Manifestations au Brésil: la fin des illusions
La date du jeudi 20 juin 2013 rentrera dans l’histoire politique contemporaine du Brésil comme le jour où un million des brésiliens descendirent dans la rue pour protester contre la corruption de la classe politique.
Cependant, une contextualisation des derniers événements se fait nécessaire pour ne pas tomber dans les clichés, trop facilement adoptés par les médias depuis les révolutions arabes. Premièrement, il convient de dire que les manifestations au Brésil n’ont aucune filliation avec les Printemps arabes ou le mouvement des indignés en Espagne, et ce malgré les affirmations des plus optimistes. Il serait encore plus erroné de croire que ces manifestations s’assimilent au fameux Occupy Wall Street.
Qui sont les manifestants?
Le mouvement a commencé à São Paulo comme une réaction des jeunes étudiants de gauche contre l’augmentation des tarifs des autobus dans la capitale de l’Etat de São Paulo. Ces jeunes sont pour la plus part liés aux partis politiques de gauche, voir d’extrême gauche, comme le Parti travailliste, le PSOL, le PSTU, etc. Initialement, le mouvement adopta le nom de Mouvimento Passe Livre (MPL), son objectif à court terme étant la réduction du prix du bus de 3,50 à 3,20 reais. A long terme le MPL milite pour la tarif zéro pour tous les étudiants brésiliens et certaines catégories sociales. Je l’ai brièvement expliqué dans un article précédant.
Lorsque les manifestations ont commencé à São Paulo, le mouvement réunissait quelques dizaines de milliers de manifestants faisant croire aux autorités que la colère du peuple s’estomperait d’elle-même. Néanmoins, la répression dont furent victimes les manifestants aggrava la situation, et vit une mobilisation plus ample de la société civile. Et c’est peut-être à ce moment là que les choses ont pris une dimension dangereuse, non seulement pour la gauche elle-même, mais également pour la démocratie brésilienne.
Un mouvement sans contenu
Dans un premier moment les grands médias ont fortement critiqué les manifestations, plusieurs éditorialistes conservateurs comme Arnaldo Jabor s’en sont pris aux manifestants les traitant de Militants Imaginaires (voir ici et là). La forte mobilisation de la population qui a suivit la répression de la police, mais surtout le fait que plusieurs journalistes aient eux-même été victimes de la violence policière a complètement changé l’abordage de l’affaire par les médias. Désormais, ils s’affirmaient en faveur des jeunes manifestants; cependant il fallait donner une nouvelle nature aux manifestations.
D’un point de vue historique les mouvements de gauche au Brésil n’entretiennent pas des bonnes relations avec les grands médias. Donc, ces derniers ont commencé à appeler le peuple à un soulèvement contre la corruption en générale, transformant ainsi une manifestation dont l’objectif était clair en un mouvement diffus, sans identité, ou du moins adoptant tous les slogans et tous les combats. Cela s’est donc transformé en un mouvement contre la vie chère, ou contre la corruption. « Muda Brasil », « o gigante acordou » sont des slogans qui ont fait le tour du monde notamment sur les réseaux sociaux, or dès le début des manifestations, le mouvement se dénommait MPL ou mouvement des 20 centimes. Désormais, on manifeste contre tout et contre rien du tout.
Ce changement n’est pas dérisoire. Il fut un moyen d’exclure peu à peu les partis de gauche des manifestations, une façon également de modifier le profil des manifestants. On voyait maintenant des jeunes bourgeois de classe moyenne en grande partie ayant eux-mêmes des voitures, appartenant à cette partie privilégiée de la population aller dans la rue. La principale cible des manifestants changeait également de nom, ce n’était plus la tarif des autobus mais le gouvernement Dilma.
Sur les différents affiches, on lisait ce jeudi 20 juin des « tu verras dans les urnes Dilma », « le Brésil n’est pas rouge », « allez au Venezuela ou à Cuba », « il faut guérir les homosexuels », « stop à la bourse pour les pauvres », etc.
Tous ces slogans se caractérisaient par leur connotation de droite et leurs caractères fascistes dans la mesure où les partis politiques étaient devenus les cibles des manifestants. Je me suis surpris à me retrouver côte à côte avec des médecins conservateurs qui scandaient des propos xénophobes contre les médecins cubains auxquels le gouvernement brésilien avait fait appel pour combler un déficit dans le secteur. Or, je suis totalement opposé à cette attitude xénophobe. Les manifestations ne sont plus ce qu’elles étaient. Une bonne analyse doit prendre en compte ses différentes transformations.
Le risque pour la démocratie
Un mouvement conservateur refait surface au Brésil. Que ces manifestants revendiquent désormais un amour pour le pays, transformant la manif des 20 centimes en une vague nationaliste en est la preuve. Jeudi était un jour étrange. Je descendais dans la rue avec toutes mes illusions, mais j’allais justement les laisser mourir sur l’autel de la déraison et de la démesure.
Comment expliquer qu’un mouvement comme celui qui a débuté à São Paulo réunissent des skinheads des punks, des homophobes et qu’on l’appelle un mouvement démocratique?
Evidemment la gauche est consciente de ce détournement idéologique, et dès vendredi, un peu partout au Brésil des jeunes étudiants se réunissaient dans les universités pour réévaluer les événements de ces dernières semaines. J’ai pris part à une de ces réunions. Et je pense qu’il est important que la gauche se remobilise puisque la droite s’organise, et spécialement la plus conservatrice.
Aucune démocratie ne peut survivre sans partis politiques et sans des espaces institutionnalisés d’action politique. Toute affirmation contraire est démagogique et risque de faire sombrer le pays dans le fascisme. Ce que l’on a vu ce jeudi fut un grand mouvement politique marqué par l’intolérance et l’extrémisme.
Vendredi soir, la présidente Dilma a fait une apparition à la télévision dans laquelle elle annonçait que 100 % des royalties du pétrole seraient reversés dans l’éducation, qu’une réforme politique rentrerait dans l’agenda immédiat du congrès, la création d’un plan national de mobilité urbaine. entre autres promesses. Un positionnement ferme de la présidente était nécessaire, mais on espère que cela ne soit pas trop tard.
On attend pour les prochaines semaines des nombreuses manifestations de la gauche organisées dans tout le pays.
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