Le Brésil doit regarder ses propres migrants

Article : Le Brésil doit regarder ses propres migrants
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4 septembre 2015

Le Brésil doit regarder ses propres migrants

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:US_Navy_090525-N-4774B-032_Somali_migrants_in_a_disabled_skiff_wait_for_assistance_from_Sailors_aboard_the_guided-missile_cruiser_USS_Lake_Champlain_(CG_57).jpg
Des migrants somaliens – crédit photo: Daniel Barker | Wikimedia Commons

Est-il possible de comprendre le tsunami émotionnel qui a emporté le monde médiatique ces derniers jours après la publication de la photo du petit Aylan Kurdi? Oui. Il suffirait de lire le sociologue Luc Boltanski – Distant Suffering, décidément, ce livre s’impose comme la meilleure autopsie de notre époque. Je m’étais décidé depuis un moment à changer la ligne éditoriale de ce blog me refusant de commenter à chaud l’actualité médiatique. Une façon de prendre du recul face à la déferlante médiatique que la société du spectacle nous impose.

Mais il arrive qu’un lecteur demande mon avis sur une question spécifique, en l’occurrence, le mort tragique du jeune Aylan, échoué sur une plage turque.

Des arguments insensés

Je vous épargnerai la rhétorique du « deux poids et deux mesures », franchement, personne n’en a rien à cirer. Je vous épargnerai également les arguments chiffonnés que je lis sur les réseaux sociaux, notamment de mes amis brésiliens : « Oh mon Dieu, dans quel monde vivons-nous ? » « Mon Dieu, l’humanité a échoué… Comment a-t-on rendu tout cela possible ? » Ces arguments sont non seulement insensés mais aussi enfantins. Réveillez-vous, bon sang ! C’est exactement le monde que nous participons à créer tous les jours. Des gens meurent chaque jour sur le palier de votre immeuble.

L’hypocrisie que nous vivons est absolument magnifique. La classe politique française, aux abonnés absents ces derniers mois, nous gratifie de ses états d’âme soudainement humanistes. Ici, Jean-François Copé, là, le président François Hollande. Mais au final, tout cela ne me concerne pas.

La poutre dans notre oeil

« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ?

Mat. 7. 3-5

En mai dernier, j’écrivais sur ce même blog l’urgence de traiter la situation des Haïtiens de São Paulo comme un problème humanitaire. Je me limiterai donc à ce cas précis.

Je suis étonné de constater que la tragédie du petit Aylan Kurdi ait occupé le trending top du réseau social Twitter pour la ville de São Paulo. Cette même ville où l’on a tiré sur des immigrés haïtiens sous prétexte qu’ils voleraient le travail des Brésiliens. Mais quel travail ?

Cette même ville de São Paulo incapable d’adopter une vraie politique d’immigration pour les Haïtiens, les Africains, les Boliviens et j’en passe, fait le deuil du jeune Aylan.

Quelle époque où l’indignation n’est plus possible que par écrans interposés, à distance (on en revient au livre cité au début de cet article). Franchement, quelle époque !

Je vis dans une ville où le nombre des sans-abris augmente vertigineusement. L’autre jour, en sortant du Carrefour, j’ai partagé un pain sec avec l’un d’eux. Que pouvais-je faire d’autre ?

Il y a tout juste un mois, le grand journal brésilien Folha de São Paulo publiait un article sur le fait que la célèbre Avenida Paulista perdait son identité à cause de la présence constante des sans-abris. Oui, Folha se lamentait de la perte d’identité de la belle Paulista au lieu de s’émouvoir et de s’interroger sur la situation sociale du Brésil qui ne cesse de se précariser. Hallucinant, n’est-ce pas?

Je regarde tout ce qui s’écrit et se dit dans les médias internationaux et mes sentiments s’alternent. J’ai tout d’abord éprouvé de l’empathie, et ensuite un certain remords pour avoir publié la photo de cet enfant, d’autant plus que quelqu’un me l’a reproché. J’ai par la suite éprouvé du dégoût face à l’hypocrisie des politiques et des citoyens.

Ne nous indignons pas uniquement du destin tragique et de la vie gâchée de Aylan Kurdi. Indignons-nous aussi de voir des sans-abris crever de faim à deux pas du Carrefour… et donnons-leur un pain sec, une couverture puisque l’Etat ne fait rien. Indignons-nous de vivre dans un monde qui n’a plus aucun sens. 

A São Paulo où les migrants ne meurent pas sur la plage mais dans l’hiver du centre de la ville, indignons-nous du fait qu’on leur tire dessus. Et exigeons un débat public sur cette question des réfugiés haïtiens.

« Show Me a Hero »

Pour finir, je voudrais mentionner une série dramatique actuellement diffusée sur HBO, Show Me a Hero de David Simon. Elle raconte l’histoire trouble d’un jeune maire de l’Etat de New York à qui il incombe la responsabilité de faire accepter à ses électeurs blancs la construction de logements sociaux destinés aux Noirs. Là aussi, il est question d’acceptation de l’autre, de tolérance et d’intégration. Mais rien n’est fait pacifiquement quand bien même la justice tente d’imposer ses habitations à coup de lois. Une belle métaphore pour réfléchir à la question des migrants. Un mécanisme de quotas obligatoires serait donc un leurre. Parce que la solidarité ne s’impose pas.

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Suivez-moi sur Twitter pour plus d’analyses sur le Brésil: @sk_serge et n’hésitez pas à vous abonner au blog.

