26 octobre 2014

Au Brésil, un «Vote critique» pour Dilma Rousseff

Dilma Roussef via Wikimedia Commons, CC
Dilma Roussef via Wikimedia Commons, CC

C’est une amie professeure d’université qui a  bien résumé le sens de cette élection présidentielle brésilienne : « Mon vote pour Dilma Rousseff est un vote critique, mais convaincu » a-t-elle affirmé. Ce témoignage reflète une idée assez généralisée selon laquelle le mieux pour le Brésil est d’avancer avec les politiques sociales tout en réduisant la corruption. Mais c’est aussi un vote convaincu que la droite ne fera pas progresser le pays.

51, 45 %, verre à moitié plein ou à moitié vide?

C’est ainsi qu’il faut comprendre les résultats de cette présidentielle où Dilma Rousseff a récolté 51, 45 % des voix au terme d’un campagne électorale âpre. On peut aussi voir ces résultats en se rappelant l’image du « verre à moitié vide, ou du verre à moitié plein ». Est-ce Dilma Rousseff qui a remporté ce scrutin ou est-ce Aécio Neves qui l’a perdu ? Faut-il penser que 50 millions des Brésiliens ont rejeté leur présidente ou que ce sont les 50 autres millions qui lui témoignent leur soutien ? Cela prend vite des allures du débat sur l’oeuf et la poule. Donc, passons…

Disons cependant, en toute honnêteté que le Brésil est encore un grand chantier. Une autre amie me demandait si « 50 % des Brésiliens détestaient vraiment Dilma Rousseff ». Ce à quoi je répondis avec une certaine ironie : « Oui, les riches! ». Mais l’ironie est à prendre au sérieux. Car si l’on observe la cartographie de cette victoire du Parti des travailleurs (PT), on se rend compte que c’est dans les Etats les plus pauvres que Dilma Rousseff a été massivement réélue, sauf à Rio de Janeiro et à Minas Gerais (l’État du candidat Aécio Neves). Il convient tout de même de relativiser le mot « pauvre »; car la majorité des Brésiliens accède aujourd’hui à la classe moyenne.

Cela montre aussi que même si le PT  a réussi à faire sortir 40 millions des Brésiliens du seuil de pauvreté – « une Argentine tout entière », selon une heureuse formule de Dilma Rousseff elle-même – , ces électeurs ne se sentent plus redevables vis-à-vis du gouvernement travailliste. Celui-ci devra donc retrouver ses valeurs perdues à un certain moment de l’histoire, lorsque le PT est devenu une machine électorale, un appareil de guerre programmé pour gagner les compétitions électorales. Le PT doit redevenir un parti de gauche.

Le Brésil est plus que jamais divisé. Je n’avais jamais senti autour de moi une telle tension. Il est vrai qu’à un certain moment, tout cela devenait inquiétant, tant et si bien que la justice électorale a exigé des candidats de polir leurs discours pendant cette campagne pour éviter les débordements. Faut-il rappeler que lors de la dernière semaine de campagne, la revue Veja qui avait incendié la campagne avec sa  » Une assassine  » a vu ses locaux être vandalisés par des électeurs d’extrême gauche choqués…

Aécio Neves devra résister à une guerre interne

Aécio Neves ne sort pas tout à fait grandi de cette élection. Le candidat perdant ne s’est pas facilement imposé au sein de son parti où il a dû faire face, pendant des années, à une forte résistance des  » vieux loups « , l’arrière-garde qui a lutté contre le régime des militaires : José Serra, élu sénateur pour São Paulo; Geraldo Alckmin, gouverneur réélu à São Paulo. Ces deux personnalités établies de la scène politique brésilienne voudront se présenter en 2018. Ils ont vu que le PSDB (Parti social-démocrate brésilien) s’était rapproché du pouvoir, mais qu’ Aécio Neves n’avait pas saisi sa chance.

Les prochaines années risquent donc de voir éclater une guerre interne au sein même du parti social-démocrate; une lutte fratricide en vue de la présidentielle de 2018. De mon point de vue, Geraldo Alckmin est le plus qualifié pour se présenter sachant qu’en 2006, il avait perdu de peu face à un Lula da Silva accablé par le scandale du Mensalão.

Le changement, c’est maintenant?

Cette campagne a aussi révélé les failles de l’Etat brésilien. Pendant la campagne, le thème de la corruption est exhaustivement revenu au centre des débats. Dilma Rousseff doit donc agir en conséquences. Le PT ne doit plus tolérer certaines pratiques afin de redonner confiance à un électorat qui ne cesse de lui glisser entre les doigts. La corruption est culturelle au Brésil comme l’explique le correspondant de Folha de São Paulo dans les colonnes du New York Times. La santé publique constitue également un énorme chantier. J’ai gardé en réserve cette photo qui illustre bien le drame des pauvres pour accéder aux soins médicaux. Pour un examen de routine, une amie a dû attendre un an et un mois avant d’avoir un rendez-vous avec son médecin. Et ça, le PT n’a rien fait pour changer cette situation.

