12 janvier 2014

Brésil : qui veut aller au shopping?

Brian Lane Winfield Moore sur Flickr
Brian Lane Winfield Moore sur Flickr

La guerre est déclarée : les jeunes des bidonvilles, plus connus comme les favelas veulent goûter aux plaisirs de la consommation de masse qu’offre la globalisation. Ils sont prêts à braver les interdictions sociales qui maintiennent les Noirs favelados hors du circuit mondial de la consommation représenté ici par les shoppings qui fleurissent dans toutes les grandes villes brésiliennes.

Les shoppings sont ces grands complexes commerciaux qui regroupent à la fois des cinémas, des salles de spectacle, des Mc Donald’s, des banques, des magasins de vêtements de luxe… ils obéissent en général aux normes d’une esthétique globalisée adaptée au goût des nouvelles classes moyennes.

Or, ce « dépassement » prétendu par cette jeunesse martyrisée ne plaît pas aux classes moyennes de São Paulo. Une vraie bataille idéologique est désormais livrée, elle sera sans doute au coeur des débats politiques lors de la campagne électorale des élections de fin 2014.

La démocratie, c’est aussi consommer:

Certains se souviennent des émeutes qui ont secoué le gouvernement Chirac (à l’époque où de Villepin était premier ministre) ou encore celles de Londres qui se sont vite propagées dans toute l’Angleterre au début du gouvernement Cameron… Rappelez-vous qu’à l’époque des juges ont expédié, dans la nuit, des mandats d’arrêt contre des jeunes issus de l’immigration, démontrant ainsi l’opacité du système judiciaire britannique.

L’actuel contexte social vécu au Brésil présente des similitudes avec ce qu’on a vu au Royaume-Uni 2011. A l’époque déjà, je me rappelle mon professeur expliquant que: « dans le contexte actuel du capitalisme, la démocratie, c’est aussi permettre à toutes les couches sociales de consommer… ».

Les temps ont réellement changé. La sociologie est loin d’offrir une compréhension définitive des transformations que nous vivons. Souvenez-vous aussi qu’au début des années 1990, Francis Fukuyama annonçait la Fin de l’Histoire, concept polémique, qui veut dire que le modèle démocratique libéral s’est imposé au monde comme l’idéal de société possible.

https://pt.wikipedia.org/wiki/Ficheiro:Entrada_sul_do_River_Shopping_-_Petrolina,_Pernambuco.jpg

Cette idée faisait suite à l’hypothèse qui prétendait qu’après la chute du mur de Berlin, les sociétés occidentales avaient dépassé l’étape des revendications matérialistes pour une adhésion au postmatérialisme : écologie, droits de l’homme, féminisme…et tout ce beau tralala.

Les émeutes de Londres, puis celles de Clichy-sous-Bois ont prouvé que les vieilles querelles classistes persistaient.

Au Brésil, les autorités font face à un nouveau phénomène menaçant le statu quo social qui permet aux classes moyennes de mener une vie tranquille loin de la misère des favelas.

Chacun à sa place :

Car les jeunes des banlieues défavorisées ont pris l’habitude d’aller (« en bandes ») perturber la quiétude des shoppings, ces temples de consommation capitaliste réservés au Blancs et à quelques Noirs domestiqués.

Crédit photo: cassimano/Flickr/CC
Crédit photo: cassimano/Flickr/CC

La police les a souvent repoussés avec violence bien que ces jeunes n’y aillent pas armés: ils disent se réunir pour « faire la fête », « Dar um rolezinho« … ce qui n’est pas interdit en soi. Le problème ici, c’est de savoir rester à sa place. « Les pauvres des favelas doivent rester à leur place », c’est le message que transmettent les médias et certains politiciens démagogues.

Cette semaine, un juge a autorisé six shoppings de São Paulo à « sélectionner » leurs clients [en portugais].

Le phénomène rolezinho est donc traité en tant que « problème de criminalité publique » comme l’explique cet éditorial publié le site brésilien de El pais :

La « tournée », la nouveauté de Noël, montre que quand la jeunesse pauvre et noire des périphéries de São Paulo occupe les shoppings annonçant vouloir participer à la fête de la consommation de masse, la réponse est toujours la même: la criminalisation. Mais que sont-ils réellement en train de « voler » à la classe moyenne brésilienne ?

[O rolezinho, a novidade deste Natal, mostra que, quando a juventude pobre e negra das periferias de São Paulo ocupa os shoppings anunciando que quer fazer parte da festa do consumo, a resposta é a de sempre: criminalização. Mas o que estes jovens estão, de fato, “roubando” da classe média brasileira?]

Une tragique situation à laquelle font face les autorités, un défi démocratique qui se présente devant eux. L’histoire a montré que l’on ne touche pas impunément à la classe moyenne brésilienne, cette même classe qui peut être plus conservatrice encore que les faucons du Tea Party américain.

Au Brésil aussi, la ségrégation fait recette !

Complément de billet :  des images choquantes montrant des agents de la police militaire en train d’agresser les jeunes des banlieues.

 

Partagez

Commentaires

nelly
Répondre

Je ne savais pas de cette nouvelle!

Serge
Répondre

c'est pourtant d'actualité... très choquant, on appelle déjà l'affaire "l'Apartheid brésilien"

De Rocher Chembessi
Répondre

C'est pour le moins très triste pour le Brésil que j'aime si tant pour sa beauté...

nathalie
Répondre

Les inégalités sociales... au fait, c'est quoi une classe sociale ? L'homme aura tout inventé pour créer des divisions d'avec son frère. L'argent est devenu le boss. C'est tellement triste tout ça.

Serge
Répondre

Je pense que si ces noirs avaient l'argent pour acheter, on ne les expulserait pas!

yannick
Répondre

Exactement, le problème c'est qu'il ne viennent pas forcémment pour acheter vu qu'ils n'en ont pas, ou plutôt que l'on leur en donne pas, les moyens
C'est ça qui gêne le plus !

Serge
Répondre

Oui, ils vont faire du lèche-vitre sans l'argent... inacceptable pour la classe moyenne. Après avoir vu certaines images ce vendredi je me dis que certains jeunes exagèrent avec le brut quand même :) mais bon, ils ne blessent personne.
Le plus incohérent dans tout ça, c'est qu'ils peuvent payer plus de 10 mil s'ils sont arretés... quelle logique !

Emile
Répondre

Les Favelas Mundo ou le monde des défavorisés... Les inégalités sociales ont toujours existé dans toutes les sociétés. Il y a juste qu'elles prennent des formes parfois inhumaines comme dans ce cas.
J'admire surtout ta culture en abordant plusieurs thèmes sur les relations internationales et les idéaux des principaux acteurs.
Excellent billet!
Amitiés

Serge
Répondre

Merci pour ce compliment...

Boukari Ouédraogo
Répondre

Les inégalités sociales existent partout comme on peut bien le constater. Vu d'Afrique, l'image qu'on a du Brésil, c'est le foot, les télénovelas à l'eau de rose. Je pense qu'il faudrait que les autorités essaient de prendre le problème à bras le corps, sinon, la situation risque d'exploser et à ce moment elle sera incontrôlable.