16 juin 2014

Brésil 2014: dans l’ombre du ballon rond, le duel politique

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Neymar_meets_Dilma_Rousseff.jpg
Neymar rencontre Dilma Rousseff / Crédit photo: Kafuffle / Wikimedia Commons

La Coupe du monde de football de la FIFA a commencé jeudi 12 juin au Brésil, mais à l’ombre du ballon rond, le destin du pays se joue en politique, dans la rue et les couloirs des palais à Brasília. On évite de penser à un scénario catastrophe mais au pays du football roi, le futur président du Brésil sera peut-être désigné grâce aux résultats proposés par la Seleção. Explications.

Que le football puisse exercer une forte influence sur la politique n’est plus à démontrer. D’autres le font mieux que moi, y compris Raymond Domenech qui rappelle le rôle de la défaite des Ukrainiens au Stade de France dans l’émergence de la crise, place Maïdan. Il ne faut donc pas minimiser l’impact de cette Coupe du monde sur les élections générales d’octobre au Brésil.

Eduardo Campo s’efface petit à petit. Il semble ne pas avoir assez d’étoffe pour aller titiller Dilma Rousseff dans les sondages. En effet, le dernier sondage d’opinion mené par l’institut Sensus pour la revue IstoÉ place Dilma Rousseff en tête des intentions de vote avec 34 %, suivi d’Aécio Neves, 24 % loin devant Eduardo Campos crédité de 11 %. Le duel des présidentiables se précise donc entre l’actuel chef de l’Etat et l’héritier et petit-fils de Tancredo Neves, le mineiro* bon-vivant sénateur Aécio Neves.

https://www.jornalopcao.com.br/ultimas-noticias/dilma-cai-em-pesquisa-de-intencao-de-votos-e-aecio-cresce-16-7099/
Foto: Divulgação Revista IstoÉ

La Coupe du monde tout juste de débutée, Dilma Rousseff et le groupe d’Aécio Neves se répondent coups pour coups par médias interposés. Ainsi, on a pu voir l’ancien gouverneur de Minas Gerais sur le plateau de Roda Viva, une émission culte de la télévision brésilienne. Celui-ci y est allé de son programme usant et abusant de son charme à la Ayrton Senna.
https://www.youtube.com/watch?v=8psVYjJGFy8

De son côté, Dilma a tenu à répondre aux supporters de l’Equipe du Brésil qui ont scandé contre elle des grossièretés que l’on oserait prononcer en présence d’enfants: « Hey, Dilma vas te faire … » , on imagine la suite, mais par pudeur, je vous l’épargnerai.

Dilma Rousseff rappelle donc, allant également de son drame, que:

« Pas même la torture ne l’a éloignée de ses objectifs et que ce n’était pas de plates insultes qui lui feraient perdre les boules » on a dit les boules?

Et de poursuivre, manifestement mal à l’aise devant les caméras [comme toujours, je dirais],

« Je ne me laisserai pas intimider par des agressions verbales. Je ne me laisserai pas terroriser par des injures indignes d’être prononcées en présence des enfants. Je voudrais rappeler que j’ai été soumise aux pires situations dans ma vie, des situations qui vont au-delà du supportable… des agressions physiques (peut-être est-il question de son supposé viol pendant la dictature des militaires, Ndlr) Le peuple brésilien n’agit pas comme cela, le peuple brésilien ne s’exprime pas par des injures, le peuple brésilien est civilisé et extrêmement généreux… » Voilà qui est dit ! 

https://www.youtube.com/watch?v=FOFU8KkMoCo

Lula da Silva, « l’as de la communication », jusque là effacé est sorti de son mutisme pour défendre son ancienne protégée qu’il a peut être senti fragilisée. Le fait est que Dilma Rousseff est sous les feux ennemis.

Le Brésil cherche son mâle…

Il faut bien le dire, le machisme n’est pas trop loin de cette série d’attaques organisées par l’opposition contre la présidente. Si Dilma Rousseff est constamment agressée lors de ses apparitions publiques, c’est probablement en raison de sa féminité.

Car, même s’il venait du Pernambuco, l’une des régions les plus pauvres [mais aujourd’hui dynamique] du pays, Lula da Silva n’a jamais fait les frais d’injures aussi dégradantes. Le Brésil reste un « pays fortement paternaliste » surtout dans les classes moyennes. Ce n’est pas parce que sa culture musicale exalte la femme comme dans La Fille d’Ipanema que cette dernière est forcément émancipée. L’élection de Dilma Rousseff est un trompe-l’œil.

https://www.flickr.com/photos/governo_de_minas_gerais/3593288642/sizes/m/in/photostream/
Le candidat du PSDB, Aécio Neves, crédit photo: Governo de Minas Gerais

Le PSDB (social-démocrate), le parti d’ Aécio Neves surfe avec une certaine rhétorique conservatrice à l’image du Front National en France, notamment sur les réseaux sociaux, haut-lieu de l’hostilité contre le Parti des travailleurs (PT). Auparavant divisé, le PSDB fait désormais l’union sacrée autour de son « prince mineiro »

Aécio Neves promet par exemple un « réduction considérable du nombre des ministères » comme l’une de ses premières mesures en tant que chef de l’Etat; une réforme fiscale et une loi pour mieux contrôler… internet.

Quant à l’épineuse question de la dépénalisation des drogues légères, Aécio Neves estime, au contraire de l’ancien président F.H. Cardoso [du même parti que lui], que « le Brésil n’est pas un laboratoire où l’on peut tenter des expériences de ce genre… Au-delà de la prudence, il recommande le renforcement de la politique nationale de sécurité contre le trafic de drogue ». Contrairement à Dilma Rousseff, le sénateur-candidat a le mérite de trancher.

Dans un pays où le débat politique prend souvent une tournure manichéenne, beaucoup de Brésiliens espèrent bien que le mâle triomphera…

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* Ressortissant de l’Etat de Minas Gerais, capitale Belo Horizonte (BH) 

 

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Commentaires

Caroline Lefer
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Bonne analyse des choses Serge!

Serge
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Merci ! :)