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La première femme réélue présidente du Brésil devra donc s’engager sur plusieurs chantiers, les quatre grandes réformes essentiellement:

Réforme politique

Il s’agit ici d’un organigramme structurant qui crée beaucoup de difficultés en termes de gouvernance. Le Brésil est un pays fédéral où le président ne peut gouverner sans une majorité clairement définie au Parlement. Or, les accords politiques se font généralement après la tenue des élections avec le détail aggravant qui veut que la conjoncture politique au niveau des Etats n’a aucun effet sur l’ élection présidentielle. Ce qui fait qu’un parti de centre droit comme le PMDB privilégie les élections locales en espérant entrer dans le gouvernement fédéral quelque soit le vainqueur. On voit aussi régulièrement un candidat de gauche proposer comme vice-président un néolibéral : ce fut le cas pour Lula da Silva, mais aussi pour Marina Silva (soutenue par les banques). Une réforme politique mettrait fin aux alliances contre nature et redonnerait du crédit aux partis politiques auprès des électeurs qui ne s’y retrouvent plus.

Un exemple est assez révélateur. Dans l’Etat de Paraíba où je vis, l’actuel gouverneur (PSB, parti de Marina Silva et Eduardo Campos) a soutenu la candidature de cette dernière au premier tour qu’il a perdu contre un candidat de droite. Au deuxième tour, cependant, il a clairement appuyé Dilma Rousseff (Marina Silva n’étant plus dans la course) et a été réélu avec 52 % des voix.

Réforme tributaire

Je ne sais pas dire quelle est la réforme la plus difficile. Mais je tends à croire que celle-ci sera plus acceptable pour les entreprises et les grands patrons qui ne cessent de se plaindre tu coût trop élevé des investissements au Brésil, le fameux « custo Brasil » qui fait fuir les investisseurs. Dilma Rousseff a donné un signal fort en cette direction en annonçant le remplacement de son ministre des Finances Guido Mantega. Avec une réforme tributaire, le Brésil se rapprocherait ainsi d’une politique économique plus libérale. La question est de savoir si  » le social  » en souffrira et quel en sera le prix électoral?

Réforme agraire

Celle-ci est plus difficile. Peut-être même impossible tellement les conséquences seraient trop sévères pour une élite économique séculaire. On sait qu’un président du Brésil avait précipité le coup d’Etat militaire en 1964 pour avoir proposé, entre autres raisons, une réforme agraire, mesure populiste selon l’élite agricole et les militaires. Si Lula da Silva n’ y est pas parvenu, rien ne me laisse croire que Dilma Rousseff puisse y arriver. Cela veut dire aussi que la question de la démarcation des terres des indigènes d’Amazonie n’évoluera pas et que les inégalités de richesses augmenteront.

Réforme médiatique

La « Une assassine » de Veja, la campagne électorale menée par les grands networks – les chaînes de télévision nationale – contre Dilma Rousseff, ont encore une fois démontré la nécessité d’une réforme médiatique. Les Brésiliens ont le droit d’avoir accès aux sources d’informations alternatives, l’information ne pouvant plus être la propriété de cinq familles qui la manipule selon leurs intérêts.

La démocratie brésilienne en dépend sensiblement. Cette réforme a été possible en Argentine. Mais les forces médiatiques au Brésil sont autrement plus puissantes et organisées. Il ne sera donc pas facile d’y faire face. Cependant, le gouvernement du PT doit renforcer le développement d’Internet dans tout le pays afin de permettre un accès plus libre et démocratique à l’information.

Un exemple pour vous en convaincre. Une heure après la publication des résultats de la présidentielle, les networks diffusaient des émissions d’entertainement. C’est dire la complète dépolitisation dont sont victimes un grand nombre de Brésiliens.

PS : Terminons avec une note un peu plus drôle tout de même, car aujourd’hui est un jour de fête. Une fête démocratique. Aécio Neves qui s’est fait remarquer lors des débats pour son ton agressif envers les femmes candidates était loin de se douter que le mot « leviana » [désinvolte] , trop souvent employé contre celles-ci – ce qui lui a valu d’être accusé de machisme -, remettrait à la mode un ancien hit du même nom… du côté des électeurs de gauche, notamment sur les réseaux sociaux, la chanson de Reginaldo Rossi fait un tabac…

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Commentaires

nelly
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Je suis de meme contente, mais sincerement beaucoup des choses doivent changer au sein du parti! La gauche doit redevenir la vrai gauche. Moi personnellement avec tout ses scandales comises par le PT, je ne pouvais meme plus me permettre a soutenir la victoire du parti mais lorsque je me suis rendu compte de l'avancé de la droite avec de ton aussi cinique alors je suis resté reflechir et j'ai prié que ce parti PT puisse gagnait!! Ma contribution etait encouragé ceux qui devaient voter Dilma de continuer a militer et convaincre les indecis :). J'aimerai que cette democratie s' applique aussi dans mon pays un jour :)

Serge
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Oui, je suivais hier un député PT pour Sao Paulo qui disait bien la situation et la nécessité pour le parti de reprendre une lutte idéolgique car c'est sur cette aspect que la gauche a échoué...
Pour le Congo, espérons bien... afin que nous puissions rentrer un jour :)