Brésil : qui veut aller au shopping?
La guerre est déclarée : les jeunes des bidonvilles, plus connus comme les favelas veulent goûter aux plaisirs de la consommation de masse qu’offre la globalisation. Ils sont prêts à braver les interdictions sociales qui maintiennent les Noirs favelados hors du circuit mondial de la consommation représenté ici par les shoppings qui fleurissent dans toutes les grandes villes brésiliennes.
Les shoppings sont ces grands complexes commerciaux qui regroupent à la fois des cinémas, des salles de spectacle, des Mc Donald’s, des banques, des magasins de vêtements de luxe… ils obéissent en général aux normes d’une esthétique globalisée adaptée au goût des nouvelles classes moyennes.
Or, ce « dépassement » prétendu par cette jeunesse martyrisée ne plaît pas aux classes moyennes de São Paulo. Une vraie bataille idéologique est désormais livrée, elle sera sans doute au coeur des débats politiques lors de la campagne électorale des élections de fin 2014.
La démocratie, c’est aussi consommer:
Certains se souviennent des émeutes qui ont secoué le gouvernement Chirac (à l’époque où de Villepin était premier ministre) ou encore celles de Londres qui se sont vite propagées dans toute l’Angleterre au début du gouvernement Cameron… Rappelez-vous qu’à l’époque des juges ont expédié, dans la nuit, des mandats d’arrêt contre des jeunes issus de l’immigration, démontrant ainsi l’opacité du système judiciaire britannique.
L’actuel contexte social vécu au Brésil présente des similitudes avec ce qu’on a vu au Royaume-Uni 2011. A l’époque déjà, je me rappelle mon professeur expliquant que: « dans le contexte actuel du capitalisme, la démocratie, c’est aussi permettre à toutes les couches sociales de consommer… ».
Les temps ont réellement changé. La sociologie est loin d’offrir une compréhension définitive des transformations que nous vivons. Souvenez-vous aussi qu’au début des années 1990, Francis Fukuyama annonçait la Fin de l’Histoire, concept polémique, qui veut dire que le modèle démocratique libéral s’est imposé au monde comme l’idéal de société possible.
Cette idée faisait suite à l’hypothèse qui prétendait qu’après la chute du mur de Berlin, les sociétés occidentales avaient dépassé l’étape des revendications matérialistes pour une adhésion au postmatérialisme : écologie, droits de l’homme, féminisme…et tout ce beau tralala.
Les émeutes de Londres, puis celles de Clichy-sous-Bois ont prouvé que les vieilles querelles classistes persistaient.
Au Brésil, les autorités font face à un nouveau phénomène menaçant le statu quo social qui permet aux classes moyennes de mener une vie tranquille loin de la misère des favelas.
Chacun à sa place :
Car les jeunes des banlieues défavorisées ont pris l’habitude d’aller (« en bandes ») perturber la quiétude des shoppings, ces temples de consommation capitaliste réservés au Blancs et à quelques Noirs domestiqués.
La police les a souvent repoussés avec violence bien que ces jeunes n’y aillent pas armés: ils disent se réunir pour « faire la fête », « Dar um rolezinho« … ce qui n’est pas interdit en soi. Le problème ici, c’est de savoir rester à sa place. « Les pauvres des favelas doivent rester à leur place », c’est le message que transmettent les médias et certains politiciens démagogues.
Cette semaine, un juge a autorisé six shoppings de São Paulo à « sélectionner » leurs clients [en portugais].
Le phénomène rolezinho est donc traité en tant que « problème de criminalité publique » comme l’explique cet éditorial publié le site brésilien de El pais :
La « tournée », la nouveauté de Noël, montre que quand la jeunesse pauvre et noire des périphéries de São Paulo occupe les shoppings annonçant vouloir participer à la fête de la consommation de masse, la réponse est toujours la même: la criminalisation. Mais que sont-ils réellement en train de « voler » à la classe moyenne brésilienne ?
[O rolezinho, a novidade deste Natal, mostra que, quando a juventude pobre e negra das periferias de São Paulo ocupa os shoppings anunciando que quer fazer parte da festa do consumo, a resposta é a de sempre: criminalização. Mas o que estes jovens estão, de fato, “roubando” da classe média brasileira?]
Une tragique situation à laquelle font face les autorités, un défi démocratique qui se présente devant eux. L’histoire a montré que l’on ne touche pas impunément à la classe moyenne brésilienne, cette même classe qui peut être plus conservatrice encore que les faucons du Tea Party américain.
Au Brésil aussi, la ségrégation fait recette !
Complément de billet : des images choquantes montrant des agents de la police militaire en train d’agresser les jeunes des banlieues.
Commentaires