. Un autre drame brésilien qui n’en finit pas d’horrifier le pays. Chaque jour au Brésil, 405 femmes sont victimes de violence conjugale; les cas où l’homme n’acceptait pas la fin de la relation occupent une place importante de cette statistique.

Le système de santé au Brésil étant universel, mon ami Pascal ne tarde pas à passer des examens, une radiographie complète permet au moins de savoir qu’il n’a aucun problème sérieux, à part une rotule disloquée qui sera vite remise en place. Pourtant, cette gratuité des soins ne garantit pas un traitement décent. L’honnêteté m’oblige à dire que pour certains examens passés ici gratuitement, il faudrait payer une fortune en Afrique.

Seulement, quand un service public est gratuit dans un contexte social corrompu, les choses se détériorent à rythme accéléré. Mais, à quoi bon avoir un tel système de santé si l’Etat perd des milliards en raison d’un déficit structurel de salubrité publique?

Trois heures plus tard lorsque mon ami est transféré dans le secteur « Laranja »* où les visites sont autorisées, je me rends compte des conditions déplorables auxquelles les patients sont soumis dans les hôpitaux publics brésiliens. J’hésite à franchir la porte de la salle où sont entassés des dizaines de corps malades qu’on aperçoit à travers le hublot de la porte à double battant…

Avant cela, j’ai eu l’occasion de constater, encore une fois, le niveau d’instruction du brésilien moyen. Alors que je m’identifie à la réception du secteur Laranja, la secrétaire, interloquée par mon nom étranger me demande tout de suite si je suis cubain… un moment auparavant, une jeune serveuse du restaurant-bar de l’hôpital avait dit « connaître les gens de mon pays ». « De quel pays? » lui avais-je démandé… « De Colombie… », avait-elle répondu… ainsi va le Brésil.

Une journée aux urgences est une bonne opportunité de constater que le système unifié de santé publique (SUS) est surtout utilisé par les plus pauvres, dont une bonne partie de la population est noire. En revanche, un passage au restaurant de l’hôpital permet de constater que l’équipe des médecins est à 98 % composée de blancs. C’est une copie des facultés de médecine au Brésil, où à peine 2,7 % d’effectif étudiants sont noirs. Un véritable apartheid éducationnel.

Il est presque 20 heures lorsqu’on s’apprête à quitter l’hôpital quand le journal commence avec comme faits majeurs « Un enfant (de 9 ans) reçoit un tir dans la tête, sa soeur lui a tiré dessus par accident ». « Une jeune femme est admise aux urgences après avoir été poignardée par un homme qu’elle voulait quitter ». Je revois toute ma journée défiler aux infos de 20 heures…

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* La monnaie brésilienne

* Orange

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