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Commentaires

franck
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tres bon livre...La souffrance à distance (Luc Boltanski-1994)

Sur le fond et lu sur le web" Facile, si on est familier avec les effets psychologiques des images. La plus récente montre un enfant en très bas âge, non blessé, bien habillé, portant les mêmes vêtements que nos enfants. Mais le plus important: il n'as pas l'air mort. ll est couché en position naturelle de sieste pour un gamin de son age. C'est le contraste entre ce que nous voyons et ce que nous savons qui choque. Cela est accentué par un détail important: il a le visage caché, ce qui permet la projection à chacun. Finalement, il a la peau blanche, ce qui renforce le processus de projection de la majorité."...OUI mais pour une majorité BLANCHE !...Et si nous étions en face des mêmes protagonistes dans une projection géopolitique...

https://www.jeuneafrique.com/35576/politique/nigeria-une-fillette-de-10-ans-explose-sur-un-march-faisant-19-morts/

Serge
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Oui un excellent livre ! Je ne sais pas, je trouve cette explication sur l'identification avec un corps plutôt européen, habillé de maniÈre neutre, je la trouve un peu facile, voire convenue.
Celle-ci ne me satisfait pas non plus: https://imagesociale.fr/2022

franck
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Desole Serge, mais il est plus que probable que cette campagne me(r)diatique ne s'adresse pas aux 9 millions +/- d'afro-Européens sur les 508,2 millions d'habitants que compte l'europe.
Même si cela peut te paraitre convenue, il est probable que cela imposera l'Allemagne et la renforcera singulièrement sur sa position a imposer sa vision de politique migratoire européenne. En ce sens, ça tombe bien elle décidera d'une répartition des migrants dans les divers pays de l'UE.

franck
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NKM veut restreindre le regroupement familial pour accueillir des migrants

LE SCAN POLITIQUE - La vice-présidente déléguée des Républicains (LR) souhaite aussi la création de «centres d'accueil européens sur le modèle d'Ellis Island».

«Je suis favorable à l'accueil des réfugiés, c'est le devoir de la France». Dans une interview au Point.fr, Nathalie Kosciusko-Morizet plaide en faveur d'une main tendue aux populations qui fuient Daech. «On ne demande pas ses papiers à quelqu'un qui se noie, on lui tend la main», explique la vice-présidente déléguée des Républicains (LR). Mais pour la députée, si la France s'ouvre à ces réfugiés, elle doit fermer ses portes à d'autres candidats à l'immigration: «Je propose de restreindre les conditions du regroupement familial (un dispositif légal qui permet à un étranger résidant en France d'être rejoint par sa famille, sous certaines conditions, ndlr)»....
_Avant d'être intégrés, Nathalie Kosciusko-Morizet aimerait que les candidats au droit d'asile transitent par des «centres d'accueil européens». «Ce seraient des lieux de transit obligatoires, sur le modèle d'Ellis Island (une île au large de New-York, ndlr), qui fut le lieu de passage pour des générations de migrants, d'ailleurs souvent européens, vers les Etats-Unis. On y trouverait des fonctionnaires européens chargés de vérifier l'éligibilité au droit d'asile et les services de police et de renseignements pour éviter l'infiltration», détaille-t-elle. (le figaro)

Serge
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c'est fou quoi...

franck

OUi, c'est très moral et progressiste, cela sent le" Cercle de l'oratoire"
Dans un processus de mise en concurrence des migrants d'hier avec les migrants de demain comme au Brésil dégénérescence inter ethnique nécessaire avant le passage de l’homme au post humain.

Guillaume DJONDO
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Beau billet, Serge !

Serge
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Malheureusement, c'est celle-là notre réalité, n'est-ce pas?

franck
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"Malheureusement, c’est celle-là notre réalité, n’est-ce pas?"

Il serait peut-être intéressant de dire qui fait la guerre et pourquoi, si non cela ne restera que du brassage de courant d'air...
Ne le prend pour une attaque personnel,mais...

"Mine de rien, à bien y regarder, avec l’évolution des frontières de l’état islamique, les cartes du moyen orient ressemblent de plus en plus à un territoire qui en d’autres temps se serait nommé grand Israël !

Les islamistes concentrent leur offensive vers le sud et se garde bien d’attaquer la Turquie. Les frappes de l’OTAN sont du pipeau et nul doute qu’elles sont ciblées sur l’armée de Bashar tout en nous faisant croire le contraire. In fine, Bashar et la Syrie vont tomber, tout comme l’Irak, le Liban, la Jordanie et le nord de l’Arabie Saoudite. La carte du grand Israël sera alors presque réalisée et c’est l’état islamique qui aura fait lui même le boulot pour son ennemie juif. Il ne restera aux Israéliens et a son grand frère américain qu’a faire provoquer une attaque de la Turquie par l’état islamique pour récupérer le sud du pays (le cas de l’Egypte est encore une énigme). Le prétexte sera idéal et viendra le moment pour les sionistes de détruire l’état islamique et de libérer tous les territoires évoqués supra. Ils constitueront pile poil le grand Israël et Poutine avisé que cela devrait s’arrêter là laissera faire. Hélas, l’état français se sentira obligé de participer alors que cela ne le regarde en rien et beaucoup de nos soldats y laisseront leur peau, sans compter les attentats sur notre sol et les tensions entre communautés…"